CAA de NANCY, 4ème chambre, 10/11/2020, 20NC00397, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision10 novembre 2020
Num20NC00397
JuridictionNancy
Formation4ème chambre
PresidentMme GHISU-DEPARIS
RapporteurMme Christine GRENIER
CommissaireM. MICHEL
AvocatsGERARD

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D..., épouse E..., a demandé au tribunal des pensions de Nancy la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de ses infirmités.

Par un jugement n° 13/00003 du 17 août 2017, le tribunal des pensions militaires de Nancy a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17/00008 du 13 septembre 2018, la cour régionale des pensions de Nancy a rejeté l'appel formé par Mme E... contre ce jugement.

Par une décision n° 425304 du 12 février 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour régionale des pensions de Nancy et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nancy.



Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 octobre 2017, 24 mars et 31 août 2020, Mme D..., épouse E..., représentée par Me A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 17 août 2017 du tribunal des pensions militaires de Nancy ;

2°) avant dire-droit, d'ordonner une expertise médicale par un médecin neurologue afin d'une part, de déterminer si le " syndrome subjectif " dénommé infirmité 5420, est correctement qualifié et d'autre part, de déterminer si les infirmités pour lesquelles Mme E... est pensionnée se sont aggravées entre le 12 avril 1994 et le 7 mai 2010 et, le cas échéant, de déterminer le nouveau taux à retenir pour chacune de ces infirmités ;

3°) à défaut de faire droit à sa demande d'expertise, de rouvrir les débats pour qu'elle puisse répondre au fond ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- il y a lieu d'ordonner une expertise avant dire-droit pour apprécier l'aggravation de ses infirmités ;
- le tribunal des pensions militaires avait ordonné une expertise avant dire droit, avant d'y renoncer sans motif légitime ;
- elle ne peut se voir opposer une impossibilité de réaliser l'expertise remettant en cause son droit à voir examiner sa situation conformément aux principes du procès équitable ;
- les infirmités n°s 4033 et 4076 n'ont fait l'objet d'aucune expertise médicale, alors qu'elles se sont aggravées ;
- le Dr. Dib, dans son expertise, n'a examiné que le syndrome subjectif lié à l'infirmité n°5420, alors qu'elle demandait sa requalification en syndrome objectif des enveloppes osseuses et crâniennes ;
- l'infirmité n°5421 n'a fait l'objet d'aucune expertise médicale.


Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 avril 2018 et 17 septembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête et au rejet de la demande d'expertise de Mme E....

Elle soutient que :
- Mme E... a refusé de se rendre aux consultations ORL, odontologique et psychiatriques qui lui étaient proposées ;
- l'infirmité n°5420 " séquelles de fracture du rocher gauche avec commotion cérébrale " ne peut être requalifiée, sans que cela ne fasse double emploi avec l'affection " troubles névrotiques post- traumatiques " ;
- Mme D..., épouse E... ne démontre aucune évolution notable s'agissant de l'infirmité " séquelles de traumatisme de l'articulation temporo-maxillaire gauche " (n° 4033) ;
- aucune aggravation de l'infirmité relative aux " acouphènes permanents de l'oreille gauche " (n° 4076) n'est établie ;
- la demande d'expertise présentée par la requérante ne présente plus d'utilité au regard du délai de dix ans qui s'est écoulé depuis sa demande de révision de sa pension ;
- les autres moyens soulevés par Mme D..., épouse E... ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le décret du 10 janvier 1992 déterminant les règles et barèmes pour la classification et l'évaluation des troubles psychiques de guerre ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., présidente assesseur,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me A... pour Mme D..., épouse E....

Une note en délibéré a été enregistrée le 2 novembre 2020 pour Mme D..., épouse E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., épouse E..., née le 25 octobre 1938, a été victime d'un " blast " à la suite d'un bombardement, le 25 octobre 1944. Par un arrêté du 12 avril 1994, une pension militaire d'invalidité en qualité de victime civile de la guerre lui a été concédée au taux global de 80% pour quatre infirmités. Le 7 mai 2010, Mme E... a demandé la révision de sa pension. Par une décision du 5 novembre 2012, le ministre de la défense a rejeté sa demande. Après avoir ordonné, par un jugement avant dire-droit du 23 juin 2015, une expertise médicale qui n'a pu être réalisée dès lors qu'aucun expert n'a accepté la mission, le tribunal des pensions militaires de Nancy a rejeté la demande de Mme E... par un jugement du 17 août 2017. Par un arrêt du 13 septembre 2018, la cour régionale des pensions de Nancy a rejeté l'appel formé par Mme E... contre ce jugement. Par une décision du 12 février 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour régionale des pensions de Nancy et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy.

Sur la régularité du jugement du tribunal des pensions militaires de Nancy :

2. Par un jugement avant dire-droit du 23 juin 2015, le tribunal des pensions militaires de Nancy a ordonné une expertise médicale afin de déterminer si le " syndrome subjectif " est correctement qualifié et de préciser le taux d'invalidité de Mme E... ainsi que son éventuelle aggravation. Cette expertise n'a cependant pu être menée, les deux experts successivement désignés s'étant désistés. Un troisième expert a refusé la mission. A cet égard, le tribunal des pensions militaires de Nancy, après avoir constaté l'impossibilité de mener l'expertise, a pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, ni méconnaître le droit à un procès équitable, statuer au vu des seules pièces médicales produites. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le jugement du tribunal des pensions militaires de Nancy serait irrégulier, faute d'avoir statué au vu de l'expertise ordonnée avant dire-droit.

Sur le bien-fondé du jugement du tribunal des pensions militaires de Nancy :

3. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre en vigueur à la date de la demande de révision de la pension de Mme E..., devenu l'article L. 154-1 du même code : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ". L'évolution des infirmités pensionnées s'apprécie sur une période comprise entre l'octroi de la pension et la date de dépôt de la demande de révision, soit, en l'espèce, entre le 12 avril 1994 et le 7 mai 2010.

En ce qui concerne l'infirmité n° 5420 - séquelles de fracture du rocher gauche - syndrome subjectif :

4. L'arrêté du 12 avril 1994 portant concession de la pension militaire d'invalidité de Mme E... indemnise l'infirmité résultant des " séquelles de fracture du rocher gauche avec commotion cérébrale, syndrome subjectif, céphalées de siège temporo-pariéto-occipital gauche, sensation vertigineuse très atypique, insomnies et manifestations douloureuses cervico-faciales séquellaires " au taux de 30 %.

5. En premier lieu, il résulte des pièces médicales produites par Mme E..., et notamment des résultats d'une IRM encéphalique du 23 juin 2009, d'un scanner des oreilles moyennes du 22 septembre 2009 et d'une IRM des cervicales réalisée dans le cadre d'une hospitalisation à la fin de l'année 2009, qu'un " élargissement des espaces sous arachnoïdiens au niveau de la région temporale moyenne gauche, le tout sans caractère expansif " a été constaté par le Dr. Blanchot en juin 2009 ainsi qu'une discarthrose en " C3-C4 et C5-C6 sans contrainte médullaire " par le Dr. Jehl lors de l'IRM des cervicales. Le Dr. Dib, neurologue, qui a examiné Mme E... au titre de cette infirmité dans le cadre de sa demande de révision, n'a relevé aucune aggravation de celle-ci dans son rapport d'expertise du 13 avril 2012. Il précise notamment que l'" élargissement des espaces sous arachnoïdiens au niveau de la région temporale moyenne gauche ", constaté par l'IRM du 23 juin 2009, " correspond aux séquelles post-traumatiques " et conclut, après examen clinique de la requérante et examen des pièces de son dossier, à l'absence d'évolution de l'infirmité pensionnée. Ce rapport ne se fonde ainsi pas sur le seul examen clinique de la requérante, mais également sur l'ensemble des autres pièces de son dossier médical, y compris l'IRM du 23 juin 2009. De plus, il ne résulte pas de l'instruction que le Dr. Dib n'aurait pas été en mesure de comparer l'IRM du 23 juin 2009 et l'encéphalogramme du 10 janvier 1976, dont il résulte de l'instruction qu'il figurait parmi les pièces de son dossier.
6. Ainsi, en l'absence de lésions cutanées ou osseuses de nature à établir l'existence d'un syndrome objectif entrant dans la catégorie des infirmités portant sur le crâne, les pièces médicales produites ne permettent pas de tenir pour établies les allégations de Mme E..., selon lesquelles son infirmité aurait été inexactement qualifiée de " syndrome subjectif ", correspondant à un tableau permettant un certain démembrement clinique et pathogénique et non nécessairement à une pathologie psychologique. Il ne résulte pas davantage de l'instruction, que la seule circonstance que le Dr. Dib a confirmé qu'il s'agissait d'un " syndrome subjectif ", établirait que la mission d'expertise ne lui aurait pas été correctement expliquée. Par suite, le syndrome objectif dont se prévaut la requérante n'est pas médicalement établi.

7. En second lieu, la requérante ne peut bénéficier d'une indemnisation au titre d'une " manifestation de conversion ", dès lors que les dispositions du B du chapitre II du guide barème pour la classification et l'évaluation des troubles psychiques de guerre, annexé au décret du 10 janvier 2002, alors en vigueur, exige, en ce cas, la " non-existence d'une lésion anatomique ou fonctionnelle ", condition en l'espèce non satisfaite. En outre, Mme E... est déjà indemnisée au titre du " fond anxieux résultant des séquelles de fracture du rocher gauche avec commotion cérébrale " par l'infirmité n° 5421 et ne peut, en conséquence, demander à ce que ses troubles subjectifs soient regardés comme des troubles psychiques autonomes.

En ce qui concerne l'infirmité n° 5421 - troubles névrotiques post-traumatiques - :

8. L'arrêté du 12 avril 1994 portant concession de la pension militaire d'invalidité de Mme E... indemnise au taux de 30 % l'infirmité relative aux " troubles névrotiques post-traumatiques, aux troubles dysmnésiques, aux difficultés d'attention et de concentration et au fond anxieux " résultant des séquelles de fracture du rocher gauche avec commotion cérébrale.

9. Alors qu'une expertise n'a pu être conduite ni par l'administration, la requérante n'ayant pas pris de rendez-vous auprès du médecin désigné pour procéder à l'examen de sa demande de révision de sa pension, ni dans le cadre de la procédure contentieuse devant le tribunal en raison du comportement de son fils qui l'accompagnait, Mme E... ne produit aucun élément médical de nature à établir la réalité de l'aggravation de l'infirmité pensionnée entre le 12 avril 1994 et le 7 mai 2010.

En ce qui concerne l'infirmité n° 4033 - séquelles de traumatisme de l'articulation temporo-maxillaire gauche - :
10. L'arrêté du 12 avril 1994 portant concession de la pension militaire d'invalidité de Mme E... indemnise l'infirmité liée aux séquelles de " traumatisme de l'articulation temporo-maxillaire gauche, du dysfonctionnement de l'articulation temporo-mandibulaire (ATM) gauche avec arthrose condylienne, de la constriction des mâchoires, d'une légère asymétrie du visage, de la bruxomanie et des douleurs de l'hémiface gauche " au taux de 20%.

11. Alors qu'il résulte de l'instruction et notamment de son courrier du 5 août 2013, que la requérante a refusé de se rendre au rendez-vous odontologique qui lui était proposé afin de faire examiner son infirmité par un médecin-expert, motif pour lequel elle ne peut utilement se plaindre de ne pas avoir été examiné par un médecin expert en application de l'article R.7 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable, devenu l'article R. 151-2 du même code, Mme E... ne produit aucun élément médical de nature à établir la réalité de l'aggravation de l'infirmité pensionnée entre le 12 avril 1994 et le 7 mai 2010. En particulier, Le Dr. Dandrau, dans son expertise du 5 mai 1997, n'avait, pour sa part, constaté aucune aggravation de l'infirmité de la requérante. Cette dernière ne saurait enfin utilement se fonder sur le certificat médical du 11 mars 2016 du Dr. Thiébaut, établi près de six ans après sa demande de révision.

En ce qui concerne l'infirmité n° 4076 - acouphènes permanents de l'oreille gauche - :

12. L'arrêté du 12 avril 1994 portant concession de la pension militaire d'invalidité de Mme E... indemnise l'infirmité n° 4076 " acouphènes permanents de l'oreille gauche " au taux d'invalidité de 10%. Cet arrêté se fonde sur une expertise médicale du 19 février 1990 du Dr. Casanova. L'expertise réalisée par le Dr. Guyot, le 28 juin 1995, ne constate aucune aggravation des acouphènes de Mme E.... Un compte-rendu médical du 28 avril 2011 du Dr. Faron, postérieur à la demande de révision de Mme E..., fait état d'une surdité légère bilatérale, sans relever, en tout état de cause, d'aggravation des acouphènes permanents au titre desquels la requérante a obtenu une pension. En outre, si Mme E..., fait valoir que sa demande aurait dû être examinée par un médecin expert, en application de l'article R.7 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable, devenu l'article R. 151-2 du même code, il résulte de l'instruction et notamment de son courrier du 5 août 2013, qu'elle a refusé de se rendre au rendez-vous ORL qui lui était proposé afin de faire examiner son infirmité par un médecin-expert. Elle n'est, en conséquence, pas fondée à se plaindre de l'absence d'examen par un médecin expert.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale qui, au regard de la période à laquelle il convient d'apprécier l'aggravation des infirmités de la requérante et de l'absence de pièces médicales contemporaines à cette période, ne présente pas d'utilité, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Nancy a rejeté sa demande tendant à la révision de sa pension militaire d'invalidité.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du ministre des armées, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande Mme E... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :


Article 1er : La requête de Mme D..., épouse E..., est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., épouse E... et à la ministre des armées.
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N° 20NC00397