CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 14/12/2020, 18BX04545, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision14 décembre 2020
Num18BX04545
JuridictionBordeaux
Formation6ème chambre
PresidentM. NAVES
RapporteurMme Karine BUTERI
CommissaireM. BASSET
AvocatsSOLTNER

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... H... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à lui verser la somme de 40 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2016 et la somme de 20 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 août 2016, en réparation des préjudices subis du fait de l'accident de service du 17 décembre 2015.

Par un jugement n° 1601132,1601561 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Limoges a condamné la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à verser à M. H... la somme de 3 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2016 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.




Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 décembre 2018, des mémoires enregistrés le 13 juin 2019, le 2 décembre 2019 et un mémoire récapitulatif enregistré le 13 février 2020, M. H..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Limoges du 23 octobre 2018, d'une part, en ce qu'il a limité la part de responsabilité de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à 75% et, d'autre part, en ce qu'il a limité à 3 000 euros le montant de l'indemnité à payer par la communauté de communes et de condamner cet établissement public à lui verser une indemnité globale de 60 172, 20 euros ainsi que le remboursement de ses frais d'hospitalisation au titre de ses différents préjudices ;

2°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le tribunal administratif a considéré, à juste titre, que la responsabilité pour faute de la communauté de communes était engagée à son égard ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il n'a pas commis dans l'accomplissement de sa mission de faute exonératoire, en partie, de la responsabilité de la communauté de communes qui doit être retenue à hauteur de 100 % ; l'état de délabrement du matériel, qui avait été à plusieurs reprises signalé à la communauté de communes, est la cause exclusive de l'accident dont il a été victime ;
- l'indemnité à laquelle il est en droit de prétendre au titre des souffrances physiques endurées doit être fixée à la somme de 20 000 euros pour tenir compte de l'importance de sa fracture, de la durée de sa consolidation et des souffrances importantes rencontrées pour se mouvoir sans l'assistance d'une tierce personne ;
- l'indemnité à laquelle il est en droit de prétendre au titre du préjudice moral doit être fixée à la somme de 10 000 euros pour tenir compte de sa longue immobilisation ainsi que de l'apparition d'un diabète et de réactions orthopédiques affectant son épaule droite consécutivement à l'accident ;
- l'indemnité à laquelle il est en droit de prétendre au titre du préjudice esthétique doit être fixée à la somme de 5 000 euros pour tenir compte de sa très longue cicatrice ;
- l'indemnité à laquelle il est en droit de prétendre au titre de la perte de chance de voir sa carrière se dérouler normalement doit être fixée à la somme de 20 000 euros ;
- au titre de l'allocation temporaire d'invalidité, il est fondé à solliciter le versement de la somme de 1 148 euros (traitement brut de l'indice majoré 245) x 15/ 100 soit 172,20 euros par mois à compter de sa consolidation.


Par des mémoires en défense enregistrés le 24 avril 2019, le 26 septembre 2019 et le 18 janvier 2020, la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de limiter sa responsabilité à hauteur 50% et de réduire à la somme de 500 euros le montant de sa condamnation au titre de la réparation du préjudice esthétique. Elle sollicite en toute hypothèse la mise à la charge de M. H... de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
-aucun des moyens soulevés par M. H... n'est fondé ;
-la faute commise par l'intéressé dans l'exercice de ses fonctions justifie un partage de responsabilité pour moitié ;
-l'indemnisation par les premiers juges du préjudice esthétique est excessive.


Par courrier du 26 novembre 2020, les parties ont été informées en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de ce que les conclusions de M. H... tendant au versement de la somme de 172,20 euros par mois au titre de l'allocation temporaire d'invalidité constituent des conclusions nouvelles en appel, à cet égard irrecevables.



Vu les autres pièces du dossier.

Vu :


- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... A... ;
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public ;
- et les observations de Me C..., représentant la communauté de communes du pays d'Argenton-sur-Creuse.


Considérant ce qui suit :


1. M. E... H..., adjoint technique principal, est affecté à la déchetterie de Saint-Marcel, en qualité de gardien, au sein du service environnement de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse. Le 17 décembre 2015, alors qu'il manipulait une caisse dans le conteneur des déchets ménagers spéciaux, il a été victime d'une chute qui a provoqué une fracture de son pilon tibial droit. L'imputabilité au service de cet accident a été reconnue le 28 décembre 2015. M. H... a présenté deux demandes préalables, par courriers en date des 3 mai 2016 et 2 août 2016, en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices résultant pour lui de cet accident. Après que ces demandes ont été rejetées, M. H... a saisi le tribunal administratif de Limoges d'une requête tendant à la condamnation de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à lui verser la somme globale de 60 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'accident de service du 17 décembre 2015. Par un jugement du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Limoges a condamné la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à verser à M. H... la somme de 3 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2016 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de ce dernier. M. H... sollicite la réformation de ce jugement, d'une part, en ce qu'il a limité la part de responsabilité de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à 75% et, d'autre part, en ce qu'il a limité à 3 000 euros le montant de la condamnation de ladite communauté de communes. Il demande la condamnation de cet établissement public à lui verser une indemnité globale de 60 172, 20 euros ainsi que le remboursement de ses frais d'hospitalisation au titre de ses différents préjudices. Par la voie de l'appel incident, la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse demande à la cour de limiter sa responsabilité à hauteur 50% et de réduire à la somme de 500 euros le montant de sa condamnation au titre de la réparation du préjudice esthétique de M. H....

Sur la recevabilité des conclusions d'appel :

2. M. H... demande notamment à la cour de condamner la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à lui payer la somme de 172, 20 euros par mois au titre de l'allocation temporaire d'invalidité. Toutefois, ces conclusions qui n'ont pas été soumises aux premiers juges présentent le caractère de conclusions nouvelles en appel et sont, par suite, irrecevables.

Sur la responsabilité :

3. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité déterminent forfaitairement, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions, la réparation des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique subie par ces agents. Elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait.

4. La circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions mentionnées ci-dessus subordonnent l'obtention d'une rente ou d'une allocation temporaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. En revanche, elle ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de cette collectivité la réparation de préjudices d'une autre nature, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident ou à la maladie.


En ce qui concerne la faute de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse :

5. Il résulte de l'instruction que, le 17 décembre 2015, après s'être pris le pied dans le système de fermeture de la bâche de protection, M. H... a chuté dans un conteneur de déchets ménagers spéciaux. Outre le fait que le passage étroit dans lequel circulait M. H... au moment de l'accident était pourvu d'un sol irrégulier et que l'éclairage du conteneur était insuffisant, ce dernier présentait un état dégradé et encombré par des sangles qui exposait ses utilisateurs notamment à de forts risques de chutes. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse, qui ne le conteste pas en appel, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. H....

En ce qui concerne la faute de la victime :

6. Il résulte toutefois également de l'instruction que M. H..., qui avait lui-même signalé l'état dégradé du conteneur à la communauté de communes, avait connaissance du caractère irrégulier du sol et de la présence de sangles présentant un risque pour les déplacements. Il a donc fait preuve d'un manque de prudence qui, ainsi que l'a justement estimé le tribunal administratif, est de nature à atténuer à concurrence de 25% la part de responsabilité de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

7. En premier lieu, M. H... ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance de l'existence de dépenses liées aux frais d'hospitalisation qui seraient restés à sa charge.

8. En second lieu, si M. H... persiste à faire valoir qu'il a subi un préjudice de carrière, il ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance de la réalité d'un tel préjudice, lequel ne résulte pas de l'instruction en dépit du fait que l'intéressé n'a pas repris son activité professionnelle.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de la fracture de son pilon tibial droit, M. H... a subi deux interventions chirurgicales dont une pour l'ablation du matériel d'ostéosynthèse. Le tribunal administratif a fait une juste appréciation des souffrances endurées par l'intéressé en fixant l'indemnisation de ce chef de préjudice à la somme de 1 500 euros et, compte tenu du partage de responsabilité cité au point 6, en condamnant la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse au versement à M. H... d'une somme de 1 125 euros.

10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. H... présente une longue cicatrice lisse sur la face interne de la jambe droite. Le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en fixant l'indemnisation due à ce titre à la somme de 1 000 euros et, compte tenu du partage de responsabilité cité au point 6, en condamnant la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse au versement à M. H... d'une somme de 750 euros.

11. En troisième lieu, si M. H... persiste à faire valoir qu'il a subi un préjudice d'agrément, il ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance de la réalité d'un tel préjudice, laquelle ne résulte pas de l'instruction.

12. En quatrième lieu, M. H... demande une indemnisation de 10 000 euros au titre d'un préjudice moral et des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence.

13. S'il soutient d'abord à cet égard qu'il souffre d'un syndrome anxio-dépressif, le lien de causalité entre ce dernier et l'accident du travail survenu le 17 décembre 2015 n'est pas établi par la seule production d'un certificat médical du 16 octobre 2019 se bornant à indiquer que " la durée des soins et (la) douleur avec gêne fonctionnelle a induit " un tel syndrome. Ensuite, le seul certificat médical du 29 janvier 2019 indiquant " qu'il est probable que le stress réactionnel et les différentes affections orthopédiques soient un facteur déclenchant (du) diabète " de M. H... ne permet pas davantage d'établir le lien de causalité entre cette pathologie et l'accident de service qui s'est produit quatre ans auparavant. Enfin, l'appelant soutient que cet accident a provoqué la rupture de la coiffe des rotateurs de son épaule droite pour laquelle il a été opéré le 21 mars 2018 et produit, à l'appui de ses allégations, un certificat médical du 23 avril 2018 indiquant qu'" il est probable que cette rupture soit intervenue le jour de l'accident du travail puisque M. H... est tombé sur le côté droit et qu'il ne présentait pas de souci d'épaule droite auparavant ". Il résulte toutefois de l'instruction, notamment d'un certificat médical du 4 septembre 2018, que, selon M. H... lui-même, les douleurs à l'épaule sont " apparues suite à un faux mouvement au courant du mois de juillet ". En outre, il avait été relevé dans l'expertise médicale du 6 juin 2017 que cette pathologie de l'épaule n'était pas imputable à l'accident du travail.

14. Il résulte en revanche de l'instruction, ainsi que l'ont à juste titre relevé les premiers juges, que les interventions chirurgicales subies par M. H... l'ont contraint à demeurer plusieurs mois immobilisé et à se rendre à de nombreuses séances de kinésithérapie. Le tribunal administratif n'a pas fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice en fixant son indemnisation à la somme de 1 500 euros et, compte tenu du partage de responsabilité cité au point 6, en condamnant la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse au versement à M. H... d'une somme de 1 125 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. H..., par la voie de l'appel principal, et la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse, par la voie de l'appel incident, ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a condamné la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à verser à M. H... la somme de 3 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2016 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de ce dernier. Par suite, la requête de M. H... et l'appel incident de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse doivent être rejetés.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par M. H... et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :

Article 1er : La requête de M. H... et l'appel incident de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse sont rejetés.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... H..., à la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Dominique Naves, président,
- Mme B... A..., présidente-assesseure,
- Mme D... G..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 décembre 2020.
Le rapporteur,
Karine A...Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au préfet de l'Indre, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 18BX04545 2