CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 06/04/2021, 17MA00404, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... D... veuve J..., ainsi que Mme H... J..., Mme F... J... et M. E... J..., représentés par le cabinet d'avocats Teissonniere Topaloff Lafforgue Andreu et Associés, agissant par Me I..., ont demandé au tribunal administratif de Toulon de déclarer l'État responsable des conséquences dommageables des maladies reconnues imputables au service dont est décédé M. J..., leur mari et père.
Par un jugement n° 1300800 du 24 novembre 2016, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'État, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à verser à Mme D... veuve J..., la somme totale de 44 409 euros en réparation du préjudice moral et économique, et à verser à Mme H... J..., Mme F... J... et M. E... J... la somme de 20 000 euros chacun en réparation du préjudice moral.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 janvier 2017, le 8 décembre 2017 et le 9 mai 2019, le ministre des armées demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1300800 du tribunal administratif de Toulon du 24 novembre 2016.
Il soutient que :
- la responsabilité pour faute de l'État ne peut être retenue dans la mesure où le lien de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants de M. J... et sa maladie n'est pas établi en droit commun et ne peut être tenu pour acquis du seul fait que l'intéressé a bénéficié de la présomption légale de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
- les premiers juges ne peuvent valablement retenir l'insuffisance des mesures de surveillance, la surveillance dont a bénéficié M. J... étant suffisante au regard de ses conditions d'exposition ;
- le préjudice d'affection subi par les consorts J... à la vue de la douleur, de la déchéance et de la souffrance de M. J... avant son décès est déjà inclus dans le préjudice moral accordé aux consorts J... en première instance de sorte que cette demande n'est pas fondée, et qu'en tout état de cause, les sommes réclamées sont surévaluées au regard des sommes généralement allouées par le juge administratif pour un préjudice similaire ;
- aucune somme ne peut être allouée aux consorts J... au titre du préjudice d'accompagnement étant donné qu'il n'est pas justifié par un bouleversement de leur mode de vie quotidien durant la période d'hospitalisation de leur mari et père, et qu'en tout état de cause, les sommes réclamées sont surévaluées au regard des sommes généralement allouées par le juge administratif pour un préjudice similaire ;
- l'octroi d'une pension militaire d'invalidité n'ouvre pas automatiquement droit à réparation en droit commun aux ayants droit de M. J... ;
- en l'absence de lien de causalité certain et direct entre la maladie de M. J... et une activité de service, la responsabilité sans faute de l'État ne peut être engagée ;
- M. J... ne peut pas bénéficier de la loi n° 83-605 du 8 juillet 1983 en l'absence de caractère rétroactif et en raison du dommage survenu antérieurement à son entrée en vigueur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2017, Mme G... D... veuve J..., Mme H... J..., Mme F... J... et M. E... J..., représentés par Me I..., demandent à la Cour :
1°) de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité pour faute de l'État dans la survenue de la maladie de M. J... ayant entrainé son décès ;
2°) subsidiairement, de retenir la responsabilité sans faute de l'État dans la survenue de la maladie de M. J... ayant entrainé son décès ;
3°) de condamner l'État au paiement des indemnisations de leurs préjudices pour un montant total de 195 492 euros, somme portant intérêts au taux légal à compter du 28 juin 2012 jusqu'à la date de son paiement effectif et capitalisés à la date du 28 juin 2013 puis à chaque échéance annuelle ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros à chaque requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité de l'État doit être engagée sur le fondement de la jurisprudence Brugnot (CE, 1er juillet 2005, n° 258208) du fait de la maladie dont a souffert M. J... ;
- le cancer qui a entrainé le décès de M. J... a été admis comme étant imputable au service par un jugement définitif du tribunal des pensions militaires de Draguignan en date du 7 mai 2009 ;
- la responsabilité de l'État doit être retenue en raison de la carence fautive de ce dernier dans la mesure où, compte tenu de ses fonctions de mécanicien et de ses conditions de vie sur l'atoll, M. J... n'a pas été protégé ;
- M. J... n'a bénéficié d'aucune protection individuelle contre les risques auxquels il était exposé, d'aucune information sur les risques encourus, et d'une surveillance radiobiologique insuffisante au regard de l'ensemble de ses conditions concrètes d'exposition.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;
- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Badie,
- les conclusions de M. Angeniol, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., substituant Me I..., représentant les consorts J....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... J..., appelé du contingent, a exercé ses fonctions de mécanicien d'hélicoptère et a été, à ce titre, affecté sur le site d'expérimentations nucléaires français en Polynésie française à Mururoa, du 9 août 1973 au 11 mai 1974. Durant l'affectation de M. J..., selon l'Agence internationale de l'énergie atomique, du 18 août 1973 au 13 septembre 1973, il a été procédé à trois essais nucléaires de type atmosphérique - et à un essai de sécurité - réalisés à Moruroa. M. J..., qui a développé un cancer du poumon en 2003, est décédé le 26 décembre 2004. Les ayants droit de l'intéressé ont adressé une demande d'indemnisation des préjudices subis par ce dernier au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) sur le fondement des dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010. Par une décision du 20 décembre 2011, le ministre de la défense a rejeté leur demande. Les ayants droit de M. A... J... ont alors demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler cette décision et de condamner le CIVEN à indemniser intégralement les préjudices subis à la suite de l'exposition de celui-ci aux rayonnements ionisants ayant causé la survenance de sa maladie et son décès. Par un jugement en date du 8 novembre 2013, le tribunal a annulé la décision du ministre de la défense du 20 décembre 2011 et a enjoint à ce dernier de réexaminer le dossier de l'intéressé dans un délai de trois mois en vue de proposer une indemnisation à ses ayants droit. Par un arrêt du 30 juin 2015, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté le recours du ministre de la défense et a enjoint au CIVEN de présenter aux ayants droit une proposition d'indemnisation des préjudices subis par l'intéressé. Les ayants droit de ce dernier ont accepté l'offre d'indemnisation faite par le CIVEN, en date du 6 janvier 2016, d'un montant de 138 246 euros. Parallèlement à cette procédure, les ayants droit de M. J... ont adressé une demande de condamnation de l'État à réparer les préjudices personnels qu'ils estiment avoir subis en conséquence du décès de leur époux et père. Par un jugement n° 1300800 du 24 novembre 2016, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'État, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à verser à Mme D... veuve J..., la somme totale de 44 409 euros en réparation du préjudice moral et économique, et à verser à Mme H... J..., Mme F... J... et M. E... J... la somme de 20 000 euros chacun en réparation du préjudice moral. La ministre des armées relève appel de ce jugement. Par un recours incident, Mme D... veuve J... et Mme H... J..., Mme F... J... et M. E... J... demandent à la Cour de porter l'indemnisation de leurs préjudices à un montant total de 195 492 euros.
Sur la responsabilité sans faute de l'État au titre de la loi n° 83-605 du 8 juillet 1983 :
2. L'article 62 du code du service national dispose que "(...) Nonobstant les dispositions régissant les régimes de couverture sociale qui leur sont propres, les jeunes gens accomplissant les obligations du service national, victimes de dommages corporels subis dans le service ou à l'occasion du service, peuvent, ainsi que leurs ayants droit, obtenir de l'Etat, lorsque sa responsabilité est engagée, une réparation complémentaire destinée à assurer l'indemnisation intégrale du dommage subi, calculée selon les règles du droit commun. (...) ".
3. Les appelés du contingent effectuant leur service militaire qui subissent, dans l'accomplissement de leurs obligations, un préjudice corporel, sont fondés, ainsi que leurs ayants droit, et en l'absence même de toute faute de la collectivité publique, à en obtenir réparation, dès lors que, conformément à l'article L. 62 du code du service national tel que modifié par la loi n° 83-605 du 8 juillet 1983, le forfait de la pension ne leur est pas opposable. Toutefois, ce droit à réparation n'est ouvert que lorsque le préjudice subi est directement imputable au service. Et, la loi du 8 juillet 1983 modifiant le code du service national, en prévoyant une réparation complémentaire destinée, par dérogation à la règle du forfait de la pension, à assurer l'indemnisation intégrale du dommage subi par un appelé à la suite d'un accident de service, n'a un caractère ni interprétatif ni rétroactif. Ainsi, elle ne saurait s'appliquer à un dommage survenu antérieurement à son entrée en vigueur.
4. Il résulte de l'instruction que si la maladie dont a été victime M. A... J... n'a été diagnostiquée qu'en novembre 2003, donc postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 8 juillet 1983, ses ayants droit se prévalent s'agissant de son origine de faits survenus en 1973 et en 1974, soit avant l'intervention de ces nouvelles dispositions législatives. Par suite, comme l'a soutenu la ministre des armées dans ses observations en réponse au moyen relevé d'office et tiré de l'application de la responsabilité sans faute au titre de l'article 62 du code du service national, les ayants droit de M. J... ne peuvent se prévaloir d'un tel régime de responsabilité.
Sur la responsabilité pour faute de l'État :
5. Ni les dispositions de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires ni celles de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ne font obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir notamment à la réparation des préjudices subis par les ayants droit de la victime déjà indemnisée soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où la maladie de la victime serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En ce qui concerne le principe de la responsabilité :
6. En premier lieu, la ministre des armées conteste le lien de causalité entre la maladie et le service en faisant valoir d'une part que celle-ci est apparue près de 29 ans après et d'autre part qu'il n'est pas démontré que le cancer dont a été victime M. J... est de manière certaine et directe imputable aux essais nucléaires.
7. Cependant, d'une part, à deux reprises, même si s'appliquaient devant elles des mécanismes de régime de responsabilité différents, des juridictions ont reconnu, par des décisions définitives, un lien de causalité entre la maladie de M. J... et le service. Ainsi, par un jugement du 7 mai 2009, le tribunal des pensions militaires du Var relevait : " que le soldat-mécanicien René J..., tout spécialement missionné au nettoyage des hélicoptères patrouillant en vol lors des explosions nucléaires réalisées dans la région de Mururoa, n'a pu qu'être exposé soit directement, bien que l'absence de combinaison de décontamination appropriée ne soit pas démontrée, soit à l'occasion d'un contact avec les mousses rejetées dans le lagon après décontamination, à des éléments radioactifs n'ayant pu disparaître par l'effet de la main humaine en raison de leur teneur en agents très durablement irradiés(...) il convient encore de souligner qu'après l'accomplissement de ses devoirs militaires, pas plus de deux années se sont écoulées avant que René J... perde son rein gauche, filtre par excellence des substances ingurgitées par l'être humain. " Ainsi que l'a relevé la cour administrative d'appel de Marseille dans son arrêt du 30 juin 2015, devenu définitif, M. J... doit être regardé comme étant décédé des suites d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste fixée par le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 et après avoir séjourné dans l'une des zones géographiques et au cours d'une période déterminées par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 sans que puisse être utilement soutenu, pour écarter la présomption de causalité ainsi établie entre ce décès et l'exposition aux rayonnements ionisants provoqués par les essais nucléaires français, qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants, le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable. D'autre part, le praticien hospitalier ayant assuré le suivi de M. J... a indiqué dans trois certificats successifs du 24 janvier 2005, 22 mars 2006 et 4 mars 2011, non sérieusement contestés en défense, que le carcinome pulmonaire diagnostiqué le 1er décembre 2003 s'apparentait aux tumeurs sarcomateuses, pour laquelle le rôle du tabagisme n'est pas " du tout évident " alors que " le lien avec les irradiations subies lors de son séjour à Mururoa semble plus nettement établi ". Dès lors, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, le lien de causalité entre la maladie, même apparue près de trente ans après, et le service doit être regardé comme certain et direct.
8. En deuxième lieu, la ministre des armées se prévaut de l'absence de faute de l'Etat, en réitérant en appel son argumentation de première instance.
9. Ainsi qu'il a été dit plus haut, affecté sur le site d'expérimentations nucléaires français en Polynésie française à Mururoa, du 9 août 1973 au 11 mai 1974, période marquée par trois essais nucléaires de type atmosphérique, en sus d'un essai de sécurité, M. J..., appelé du contingent, a exercé des fonctions de mécanicien d'hélicoptère et a été amené à effectuer des taches qui ne peuvent raisonnablement exclure la responsabilité de l'État concernant son exposition aux rayonnements ionisants. En effet, l'intéressé était chargé du nettoyage des hélicoptères patrouillant en vol lors des explosions nucléaires. En outre, la dosimétrie individuelle interne de M. J... se limite à un seul et unique examen anthropospectrogammétrique réalisé le 4 mai 1974, à son départ du site et plusieurs mois après le dernier essai recensé. Par voie de conséquence, ce seul et unique examen dosimétrique, alors même que la dosimétrie d'ambiance des lieux de vie de l'intéressé n'aurait rien révélé de suspect, n'est pas suffisant pour exclure totalement qu'il ait fait l'objet d'une contamination par quelque voie que ce soit. De plus, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé a fait l'objet d'une protection individuelle ou collective suffisante pas plus qu'il n'a fait l'objet d'une information raisonnable des risques encourus à l'époque des faits. Il en résulte que l'administration ne peut raisonnablement soutenir que la surveillance dont a bénéficié M. J... étant suffisante au regard de ses conditions d'exposition. En outre, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, eu égard aux risques encourus, les mesures au titre des précautions mises en place lors des essais que furent la surveillance météorologique, le classement des zones en fonction des risques de contamination ou bien encore l'existence d'un périmètre de sécurité imposé et des conditions de vie réglementées apparaissent comme insuffisantes. Par suite, Mme D... veuve J... et ses enfants sont fondés à rechercher la responsabilité pour faute de l'État.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant du préjudice économique de Mme D..., veuve J... :
10. Mme D... veuve J... a sollicité l'indemnisation du préjudice économique subi par ricochet du fait du décès de son mari au titre des années 2005 à 2008. Ainsi que l'ont rappelé les premiers juges, le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu, le cas échéant, de ses propres revenus et déduction faite des prestations reçues en compensation. Dès lors, le préjudice est établi par référence à un pourcentage des revenus de la victime, affecté à l'entretien de la famille.
11. Il résulte de l'instruction que, calculé sur la base des trois dernières années avant le décès de M. J..., le revenu moyen du ménage s'élève à la somme de 30 227 euros. Il convient de déduire de ce revenu 30 % correspondant à la part de consommation personnelle de l'époux, soit la somme de 9 068 euros. Dès lors, le revenu disponible de référence pour le foyer s'élevait ainsi à la somme de 21 159 euros. Il résulte également de l'instruction que, pour les années 2005, 2007 et 2008, et il n'est pas contesté pour l'année 2006, que Mme D... veuve J..., a perçu respectivement, au titre de ces années, ainsi que cela ressort des avis d'imposition, les sommes de 17 164 (12 062 de pensions + 5 102 de salaires,) euros (2005), 19 622 euros (2006), 12 978 euros (2007) et 15 463 euros (2008). Ainsi, son préjudice économique lié au décès de son mari peut être établi à 3 995 euros au titre de 2005, 1 537 euros au titre de 2006, 8 181 euros au titre de 2007 et 5 696 euros au titre de 2008, soit un total de 19 409 euros. Par suite, les premiers juges ont pu à bon droit estimer que le préjudice économique de Mme D... veuve J... s'élevait à la somme de 19 409 euros et condamner l'État à lui verser ce montant.
S'agissant du préjudice moral, du préjudice d'affection et du préjudice d'accompagnement subis par Mme D..., veuve J..., et ses trois enfants :
12. La ministre des armées conclut au rejet des conclusions indemnitaires incidentes présentées par les ayants droit de M. J... au motif que le préjudice d'affection subi par ces derniers à la vue de la douleur, de la déchéance et de la souffrance de M. J... avant son décès est déjà inclus dans le préjudice moral accordé aux consorts J..., lequel est suffisant, en première instance de sorte que cette demande n'est pas fondée.
13. Mme D... veuve J... et ses enfants ont sollicité l'indemnisation du préjudice moral du fait du décès de M. J.... Les premiers juges ont répondu favorablement à cette demande et ont condamné l'État à verser la somme de 25 000 euros à M. D... veuve J... et 20 000 euros à chaque enfant. Néanmoins, Mme D... veuve J... sollicite en appel la condamnation de l'État à lui verser la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral d'affection, et 20 000 euros au titre du préjudice moral d'accompagnement, pour un montant total de 70 000 euros. Les enfants de M. J... sollicitent en appel la condamnation de l'État à leur verser la somme de 30 000 euros chacun au titre du préjudice moral d'affection, et 5 000 euros au titre du préjudice moral d'accompagnement, pour un montant total de 35 000 euros chacun.
14. Au regard des circonstances de l'espèce, le tribunal administratif a fait une juste appréciation en estimant que le préjudice moral subi par Mme D... veuve J... devait être évalué à la somme de 25 000 euros et celui de ses trois enfants à 20 000 euros chacun, lesquels montants doivent être regardés comme comprenant le préjudice d'affection. En revanche, le préjudice d'accompagnement, résultant du partage par sa famille de la fin de vie d'un proche, n'a pas été évalué par les premiers juges de sorte qu'un tel préjudice subi par Mme D... veuve J..., eu égard aux circonstances de l'espèce, doit être fixé à la somme de 5 000 euros et celui de ses trois enfants à 2 500 euros chacun. Par voie de conséquence, il y a lieu de condamner l'État à leur verser cette somme à chacun.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
15. Il résulte des dispositions des articles 1153 et 1154 du code civil que Mme D..., veuve J..., et ses trois enfants ont droit aux intérêts sur les sommes qui leur sont allouées et ce, à compter du 28 juin 2012, date de réception de leur demande indemnitaire préalable. Les requérants ont par ailleurs demandé le bénéfice de la capitalisation des intérêts. Il y a donc lieu, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande à compter du 28 juin 2013, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme G... D... veuve J..., Mme H... J..., Mme F... J... et M. E... J... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le recours de la ministre des armées est rejeté.
Article 2 : La somme de 25 000 euros au titre des préjudices moral et d'accompagnement que l'État a été condamné à verser à Mme D... veuve J... par le tribunal administratif de Toulon est portée à 30 000 euros.
Article 3 : La somme de 20 000 euros au titre des préjudices moral et d'accompagnement que l'État a été condamné à verser à Mme H... J... par le tribunal administratif de Toulon est portée à 22 500 euros.
Article 4 : La somme de 20 000 euros au titre des préjudices moral et d'accompagnement que l'État a été condamné à verser à Mme F... J... par le tribunal administratif de Toulon est portée à 22 500 euros.
Article 5 : La somme de 20 000 euros au titre des préjudices moral et d'accompagnement que l'État a été condamné à verser à M. E... J... par le tribunal administratif de Toulon est portée à 22 500 euros.
Article 6 : L'État est condamné à verser à Mme D... veuve J..., la somme totale de 44 409 euros en réparation de ses préjudices. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 juin 2012 jusqu'à la date de son paiement effectif. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 28 juin 2013 puis à chaque échéance annuelle.
Article 7 : L'État est condamné à verser à Mme H... J..., Mme F... J... et M. E... J... la somme de 22 500 euros chacun en réparation de leurs préjudices. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 28 juin 2012 jusqu'à la date de son paiement effectif. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 28 juin 2013 puis à chaque échéance annuelle.
Article 8 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 9 : L'État versera aux requérants la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 10 : Le surplus des conclusions incidentes de Mme G... D... veuve J..., Mme H... J..., Mme F... J... et M. E... J... est rejeté.
Article 11 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à Mme G... D... veuve J..., Mme H... J..., Mme F... J... et M. E... J... et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2021.
N° 17MA00404 2