CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 11/05/2021, 19MA05140, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision11 mai 2021
Num19MA05140
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre
PresidentM. BADIE
RapporteurM. Didier URY
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsJEAN-PAUL EON - CLAUDINE ORABONA AVOCATS ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Haute-Corse d'annuler la décision du 28 novembre 2016 par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité " psycho-syndrome post-traumatique ".

Par un jugement n° 17/00003 du 19 novembre 2018, le tribunal des pensions militaires de Haute-Corse a rejeté la requête de M. C....

Procédure devant la Cour :

La cour régionale des pensions de Bastia a transmis à la cour administrative d'appel de Marseille, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la requête présentée par M. C..., enregistrée à son greffe le 4 décembre 2018.





Par cette requête, et un mémoire enregistré le 18 décembre 2020, M. D... C..., représenté par Me Eon, demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal des pensions militaires de Haute-Corse du 19 novembre 2018 ;

2°) de lui concéder une pension militaire d'invalidité en raison de l'aggravation de l'infirmité " psycho-syndrome post-traumatique " au taux de 100% ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;

4°) et de mettre les dépens à la charge de l'Etat.

Il soutient que les trois experts désignés par l'administration ont reconnu l'aggravation de son infirmité de " psycho-syndrome post-traumatique " ; le tribunal a porté une appréciation manifestement erronée sur les éléments médicaux de son dossier notamment au regard des conclusions expertales du docteur Casta le Bigot.


Par deux mémoires en défense, enregistrés le 25 avril 2019 et le 12 février 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens de M. C... ne sont pas fondés.


Par ordonnance du 16 février 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 mars 2021 à 12 heures.


M. C... a bénéficié de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 décembre 2018.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le décret du 10 janvier 1992 déterminant les règles et barèmes pour la classification et l'évaluation des troubles psychiques de guerre ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ury,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né le 25 août 1936, a été militaire de carrière du 1er novembre 1956 au 9 septembre 1986, date à laquelle il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite. A la suite de l'arrêt de la cour régionale des pensions militaires de Bastia du 21 janvier 2003, il s'est vu concéder une pension militaire définitive à compter du 25 avril 2005 au taux de 100% assortie de l'allocation grand invalide (4/7) au titre des quatre infirmités qui sont les suivantes : psycho-syndrome post-traumatique au taux d'invalidité de 80%, séquelles de fracture de la jambe droite avec troubles trophiques au taux d'invalidité de 55%, troubles névritiques au taux d'invalidité de 10%, et troubles statiques vertébraux lombaires douloureux, inflexion lombaire droite avec bascule du bassin au taux d'invalidité de 50%+10. Il fait appel du jugement du 19 novembre 2018 par lequel le tribunal des pensions militaires de Haute-Corse a rejeté sa requête contre la décision du 28 novembre 2016 du ministre de la défense qui a refusé faire droit à sa demande de révision de sa pension enregistrée le 14 avril 2015, pour aggravation de son syndrome post-traumatique à hauteur de 100%.


Sur la révision de la pension :

2. Premièrement, aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre en vigueur à la date de la demande de révision de la pension de M. C..., devenu l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 p 100 au moins du pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ". Et en vertu des dispositions de l'article L. 6 du même code l'évolution des infirmités pensionnées s'apprécie sur une période comprise entre la date initiale d'octroi de la pension et celle de dépôt de la demande de révision, soit, en l'espèce, entre le 25 avril 2005 et le 14 avril 2015.

3. Deuxièmement, aux termes de l'article L. 9 de ce même code : " (...) / Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 %. / Quand l'invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l'intéressé bénéficie du taux afférent à l'échelon supérieur. / Pour l'application du présent article, un décret (...), détermine les règles et barèmes pour la classification des infirmités d'après leur gravité. / (...) ". L'article L. 10 précise que " Les degrés de pourcentage d'invalidité figurant aux barèmes prévus par le quatrième alinéa de l'article L. 9 sont : / a) Impératifs, en ce qui concerne les amputations et les exérèses d'organe ; / b) Indicatifs dans les autres cas. / Ils correspondent à l'ensemble des troubles fonctionnels et tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général. ".

4. Troisièmement, aux termes du guide barème annexé au décret du 10 janvier 1992 précité : Chapitre III Indemnisation : " L'attribution des pourcentages d'invalidité en matière de troubles psychiques présente d'importantes difficultés de mesure. En général, il est possible de quantifier (par des échelles à intervalles ou ordinales relativement rigoureuses) un degré d'invalidité dans le domaine somatobiologique proprement dit où l'expert s'appuie sur la notion d'intégrité physique (anatomique, physiologique et fonctionnelle). (...). En matière de troubles psychiques, ces pourcentages seront utilisés comme un code. Les éléments de celui-ci constituent une échelle nominale, dont les différents termes reçoivent à la fois une définition précise et explicite, s'appuyant sur des critères simples et généraux définissant le niveau d'altération du fonctionnement existentiel. Dans cette échelle, en pratique expertale, on peut distinguer six niveaux de troubles de fonctionnement décelables, qui seront évalués comme suit :
- absence de troubles décelables : 0 p. 100;
- troubles légers : 20 p. 100;
- troubles modérés : 40 p. 100;
- troubles intenses : 60 p. 100;
- troubles très intenses : 80 p. 100;
- déstructuration psychique totale avec perte de toute capacité existentielle propre, nécessitant une assistance de la société : 100 p. 100 ".

5. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment des certificats médicaux du 10 mars 2015 du docteur Casanova, psychiatre, et du 31 mars 2015 du docteur Ducommun, psychiatre, que la psycho-névrose de guerre de M. C... connait une détérioration progressive liée notamment à une grande souffrance morale. D'autre part, le rapport du 17 décembre 2015 du docteur Raptelet, expert mandaté par l'administration, et non du docteur Costa Le Bigot comme indiqué par erreur dans les écritures du requérant et dans le jugement attaqué, mentionne qu'il existe une perte de toute capacité existentielle propre de l'intéressé nécessitant un soutien familial permanent, notamment en raison de ce que son " humeur est affaissée avec rumination morbide et tendance au repli et à la fuite des contacts sociaux, se réfugiant dans sa chambre, luttant pour dormir le plus tard possible pour ne pas être assailli par les images qui ressurgissent ". Cet expert indique qu'il existe à la date de la demande d'aggravation du 14 avril 2015, une aggravation de l'invalidité de 20%, soit un passage du taux de 80% à un taux de 100%. Par ailleurs, il est constant que M. C... suit un traitement médicamenteux sévère.

6. D'autre part, il résulte des termes du guide barème cité au point 4 que le taux d'invalidité de 100% accordé en cas de destruction psychique totale correspond à la perte de toute capacité existentielle propre, nécessitant une assistance de la société.

7. En l'espèce, il est constant que M. C... ne fait l'objet d'aucune mesure de sauvegarde par voie judiciaire, qu'il s'est déplacé pour l'expertise et qu'il a répondu à l'expert. Ainsi, comme l'indique le médecin en charge des pensions militaires d'invalidité à la sous-direction des pensions, le taux de 100% proposé par l'expert ne peut pas correspondre à l'état de l'intéressé. Au surplus, aucun élément probant ne permet de contredire la thèse de l'administration selon laquelle l'examen clinique, les traitements dispensés et les séquelles ne sont pas de nature à établir une nette différence, supérieure à 10% avec l'appréciation portée lors des précédentes expertises et qui avait abouti à un taux de 80%, taux correspondant déjà à des troubles très sévères. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal des pensions militaires de Haute-Corse a retenu que l'infirmité de psycho-syndrome post-traumatique au taux d'invalidité de 80% ne s'était pas aggravée à hauteur de 20%.

8. Il résulte de ce qui ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la mesure d'expertise demandée par le requérant, qu'il n'est pas établi que l'infirmité pensionnée aurait connu une aggravation de nature à ouvrir droit, à son profit à une révision de sa pension d'invalidité au taux de 100%. Par suite, M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal des pensions militaires de Haute-Corse du 19 novembre 2018 qui rejette sa requête contre la décision du ministre de la défense du 28 novembre 2016.



D É C I D E :


Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 20 avril 2021, où siégeaient :

- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mai 2021.


N° 19MA05140 2