CAA de VERSAILLES, 6ème chambre, 28/05/2021, 19VE04088, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision28 mai 2021
Num19VE04088
JuridictionVersailles
Formation6ème chambre
PresidentM. ALBERTINI
RapporteurMme Eugénie ORIO
CommissaireMme MARGERIT
AvocatsSELARL ETG AVOCATS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner le département des Yvelines à lui verser la somme de 206 844 euros, assortie des intérêts avec capitalisation à compter du 30 décembre 2018, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de son accident de service intervenu le 21 septembre 2010.

Par une ordonnance n° 1903151 du 14 octobre 2019, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 décembre 2019 et un mémoire complémentaire enregistré le 7 août 2020, Mme A..., représentée par Me F..., avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de condamner le département des Yvelines à lui verser, avec intérêts et capitalisation des intérêts, les sommes de :
- 1140 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total, pour la période allant du 21 septembre 2010 au 27 octobre 2010 ;
- 690 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel, pour la période allant du 27 octobre 2010 au 24 novembre 2010, puis du 24 novembre 2010 au 16 décembre 2010 ;
- 12 000 euros au titre du préjudice sexuel temporaire ;
- 30 000 euros au titre des souffrances endurées ;
- 66 304 euros au titre de l'assistance par tierce personne ;
- 20 410 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;
- 30 000 euros au titre du retentissement professionnel ;
- 20 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
- 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément et des troubles dans les conditions d'existence ;
- 6 300 euros au titre des dépenses de santé futures ;
- 10 000 euros au titre du préjudice sexuel permanent ;

3°) de mettre à la charge du département des Yvelines la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu qu'elle avait saisi le département le 30 décembre 2018 d'une seconde réclamation tendant à obtenir l'indemnisation des mêmes chefs de préjudice et portant donc sur les mêmes objets et cause juridique ;
- la réponse défavorable à sa seconde demande ne peut être considérée comme une décision confirmative ;
- c'est aussi à tort que le tribunal a cru relever une absence de changement de circonstance de droit et de fait ;
- les voies et délais de recours n'ont jamais été portés à sa connaissance ;
- elle a droit à la réparation de ses préjudices à raison de la faute du département dans l'organisation du service de restauration scolaire qui implique également l'entretien des locaux et du matériel de cuisine ;
- elle a également droit à réparation du fait de l'insuffisance des mesures de protection tant individuelles que collectives qui auraient permis d'éviter l'accident ;
- subsidiairement, elle a droit à une indemnité complémentaire même en l'absence de faute de la collectivité au titre des préjudices non réparés par l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984.

.......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., pour Mme A..., et de Me B..., pour le département des Yvelines.


Considérant ce qui suit :

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

1. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel (...) et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance : (...) /4º Rejeter les requêtes manifestement irrecevables lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser (...) ".

2. Il résulte de l'instruction que Mme A... a demandé, le 15 décembre 2017, tant au département des Yvelines qu'au tribunal administratif de Versailles, sur le fondement tant de la jurisprudence du Conseil d'Etat du 2 juillet 2004, Mme E..., n° 211106, que de la circonstance que l'accident aurait pu être évité si toutes les mesures de précaution avaient été mises en place au sein de la cuisine scolaire, à commencer par la fourniture de protection adaptée, le versement par ce département de diverses sommes en réparation des préjudices subis du fait de l'accident de service survenu le 21 septembre 2010. Le département a opposé un rejet implicite à cette demande, puis Mme A... s'est désistée de sa demande devant le tribunal, désistement dont il lui a donné acte le 7 novembre 2018. En l'absence d'appel, cette décision est devenue définitive, la circonstance que la décision du département n'aurait pas été assortie des voies et délais de recours étant sans incidence. Dans ces conditions, le caractère définitif de cette décision s'oppose à ce que Mme A... introduise une action en responsabilité à l'encontre du département des Yvelines en vue d'obtenir la réparation des mêmes préjudices, imputés au même fait générateur et reposant sur les mêmes causes juridiques. Il résulte toutefois de l'instruction que tant dans sa nouvelle réclamation indemnitaire présentée le 30 décembre 2018 que dans sa demande présentée devant le tribunal le 25 avril 2019, Mme A... a demandé la réparation de son préjudice sexuel permanent, demande qu'elle n'avait pas présentée dans sa réclamation initiale. Dès lors, Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que sa demande relative au préjudice sexuel permanent a été rejetée comme irrecevable sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le 14 octobre 2019, par une ordonnance du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Versailles.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande relative au préjudice sexuel permanent présentée par Mme A....

Sur la responsabilité :

4. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

5. En vertu de l'article L. 213-2 du code de l'éducation dans sa version applicable au litige : " (...) Le département assure l'accueil, la restauration, l'hébergement ainsi que l'entretien général et technique, à l'exception des missions d'encadrement et de surveillance des élèves, dans les collèges dont il a la charge. (...) ". En vertu de l'article L. 213-2-1 du même code : " Le département assure le recrutement et la gestion des personnels techniciens, ouvriers et de service exerçant leurs missions dans les collèges. (...) ". En vertu de l'article 2 du décret du 10 juin 1985 susvisé : " Dans les collectivités et établissements mentionnés à l'article 1er, les locaux et installations de service doivent être aménagés, les équipements doivent être réalisés et maintenus de manière à garantir la sécurité des agents et des usagers. Les locaux doivent être tenus dans un état constant de propreté et présenter les conditions d'hygiène et de sécurité nécessaires à la santé des personnes. ". En vertu des dispositions de l'article 2-1 du même décret : " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité. ". Enfin, en vertu de l'article R. 4321-4 du code du travail rendu applicable aux services de restauration des collèges des départements par l'article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée : " L'employeur met à la disposition des travailleurs, en tant que de besoin, les équipements de protection individuelle appropriés et, lorsque le caractère particulièrement insalubre ou salissant des travaux l'exige, les vêtements de travail appropriés. Il veille à leur utilisation effective. ".

6. D'une part, il résulte de l'instruction que, le 21 septembre 2010, Mme A..., qui exerçait les fonctions d'agent territorial d'entretien et d'accueil des établissements d'enseignement au sein du département des Yvelines, a glissé sur le sol du service de restauration collective du collège Pasteur, à la Celle-Saint-Cloud où elle avait pour mission de participer à l'élaboration des repas et qu'elle est tombée dans une bassine d'huile bouillante, à cause des chaussures mises à sa disposition. Son accident a été reconnu imputable au service par un arrêté du 11 janvier 2011 du président du conseil général des Yvelines. Par un arrêté du 16 avril 2015, ce même président suivant l'avis de la commission de réforme actait la consolidation de l'état de santé de Mme A... au 20 janvier 2015 avec un taux d'incapacité permanente partielle de 25 %. Mme A... a ensuite déclaré une aggravation de son état de santé le 9 novembre 2015. Par un arrêté du 21 avril 2016, le président du conseil général des Yvelines reconnaissait les lésions décrites dans le certificat médical de rechute du 9 novembre 2015, en rapport direct, certain et total avec l'accident de service du 21 septembre 2010 et déclarait l'agent inapte de manière définitive à toute fonction.

7. D'autre part, si le département fait valoir qu'il n'a commis aucune faute dès lors qu'en vertu de l'article R. 421-10 du code de l'éducation, il incombait au chef d'établissement en qualité de représentant de l'Etat de prendre toutes dispositions, en liaison avec les autorités compétentes, pour assurer la sécurité des personnes et des biens, l'hygiène et la salubrité de l'établissement, il résulte des dispositions précitées au point 5 que le département est responsable de la sécurité des personnels et des locaux, le chef d'établissement n'intervenant qu'en liaison avec les autorités compétentes du département. Par ailleurs, il n'est ni établi ni même allégué que le chef d'établissement aurait été informé des problèmes matériels et d'organisation du service à l'origine du préjudice. Dès lors, la responsabilité du département est établie.

Sur le préjudice :

8. Le département fait valoir que la demande présentée au titre du préjudice sexuel permanent n'est étayée par aucune considération médicale. Toutefois, il résulte de l'instruction et particulièrement des certificats médicaux au dossier que Mme A... présente des séquelles étendues de brûlure au visage, au cou, au dos, aux cuisses et aux fesses et des limitations des mouvements du membre supérieur droit. Par suite, il y a lieu de lui accorder la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice sexuel permanent subi.

Sur l'appel en garantie et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir :

9. Pour les mêmes motifs que développés au point 7, l'appel en garantie présenté par le département à l'encontre de l'Etat ne peut qu'être rejeté.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le département des Yvelines demande à ce titre. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge du département des Yvelines une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... sur le fondement des mêmes dispositions.


DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1903151 par laquelle le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de Mme A... est annulée en tant qu'elle rejette la demande au titre du préjudice sexuel permanent.
Article 2 : Le département des Yvelines versera la somme de 2 000 euros à Mme A... en réparation de son préjudice sexuel permanent.
Article 3 : Le département des Yvelines versera la somme de 1 500 euros à Mme A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
N° 19VE04088 5