CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 28/05/2021, 19MA05179, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bastia d'annuler la décision du 4 avril 2016 par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation des infirmités " lombalgies chroniques " et " séquelles de traumatisme cervical ", et la prise en compte de l'infirmité nouvelle " scapulalgies gauches ".
Par un jugement n° 16/00033 du 18 mars 2019, le tribunal des pensions militaires de Bastia a rejeté la requête de M. E....
Procédure devant la Cour :
La cour régionale des pensions de Bastia a transmis à la cour administrative d'appel de Marseille, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la requête présentée par M. E..., enregistrée à son greffe le 30 avril 2019.
Par cette requête et un mémoire enregistré le 16 décembre 2020, M. F... E..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
- d'annuler ce jugement du tribunal des pensions militaires de Bastia du 18 mars 2019 ;
- de lui accorder l'aggravation de sa pension au titre des infirmités " lombalgies chroniques " et " séquelles de traumatisme cervical " ;
- à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise pour l'infirmité de " séquelles de traumatisme cervical "
- de laisser les dépens à la charge de l'Etat.
Il soutient que l'infirmité résultant des séquelles des lombalgies chroniques est imputable au service et non uniquement dans la mesure de 2% ; l'infirmité résultant des séquelles de traumatisme cervical a été évaluée au taux de 15% intégralement imputable au service par le docteur C... dans son expertise du 9 avril 2018, et il convient de retenir ce taux ; c'est à tort que le tribunal a considéré que l'origine traumatique de ces deux infirmités n'était pas établie et était non rattachable à des faits de service.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 25 février 2020 et le 17 février 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
La ministre fait valoir que les moyens de M. E... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 17 février 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au
19 mars 2021 à 12 heures.
M. E... bénéficie de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
31 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., substituant Me A..., pour M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., né le 14 décembre 1960 a été incorporé le 4 août 1988 au sein du
2ème Régiment étranger de parachutistes (R.E.P), et a été rayé des contrôles de l'armée active le
4 février 2014. Il a sollicité le 7 juillet 2011 le bénéfice d'une pension militaire au titre de cinq infirmités. Par décision du 4 avril 2016, il est titulaire d'une pension militaire d'invalidité temporaire concédée pour la période du 7 juillet 2011 au 6 juillet 2014 au titre de deux infirmités, " séquelles de fracture des 3ème et 4ème métatarsien gauches " (15%), et " séquelles de traumatisme du genou gauche avec fracture rotulienne " (15%). Il a sollicité le
23 septembre 2013 et le 24 mars 2014 la révision de sa pension pour aggravation de ses infirmités pensionnées, l'indemnisation des trois autres infirmités dont deux précédemment sollicitées et refusées, " scapulalgies gauche avec limitation des mouvements ", " séquelles de traumatisme cervical " et " lombalgies chroniques ", ainsi que la prise en compte de l'infirmité nouvelle " séquelles de traumatisme de l'épaule droite ". Il relève appel du jugement du
18 mars 2019 par lequel le tribunal des pensions militaires de Bastia a rejeté sa requête contre la décision du 4 avril 2016 en tant que lui est refusée l'aggravation de sa pension au titre des deux infirmités " séquelles de traumatisme cervical " et " lombalgies chroniques ".
Sur la révision de la pension :
2. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction applicable à la date de la demande : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins du pourcentage antérieur. ". Aux termes de l'article L. 10 du même code : " Les degrés de pourcentage d'invalidité figurant aux barèmes prévus par le quatrième alinéa de l'article L. 9 sont : (...) / b) Indicatifs dans les autres cas. / Ils correspondent à l'ensemble des troubles fonctionnels et tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général. ".
En ce qui concerne l'infirmité " séquelles de traumatisme cervical " :
3. D'une part, il résulte de l'instruction que M. E... a subi au moins
six traumatismes cervicaux en service, dont la chute sur le cou du capot d'un véhicule léger.
Le livret militaire de l'intéressé ne relève aucun état antérieur pathologique et notamment pas d'arthrose du rachis cervical. Le docteur C..., médecin désigné par le tribunal pour examiner l'intéressé, dans son expertise du 30 mars 2018, relève spécifiquement une névralgie cervico-brachiale chronique sur atteintes foraminales C3 à C7 gauches et des lésions liées à des discopathies dégénératives cervicales étagées de C3 à C7, responsables d'un rétrécissement canalaires et de rétrécissements foraminaux étagés, qui sont attestées par une I.R.M effectuée le 8 décembre 2011. Mais il note également au niveau du rachis cervical des rotations limitées à 45°, une flexion subnormale, l'hyperextension limitée à 10° et une nette limitation du mouvement des deux épaules. Dans ces conditions, le taux d'invalidité de cette infirmité doit être fixé à 20% et non à 15% comme évalué par ce médecin. D'autre part, il résulte de l'instruction que, par une décision du 3 septembre 2012, le ministre de la défense a refusé de concéder une pension à M. E... au titre de l'infirmité de " séquelles de traumatisme cervical sur un état antérieur cervico-arthrosique multi-étagé important de C3 à C7 avec pincements discaux, rétrolisthésis, arthrose ostoéphytique et sténose canalaire et foraminale " estimée à un taux d'invalidité global de 10% au motif qu'elle résultait pour une part d'accidents sans lien avec le service dans une proportion de 8%. Cette décision, non contestée, est devenue définitive, en l'absence de fait nouveau et alors même que, dans son expertise du 30 mars 2018 le docteur C... ne retient aucun état antérieur, de même que le docteur Chinelatto, dans son rapport du
2 octobre 2014. Par suite, ce taux de 8% s'applique nécessairement au taux de 20% retenu
ci-avant. Il en résulte que M. E... peut prétendre une pension au titre de cette infirmité dans une proportion de 12%. Il s'ensuit que M. E... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande au titre de l'infirmité " séquelles de traumatisme cervical " en raison de ce qu'elle ne satisfaisait pas à la condition d'une invalidité d'un taux d'au moins 10%, comme exigé par l'article L. 29 précité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
En ce qui concerne l'infirmité " lombalgies chroniques " :
4. Comme dit par les premiers juges, l'origine traumatique de cette infirmité n'est pas contestée. Il résulte de l'instruction, et notamment du livret militaire de l'intéressé, qu'il a subi neuf épisodes de lombalgies post-traumatiques durant la période de son engagement militaire faisant suite à des sauts en parachute. Il résulte des termes de l'expertise précitée du docteur C..., que la gêne fonctionnelle liée à cette infirmité est très invalidante pour M. E.... Dans ces conditions, le taux d'invalidité de cette infirmité doit être évalué à 20% au regard du guide barème d'invalidité. D'autre part, par une décision du 3 décembre 2010, le ministre de la défense a refusé de concéder une pension à M. E... au titre de l'infirmité de " séquelles de traumatisme lombaire " estimée à un taux d'invalidité global de 10% au motif qu'elle résultait pour une part d'accidents sans lien avec le service dans une proportion de 8%. Cette décision est devenue définitive pour ne pas avoir été contestée dans les délais de recours contentieux en l'absence de fait nouveau et alors même que, dans son expertise du 30 mars 2018 le docteur C... ne retient aucun état antérieur. Par suite, l'autorité de la chose décidée qui s'attache à ce taux de 8% s'applique nécessairement au taux précité de 20%. Il en résulte que M. E... peut prétendre à l'aggravation de cette infirmité dans une proportion de 12%. Par suite, c'est à tort que le tribunal des pensions militaires de Bastia a retenu que l'infirmité " lombalgies chroniques " ne pouvaient ouvrir droit à pension à hauteur d'au moins 10%, comme exigé par l'article L. 29 précité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, que M. E... est fondé à soutenir que, c'est à tort que le ministre des armées a refusé de lui accorder une concession de pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité " séquelles de traumatisme lombaire " et " séquelles de traumatisme cervical avec un taux d'invalidité de 12%. Par suite, M. E... est fondé à demander l'annulation de jugement attaqué et de la décision ministérielle de refus.
Sur les dépens :
6. Les dépens, constitués par les frais d'expertise du docteur C..., sont laissés à la charge définitive de l'Etat.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions militaires de Bastia du 18 mars 2019 est annulé.
Article 2 : La décision du ministre de la défense du 4 avril 2016 est annulée en tant qu'elle refuse d'accorder à M. E... une pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité " séquelles de traumatisme cervical " et qu'elle rejette sa demande de pension pour l'infirmité lombalgies chroniques ".
Article 3 : M. E... a droit, à compter du 23 septembre 2013, à une pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité " lombalgies chroniques " au taux de 12%.
Article 4 : M. E... a droit, à compter du 23 septembre 2013, à une pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité " séquelles de traumatisme cervical " au taux de 12%.
Article 5 : Les frais d'expertise du docteur C... sont mis à la charge définitive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E..., à Me A... et à la ministre des armées.
Copie en sera adressée à l'expert, M. C....
Délibéré après l'audience du 11 mai 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2021.
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N° 19MA05179