CAA de LYON, 7ème chambre, 09/12/2021, 21LY00437, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision09 décembre 2021
Num21LY00437
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. ARBARETAZ
RapporteurMme Claire BURNICHON
CommissaireM. CHASSAGNE
AvocatsTEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 2 août 2018 par laquelle la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de son époux, diagnostiquée le 29 septembre 2015.

Par jugement n° 1806210 du 14 décembre 2020, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 14 février 2021, Mme A... B..., représentée par Me Macouillard, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 14 décembre 2020 et la décision du 2 août 2018 ;
2°) d'enjoindre à la société Orange de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont est décédé son époux ;
3°) de mettre à la charge de la société Orange le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- son époux a effectué l'intégralité de sa carrière au sein de la société France Télécom devenue Orange durant laquelle il a été amené à être en contact avec des parasurtenseurs radioactifs ; il a été aussi régulièrement exposé à des poussières et vapeurs de plomb et à des ondes électromagnétiques émises par son téléphone portable professionnel ;
- le 29 septembre 2015, alors âgé de 59 ans, il s'est vu diagnostiquer un glioblastome de stade IV, forme maligne de tumeur cérébrale emportant son décès le 20 novembre 2015 ;
- plusieurs médecins dont le médecin de travail auprès de la société Orange, ont conclu à la possibilité d'un lien de causalité entre la pathologie développée par M. B... et les fonctions exercées et notamment avec l'exposition radioactive, la manipulation et l'utilisation de parasurtenseurs ainsi que le contact prolongé et rapproché avec les antennes de téléphonie mobile ;
- la décision en litige est entachée d'erreur d'appréciation quant aux éléments radioactifs manipulés par son époux et quant à son exposition professionnelle aux rayonnements ionisants et le lien de causalité entre ces expositions professionnelles et les tumeurs au cerveau est scientifiquement démontré ;
- les radiofréquences utilisées pour les téléphones mobiles sont aussi classées cancérogènes possibles pour les risques de gliome ; son époux a été exposé lors de ses activités de technicien à plusieurs facteurs de risques avérés ou suspectés pour les tumeurs cérébrales sur une durée de presque 40 ans et notamment à des rayonnements ionisants, à des radiofréquences par l'usage intensif du téléphone mobile et aux vapeurs et poussières de plomb lors des travaux sur câbles téléphoniques.

Par mémoire enregistré le 23 juin 2021, la société Orange, représentée par Me Guillaume, conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de Mme B... le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en soutenant que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 17 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 juillet 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- le code des pensions civiles et militaires ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, première conseillère,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
- et les observations de Me Macouillard pour Mme B... et de Me Perche substituant Me Guillaume pour la société Orange ;


Considérant ce qui suit :

1. M. B..., agent public de France Télécom devenue la société Orange, après avoir fait valoir ses droits à la retraite le 1er janvier 2014, a demandé, le 29 septembre 2015, la reconnaissance de l'imputabilité au service de la tumeur cérébrale qui venait de lui être diagnostiquée. Après son décès, survenu le 20 novembre 2015, son épouse a contesté devant le tribunal administratif de Grenoble la décision du 2 août 2018 portant refus de reconnaissance d'imputabilité au service. Elle relève appel du jugement du 14 décembre 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires : " Le fonctionnaire civil radié des cadres (...) a droit à une rente viagère d'invalidité cumulable (...) avec la pension rémunérant les services. / Le droit à cette rente est également ouvert au fonctionnaire retraité qui est atteint d'une maladie professionnelle dont l'imputabilité au service est reconnue par la commission de réforme postérieurement à la date de la radiation des cadres (...) ".
3. Dans les cas où est en cause une affection à évolution lente et susceptible d'être liée à l'exposition d'un agent à un environnement ou à des substances toxiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération les éléments du dossier relatifs à l'exposition de l'agent à cet environnement ou à ces substances, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer. Il revient ensuite aux juges du fond de déterminer si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle. Lorsque tel est le cas, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'employeur n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie. En outre, des facteurs multiples d'exposition ne peuvent emporter une nocivité supérieure à chacun d'eux que si, isolément, ils sont reconnus comme une cause possible de la maladie survenue en raison ou lors du service.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., entré en fonction en 1974 auprès de France Télécom, a tout d'abord été auxiliaire service lignes à compter du 5 août 1974 puis agent technique à partir du 25 avril 1978, avant d'exercer les fonctions d'agent câbles régionaux SIDR à compter du 4 février 1994 et de technicien de production et maintenance à compter du 1er juillet 1996. Selon le rapport de son supérieur hiérarchique direct, les fonctions de l'intéressé comprenaient de la maintenance curative en réseaux souterrains, des travaux de maintenance préventive, de la mise en service client et des relations clients emportant la réalisation de travaux en intérieur et extérieur au quotidien avec l'utilisation notamment d'un téléphone mobile.

5. Il ressort des pièces du dossier que l'exposition de M. B... au radium 226 et au tritium, éléments radioactifs contenus dans les parafoudres et paratenseurs est avérée à raison d'une fois par mois, ainsi qu'il l'a lui-même indiqué dans un questionnaire d'évaluation des risques professionnels, le 10 juin 2013. Si France Télécom a cessé de s'approvisionner en parafoudres équipés de composants radioactifs dès 1978, les paratenseurs radioactifs ont été maintenus jusqu'en 2013. Il suit de là que M. B... a été exposé jusqu'à la cessation de son activité à des équipements émettant des radiations ionisantes.
6. Toutefois, l'étude sur pièces réalisée à la demande de la commission de réforme, si elle rappelle que les radiations ionisantes sont des cancérigènes établis et que le risque s'accroît avec la dose reçue, conclut à l'innocuité des doses auxquelles a pu être exposé M. B... tout au long de sa carrière, à raison tant des faibles rayonnements émis par les équipements qu'il entretenait que de la fréquence de leur manipulation, d'où une exposition estimée à des valeurs comprises entre 0,003 et 0,07 milli-sievert par an, alors que la limite règlementaire d'exposition annuelle est de 20 milli-sievert. Ces éléments, non sérieusement contestés, tendent à démontrer qu'en l'état des connaissances scientifiques, l'exposition de M. B... ne peut être la cause de la pathologie qu'il a développée, sans que puisse être utilement invoquée l'absence de suivi dosimétrique des agents qui, s'il avait été pratiqué sur M. B..., n'aurait fait que confirmer sa faible exposition.

7. Enfin, si M. B... ne présentait aucune prédisposition ou facteur favorisant l'apparition de sa pathologie, le rapport précité a relevé à partir des données de la littérature médicale, d'une part, que le risque de glioblastome augmente linéairement avec l'âge jusqu'à 75 ans et que les hommes y sont plus particulièrement exposés, d'autre part, que le délai d'apparition de la tumeur ne permet pas de regarder l'exposition occasionnelle aux équipements radioactifs décrits plus haut comme un facteur aggravant d'une prédisposition à développer la maladie.
8. Compte tenu de la faible exposition de M. B... aux éléments radioactifs lors de son activité professionnelle, de la nature de sa pathologie, de la période de son diagnostic et de son évolution rapidement défavorable, nonobstant le caractère cancérigène des éléments radioactifs contenus dans les parafoudres qu'il a été amené à manipuler, les données acquises de la science ne permettent pas de retenir une probabilité suffisante que la pathologie qui a affecté M. B... soit en rapport avec son activité professionnelle.
9. S'agissant d'une part, de l'exposition de M. B... aux poussières de plomb et, d'autre part de l'exposition aux radiofréquences compte tenu de l'utilisation dans le cadre professionnel d'un téléphone mobile durant deux heures par journée de travail, en l'état actuel de la science, aucun lien de causalité n'a été relevé entre ces deux facteurs de risques et le développement d'une tumeur au cerveau. Par suite, Mme B... n'est pas davantage fondée à soutenir que l'exposition de son époux lors de son activité professionnelle a provoqué l'apparition de la pathologie qui lui a été diagnostiquée en septembre 2015.
10. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 2 août 2018 par laquelle la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de son époux diagnostiquée le 29 septembre 2015. Ses conclusions aux fins d'annulation doivent être rejetées, ainsi que, et par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la société Orange n'étant pas partie perdante. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Orange sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


DECIDE :


Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Orange tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la société Orange.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
Mme Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 décembre 2021.

N° 21LY00437