CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 24/12/2021, 19MA05144, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal des pensions de Bastia d'annuler la décision du 28 novembre 2016 par laquelle le ministre de la défense a rejeté ses demandes de révision de pension militaire d'invalidité pour aggravation des infirmités dites " lombalgies chroniques " et " névrose traumatique de guerre ".
Par un jugement n° 17/00006 du 17 septembre 2018, le tribunal des pensions de Bastia a annulé la décision ministérielle du 28 novembre 2016 et a fait droit à la demande de révision de pension militaire d'invalidité de M. B..., à compter du 10 avril 2014, pour aggravation de l'infirmité dite " lombalgies chroniques ", au taux de 50 % et pour aggravation de l'infirmité dite " névrose post-traumatique de guerre " au taux de 95 %.
Procédure devant la Cour :
La cour régionale des pensions militaires de Bastia a transmis à la cour administrative d'appel de Marseille, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, le recours présenté par le ministre de la défense, et son mémoire complémentaire, enregistrés à son greffe le 16 octobre 2018 et le 11 juillet 2019.
Par ce recours et ce mémoire, la ministre des armées demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions de Bastia du 17 septembre 2018 en tant qu'il a retenu un taux d'invalidité de 95 % au titre de l'aggravation de l'infirmité dite " névrose post-traumatique de guerre " pour faire droit à la demande de révision de pension de M. B... ;
2°) de rejeter la demande de M. B... dans cette mesure.
La ministre soutient que :
- en estimant que l'anhédonie dont souffre le demandeur n'apparaissait pas lors de sa précédente demande de pension et qu'elle constitue une aggravation de son syndrome de névrose post-traumatique de guerre, le tribunal a dénaturé les conclusions de l'expert qui s'est prononcé sur sa demande de révision, et celles de l'expert qui s'est prononcé pour les besoins de la précédente demande, dont la comparaison ne fait apparaître aucune aggravation de l'infirmité ;
- en outre cette infirmité, qui ne se traduit pas par une détérioration de type démentiel, ne correspond pas au taux de 95 % dans les prévisions du guide-barème mais bien un taux d'invalidité de 80 %, conformément aux articles L. 9 et L. 10 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- une expertise judiciaire ne serait pas utile pour trancher cette question.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2019, M. B..., représenté par
Me Eon, conclut au rejet du recours et à ce que les dépens soient mis à la charge de l'Etat.
Il fait valoir que :
- la ministre ne remet pas en cause le jugement en ce qu'il a fait droit à sa demande de révision pour aggravation des lombalgies chroniques au taux de 50 % ;
- l'expert, qui avait connaissance des précédentes expertises et de l'entier dossier du demandeur, a estimé à bon droit que le syndrome dépressif s'était aggravé par la survenance d'une anhédonie, non diagnostiquée en 2010 ;
- il est prêt à se soumettre à une expertise judiciaire, le cas échéant.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., sous-officier, rayé des contrôles le 10 juillet 1970, a demandé les
10 avril 2014 et 12 février 2015 la révision de sa pension militaire d'invalidité, respectivement pour aggravation de l'infirmité dite " lombalgies chroniques " et pour aggravation de l'infirmité dite " névrose traumatique de guerre ". Par décision du 28 novembre 2016, le ministre de la défense a refusé de faire droit à cette demande. Par jugement du 17 septembre 2018, le tribunal des pensions de Bastia a annulé cette décision et jugé que M. B... avait droit à la révision de sa pension militaire d'invalidité, à compter du 10 avril 2014, pour aggravation de la névrose traumatique de guerre, suivant le taux d'invalidité de 95 %, et pour aggravation des lombalgies chroniques, au taux d'invalidité de 50 %. Par son recours et son mémoire complémentaire, la ministre des armées doit être regardée comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de révision de pension de M. B... pour aggravation de la première de ces infirmités, au 95 %, à compter du 10 avril 2014, et annulé dans cette mesure la décision de rejet du 28 novembre 2016.
Sur le cadre juridique applicable :
2. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre en vigueur à la date de la demande de révision de la pension de M. B..., le 12 février 2015 : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 p 100 au moins du pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ". En vertu des dispositions de l'article L. 6 du même code, l'évolution des infirmités pensionnées s'apprécie sur une période comprise entre la date initiale d'octroi de la pension et celle de dépôt de la demande de révision. Lorsque la pension accordée au titre d'une infirmité a été révisée pour aggravation de cette infirmité et qu'est présentée une nouvelle demande de révision pour aggravation de la même infirmité, l'évolution de celle-ci s'apprécie sur une période comprise entre la date d'octroi de la pension révisée et celle du dépôt de la nouvelle demande de révision.
3. Il résulte de l'instruction que M. B... avait présenté le 19 octobre 2009 une première demande de révision de sa pension militaire d'invalidité, au motif de l'aggravation de l'infirmité dénommée " névrose traumatique de guerre avec éléments anxio-dépressifs et repli social ", rejetée le 21 mai 2012, et que c'est par jugement du tribunal des pensions de Bastia du 15 juillet 2013 qu'il a été fait droit à cette demande, au taux de 80 %, à compter du
19 octobre 2009. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que, afin d'apprécier les droits à pension de l'intéressé sur sa demande de révision présentée le 12 février 2015, pour aggravation de cette infirmité, il revient au juge des pensions d'apprécier l'évolution de celle-ci sur la période comprise entre le 15 juillet 2013 et le 12 février 2015, notamment en comparant les diagnostics établis antérieurement à sa demande.
Sur les droits à pension de M. B... :
4. Au soutien de sa demande de révision de sa pension, M. B... a produit un certificat de son psychiatre établi le 9 février 2015 concluant à l'aggravation de sa névrose traumatique de guerre avec une exacerbation " des syndromes de répétition nocturnes et diurnes, un retrait social et familial, une anxiété importante, une perte de l'élan vital, une anhédonie, des perturbations de caractère des troubles cognitifs massifs prédominants sur l'attention, la concentration et la mémoire immédiate " ainsi que " une perte d'intérêt pour les activités plaisantes, des ruminations mentales douloureuses et des perturbations relationnelles ". Dans son rapport du 21 juillet 2015, le médecin expert, qui conclut également à une aggravation de cette infirmité, relève à cette fin chez l'intéressé une anhédonie avec troubles des fonctions supérieures, sans état de détérioration de type démentiel cliniquement observable, un syndrome de reviviscence diurne et nocturne, des troubles caractériels avec perte d'intérêt, péjoration existentielle et ruminations mentales centrées sur les événements de guerre revécus.
5. Certes, contrairement à ce que prétend la ministre, la comparaison de ces éléments de constat et d'appréciation d'ordre médical, et de ceux contenus dans le rapport d'expertise psychiatrique établi le 16 mars 2010 pour l'instruction de sa précédente demande de révision de pension, après une hospitalisation de M. B... de deux jours en février 2009 pour troubles mnésiques et troubles de l'humeur, et constitutif du rapport médical le plus récent à la date de la demande en cause, peut être considérée comme montrant une aggravation de la névrose dont il souffre par apparition d'un anhédonie définie cliniquement comme une insensibilité au plaisir, bien que certaines manifestations de cette affection aient été relevées dès le 16 mars 2010 et que des symptômes alors décrits ne figurent pas dans la description livrée dans le rapport du
21 juillet 2015.
6. Toutefois, aux termes de l'article L. 9 de ce même code : " (...) / Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 %. / Quand l'invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l'intéressé bénéficie du taux afférent à l'échelon supérieur. / Pour l'application du présent article, un décret (...), détermine les règles et barèmes pour la classification des infirmités d'après leur gravité. / (...) ". L'article L. 10 précise que : " Les degrés de pourcentage d'invalidité figurant aux barèmes prévus par le quatrième alinéa de l'article L. 9 sont : /
a) Impératifs, en ce qui concerne les amputations et les exérèses d'organe ; / b) Indicatifs dans les autres cas. / Ils correspondent à l'ensemble des troubles fonctionnels et tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général ". Aux termes du chapitre III du guide barème annexé au décret du 10 janvier 1992 : " L'attribution des pourcentages d'invalidité en matière de troubles psychiques présente d'importantes difficultés de mesure. En général, il est possible de quantifier (par des échelles à intervalles ou ordinales relativement rigoureuses) un degré d'invalidité dans le domaine somatobiologique proprement dit où l'expert s'appuie sur la notion d'intégrité physique (anatomique, physiologique et fonctionnelle). (...). En matière de troubles psychiques, ces pourcentages seront utilisés comme un code. Les éléments de celui-ci constituent une échelle nominale, dont les différents termes reçoivent à la fois une définition précise et explicite, s'appuyant sur des critères simples et généraux définissant le niveau d'altération du fonctionnement existentiel. Dans cette échelle, en pratique expertale, on peut distinguer six niveaux de troubles de fonctionnement décelables, qui seront évalués comme suit : / - absence de troubles décelables : 0 p. 100 ; / - troubles légers : 20 p. 100 ; / - troubles modérés : 40 p. 100 ; / - troubles intenses : 60 p. 100 ; / - troubles très intenses : 80 p. 100 ; / - déstructuration psychique totale avec perte de toute capacité existentielle propre, nécessitant une assistance de la société : 100 p. 100 ".
7. Il ne résulte ni de la comparaison des rapports d'expertise médicale cités au point 4, ni des autres pièces du dossier, que sur la période comprise entre le 15 juillet 2013 et le
12 février 2015, l'intéressé présenterait des signes objectifs ou cliniques susceptibles d'établir une aggravation significative de son infirmité. D'ailleurs, alors que le rapport d'expertise du
21 juillet 2015 indique que l'anhédonie dont souffre désormais l'intéressé, avec troubles des fonctions supérieures, ne s'accompagne pas d'une détérioration de type démentiel cliniquement observable, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est du reste pas allégué par l'intimé que l'aggravation de ses troubles psychiques, dont l'invalidité d'un degré de 80% correspond dans l'échelle préconisée par le guide-barème à des troubles très intenses, se serait traduite, sur la période de référence, par une altération totale ou quasi-totale du fonctionnement existentiel ou par une destruction psychique nécessitant l'assistance de la société ou, à tout le moins, d'une tierce personne, justifiant un taux d'invalidité supplémentaire supérieur à 10% et ainsi susceptible d'emporter la révision de sa pension sur le fondement de l'article 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler sa décision du 26 novembre 2018, le tribunal des pensions de Bastia a considéré que l'aggravation de la névrose traumatique de guerre de M. B... ouvrait droit à la révision de sa pension militaire d'invalidité au taux de 95%, à compter du 10 avril 2014. Il suit de là que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a fait droit à cette demande de révision, et en tant qu'il a annulé la décision du 26 novembre 2018 rejetant cette demande.
8. La présente instance, non plus que la première instance, n'ayant donné lieu à dépens, les conclusions y afférentes ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 17/00006 du 17 décembre 2018 du tribunal des pensions de Bastia est annulé en tant qu'il a fait droit à la demande de révision de pension militaire d'invalidité de M. B... pour aggravation de l'infirmité dite " névrose traumatique de guerre " à compter du 10 avril 2014, et en tant qu'il a annulé la décision du ministre de la défense du
28 novembre 2016 rejetant cette demande.
Article 2 : La demande de M. B... tendant à la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité dite " névrose traumatique de guerre " à compter du
10 avril 2014 est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 21 décembre 2021, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- Mme Marchessaux, première conseillère,
- Mme Renault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 décembre 2021.
N° 19MA051442