CAA de DOUAI, 3ème chambre, 20/01/2022, 21DA00355, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision20 janvier 2022
Num21DA00355
JuridictionDouai
Formation3ème chambre
PresidentMme Borot
RapporteurMme Ghislaine Borot
CommissaireM. Cassara
AvocatsADEKWA LILLE METROPOLE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'enjoindre au centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq de produire dans son intégralité le rapport d'audit concernant les conditions de travail et le management au service animation et de condamner le centre communal d'action sociale de Villeneuve d'Ascq à lui verser la somme de 26 260 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 2018, date de réception de sa demande indemnitaire préalable, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n°1808483 du 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 février 2021, Mme B... C..., représentée par Me Anaïs De Bouteiller, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'enjoindre au centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq, sur le fondement de l'article R. 626-1 du code de justice administrative, de produire dans son intégralité le rapport d'audit concernant les conditions de travail et le management au service animation ;


3°) de le condamner à lui verser la somme de 31 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 2018, date de réception de sa demande préalable, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la dégradation de ses conditions de travail en lien avec une situation de harcèlement moral et en raison du refus de protection fonctionnelle qui lui a été opposé ;

4°) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me Anaïs de Bouteiller, représentant Mme C... et Me Olivier Playous, représentant le centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq.




Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., épouse C..., animatrice principale de 1ère classe, occupait, depuis septembre 2005, le poste de responsable de l'animation socio-culturelle auprès des personnes âgées au sein du centre communal d'action sociale (CCAS) de Villeneuve-d'Ascq. Mme C... a été placée en arrêt de travail à compter du 23 septembre 2016 pour dépression. Par courrier du 26 février 2018, elle a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle et a présenté une réclamation indemnitaire en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis à raison notamment de faits de harcèlement moral et de la carence fautive de son employeur pour mettre fin à cette situation. Par une décision du 16 avril 2018, le président du centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq a rejeté ses demandes. Elle a alors formé un recours gracieux contre cette décision par lettre du 19 juin 2018. Cette demande a été rejetée par le président du CCAS de Villeneuve-d'Ascq, par un courrier du 19 juillet 2018. Mme C... relève appel du jugement du 15 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, Mme C... soutient que le tribunal aurait dû ordonner, comme elle le demandait, la communication intégrale du rapport d'audit établi à la suite de la demande du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail. Toutefois, le tribunal administratif n'était pas tenu de procéder à une telle mesure, dès lors qu'il a estimé, en se fondant sur les seules pièces du dossier, que la requérante n'avait pas été victime d'agissements de harcèlement moral. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait méconnu son office en ne procédant pas à cette mesure d'instruction doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...). / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le second mémoire en défense du CCAS de Villeneuve-d'Ascq, enregistré au greffe du tribunal le 31 janvier 2020, trois jours avant la clôture d'instruction intervenue le 3 février 2020, n'a pas été communiqué à Mme C.... Mais ce mémoire se bornait à réitérer une contestation des moyens soulevés par Mme C..., sans contenir d'élément nouveau au sens de l'article R. 611-1 du code de justice administrative. Cette absence de communication n'a donc pas pu préjudicier aux droits de l'intéressée. Par suite, le moyen tiré de ce que le principe du contradictoire a été méconnu doit être écarté.

5. En troisième lieu, les moyens tirés de ce que le tribunal administratif s'est fondé à tort sur l'absence de volonté de nuire de la cheffe de service de Mme C..., de ce qu'il n'a pas tenu compte de son état de santé et de ce qu'il a entaché son jugement d'une contradiction de motifs ne se rapportent pas à la régularité du jugement mais à son bien-fondé.


Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne un harcèlement moral :

6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".

7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

8. Mme C... fait valoir qu'à compter de l'année 2012, elle a fait l'objet de brimades, de vexations, d'insultes et de dénigrement systématique de son travail par sa supérieure hiérarchique, responsable de secteur et qu'elle a dû consulter la psychologue du travail au cours de l'année 2013. Elle se prévaut d'attestations circonstanciées de collègues qui font état d'une ambiance notablement dégradée avec l'arrivée de cette nouvelle responsable. Un rapport établi à la suite d'un audit demandé par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, saisi par Mme C..., corrobore ce constat. Mme C... souligne avoir été victime d'une dépression, pour laquelle elle a été placée en congé pour invalidité temporaire, reconnue comme imputable au service par un arrêté du 1er décembre 2017.

9. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'audit, même en partie occulté, que la dégradation des conditions de travail dans le service animation résulte non pas d'un exercice anormal du pouvoir hiérarchique mais d'un management défaillant de la supérieure hiérarchique, peu intéressée par ses missions d'encadrement, et incapable de créer un collectif de travail. Il y est notamment relevé qu'elle a progressivement abandonné l'organisation de réunions de service en dépit de demandes en ce sens alors qu'elle ne se trouvait pas géographiquement à proximité du service animation. Son arrivée a conduit à une perte d'autonomie pour les agents, qui avaient jusqu'alors l'habitude de rendre compte directement de leur projet d'animation auprès des élus. Toutefois, les fiches de notation versées au dossier montrent que la supérieure de Mme C... avait une appréciation positive de son travail. Cette dernière n'apporte aucun élément de nature à démontrer que ces appréciations positives révèleraient en réalité une attitude malintentionnée de la part de sa cheffe. En outre, la circonstance que la pathologie de Mme C... ait été reconnue imputable au service ne suffit pas à faire présumer que sa maladie aurait pour origine des faits de harcèlement moral. Dès lors, en dépit de l'attitude parfois inadaptée de sa responsable hiérarchique, Mme C... ne rapporte pas d'éléments permettant de présumer de l'existence d'un harcèlement moral. Ses conclusions indemnitaires présentées à ce titre doivent dès lors être rejetées.

En ce qui concerne le refus de protection fonctionnelle :

10. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ". Si la protection fonctionnelle résultant d'un principe général du droit n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

11. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme C... aurait été victime de harcèlement moral, ni que les actes de sa supérieure hiérarchique seraient insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par suite, le centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq n'a pas commis de faute en refusant de faire droit à la demande de protection fonctionnelle de Mme C.... Ses conclusions indemnitaires présentées à ce titre doivent être également rejetées.



En ce qui concerne l'obligation de prévention et de protection de la santé et de la sécurité :

12. Aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail. ". Aux termes de l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale : " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ". Aux termes de l'article 3 de ce décret : " En application de l'article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, dans les services des collectivités et établissements mentionnés à l'article 1er, les règles applicables en matière de santé et de sécurité sont, sous réserve des dispositions du présent décret, celles définies aux livres Ier à V de la quatrième partie du code du travail et par les décrets pris pour leur application (...) ". Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. (...) ".

13. Au cours de la période 2012/2015, le centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq n'est pas resté inactif au regard des tensions relationnelles existant au sein du service animation entre les agents et leur supérieure hiérarchique directe. Des entretiens ont eu lieu entre les agents, dont Mme C..., et leur supérieur N+2, afin d'apaiser ces tensions et l'ambiance de travail. Même si la situation a continué de se dégrader au cours de l'année 2016, deux alertes de la médecine de prévention à cinq mois d'intervalle ayant été notifiées au centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq, il ne résulte pas pour autant de l'instruction au vu de la nature des difficultés signalées, le plus souvent oralement par les agents, que la situation aurait nécessairement requis d'autres mesures plus appropriées que celles consistant à organiser des rencontres et à favoriser l'échange au sein de l'équipe. A l'occasion de l'arrivée d'un nouveau directeur du centre communal d'action sociale en 2016, de nouveaux entretiens ont eu lieu sur les dysfonctionnements notamment avec l'appelante, le chef du service personnes âgées et le directeur. Ce dernier a d'ailleurs pris en charge l'animation de réunions de service qui avaient progressivement disparu. A la suite d'un incident survenu le 16 mars 2016, le directeur a rencontré Mme C... dans son bureau puis a, le même jour, rencontré sa supérieure hiérarchique, dans une recherche d'apaisement des tensions. Le 5 avril 2016, il a également organisé une réunion portant non seulement sur le projet de service mais également sur l'amélioration des relations entre l'équipe et la supérieure hiérarchique. La première alerte donnée par les professionnels de santé sur l'ambiance de travail au sein du service animation des aînés n'est intervenue que le 20 mai 2016. A la suite de cette alerte, le directeur du centre communal d'action sociale a rencontré les trois agents du service puis leur cheffe, en présence du directeur des ressources humaines. Une nouvelle alerte a été formalisée le 21 octobre 2016 par les professionnels de santé, qui a donné lieu à de nouvelles réunions, lesquelles se sont par ailleurs inscrites dans un contexte plus général de réorganisation des services. Le CCAS de Villeneuve-d'Ascq a également suivi les pistes d'amélioration préconisées par le cabinet d'audit en renforçant notamment les effectifs du service. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le centre communal d'action sociale de Villeneuve d'Ascq a entrepris des démarches en vue d'un apaisement des tensions. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le CCAS de Villeneuve-d'Ascq a commis une faute au titre de son obligation de prévention et de protection de la santé et de la sécurité et ses conclusions indemnitaires présentées sur ce fondement doivent être également rejetées.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de procéder à la mesure d'instruction prévue à l'article R. 626-1 du code de justice administrative sollicitée par l'appelante, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés à l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme C..., au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... la somme réclamée par le centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq sur ce même fondement.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre communal d'action sociale de Villeneuve-d'Ascq au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., épouse C... et au centre communal d'action sociale (CCAS) de Villeneuve-d'Ascq.

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N°21DA00355
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N°"Numéro"