CAA de PARIS, 8ème chambre, 21/03/2022, 21PA01715, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision21 mars 2022
Num21PA01715
JuridictionParis
Formation8ème chambre
PresidentM. LE GOFF
RapporteurMme Aude COLLET
CommissaireMme BERNARD
AvocatsLE CALVIC

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au Tribunal des pensions militaires d'invalidité de la Polynésie française d'annuler la décision de la ministre des armées du 10 juillet 2018 rejetant sa demande de pension militaire d'invalidité pour une surdité bilatérale.

Par un jugement avant-dire droit du 16 juin 2020, le Tribunal administratif de Polynésie française, auquel le recours a été transféré en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, a annulé la décision de la ministre des armées du 10 juillet 2018 et ordonné une expertise avant-dire droit.

Par ordonnance du 15 juillet 2020, le président du tribunal a désigné le docteur C... B... en qualité d'expert.

L'expert a déposé son rapport au greffe le 28 septembre 2020.

Par les jugements n° 1900408 des 16 juin 2020 et 4 février 2021, le Tribunal administratif de la Polynésie française a, d'une part, annulé la décision de la ministre des armées du 10 juillet 2018 et ordonné une expertise avant de statuer sur le taux d'invalidité de M. A... et, d'autre part, a accordé à M. A... une pension militaire d'invalidité au taux de 25 % à compter du 17 septembre 2014 et mis à la charge de l'Etat la somme de 150 000 francs CFP au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 avril 2021 et 17 janvier 2022, la ministre des armées demande à la Cour :

1°) d'annuler les jugements du 16 juin 2020 et du 4 février 2021 du Tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a accordé à M. A... le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 25 % à compter du 17 septembre 2014 ;

2°) de confirmer la décision de la ministre des armées du 10 juillet 2018 ;

3°) de récuser le rapport d'expertise du docteur B....

Elle soutient que :

- le tribunal a statué ultra petita dès lors qu'aucune des parties n'a demandé de contre-expertise ;
- le tribunal ne pouvait retenir un lien de causalité entre l'infirmité dont se prévaut M. A... et le service sans entacher son jugement d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 (ancien article L. 2) du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dès lors qu'il n'existe dans son dossier aucune preuve factuelle, aucune preuve administrative matérialisée par un extrait du registre des constatations et par un rapport circonstancié, ni aucune preuve médicale pouvant attester d'un éventuel traumatisme sonore éprouvé durant le service ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 151-2 (ancien article L. 6) du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dès lors qu'il prend en compte un élément médical postérieur à la demande de pension militaire d'invalidité ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait en considérant que la pathologie auditive de M. A... n'a cessé de s'aggraver entre 1996 et 2014 et, par ailleurs, il est établi qu'il existe une presbyacousie, pathologie extérieure au service évoluant pour son propre compte ;
- s'agissant de la perte de sélectivité, l'expert évoque des résultats en 1996, en 2015 et en 2020 mais ne délivre aucune donnée fiable quant à l'évaluation de cette perte à la date de la demande de pension militaire d'invalidité du 17 septembre 2014 ;
- le taux d'invalidité est uniquement établi sur la gêne fonctionnelle, objectivée à la date de la demande de pension, sans qu'il ne puisse être inclus des considérations de gêne sociale et environnementale comme l'ont fait les premiers juges.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Le Calvic conclut :

1°) au rejet de la requête de la ministre des armées ;
2°) à la confirmation des jugements du 16 juin 2020 et du 4 février 2021 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

3°) d'ordonner à la ministre des armées de lui accorder une pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité auditive causée par ses états de service ;

4°) d'ordonner à la ministre des armées, en cas de récusation du rapport d'expertise du docteur B..., qu'il soit procédé à une nouvelle expertise médicale avant-dire droit en vue de l'examiner et de déterminer son taux d'invalidité ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens.

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son avocat ;

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été appelé à l'activité le 1er octobre 1970, a été admis dans le corps des sous-officiers de l'armée de terre à compter du 31 décembre 1978 et a effectué sa carrière jusqu'à sa radiation des cadres le 2 février 2004 au grade d'adjudant-chef. Par une demande du 17 septembre 2014, il a sollicité le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour une surdité bilatérale. Par décision du 10 juillet 2018, sa demande a été rejetée par la ministre des armées. Par jugement avant dire-droit du 16 juin 2020, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé la décision de la ministre des armées du 10 juillet 2018 et a ordonné une expertise avant de statuer sur le taux d'invalidité de M. A.... Par jugement du 4 février 2021, le tribunal administratif a accordé à M. A... une pension militaire d'invalidité au taux de 25 % à compter du 17 septembre 2014. La ministre des armées qui remet en cause l'imputabilité au service de l'infirmité dont est atteint M. A... et qui conclut à la confirmation de sa décision du 10 juillet 2018 par laquelle elle a rejeté la demande de pension militaire d'invalidité qu'il a présentée doit de ce fait être regardée comme demandant l'annulation du jugement du 16 juin 2020 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé cette décision et ordonné une expertise. La ministre des armées relève également appel du jugement du 4 février 2021 en tant qu'il a accordé à M. A... le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 25 % à compter du 17 septembre 2014.

Sur la régularité du jugement du 4 février 2021 :

2. La ministre des armées soutient que le tribunal administratif a statué ultra petita dès lors qu'aucune des parties n'a demandé de contre-expertise. Il ressort toutefois des termes du mémoire enregistré au greffe du tribunal le 30 octobre 2020 que le haut-commissaire de la République en Polynésie française a fait valoir que le rapport d'expertise du docteur B... déposé auprès de cette juridiction le 28 septembre 2020 ne pouvait être entériné. Il s'ensuit qu'en considérant que cet argument dans les termes dans lesquels il était rédigé constituait une demande de contre-expertise, les premiers juges n'ont pas statué ultra petita. Le moyen tiré de ce que le jugement est irrégulier doit, dès lors et en tout état de cause, être écarté.

Sur le droit à pension de M. A... :

3. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, en vigueur à la date de la demande de bénéfice de la pension : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ". Selon l'article L. 3 du même code, alors en vigueur : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code, alors en vigueur : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage ". Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2, L. 3 et L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que lorsque la présomption légale d'imputabilité ne peut être invoquée, l'intéressé doit apporter la preuve de l'existence d'une relation directe et certaine entre l'infirmité et un fait précis ou des circonstances particulières de service. Cette relation de causalité est requise aussi bien en cas d'infirmité trouvant sa cause exclusive dans le service qu'en cas d'aggravation par le service d'une infirmité préexistante ou concomitante au service et vaut pour toutes les affections y compris celles de nature psychologique. Enfin, l'existence d'une telle relation ne peut résulter de la seule circonstance que l'infirmité ou l'aggravation ait été révélée durant le service, ni d'une vraisemblance ou d'une hypothèse, ni des conditions générales du service.

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du livret médical militaire de M. A..., qu'il ne souffrait d'aucune pathologie auditive au moment de son incorporation et durant sa carrière où il a servi notamment au Tchad et à Djibouti, jusqu'à son retour d'Ex-Yougoslavie où il a été en opération en 1995. A la date du 21 mars 1996, a été mentionnée dans le livret médical militaire l'existence d'une " hypoacousie ancienne à prédominance gauche ", " scotome perceptif important bilatéral à prédominance gauche. Origine endocochléaire par TSA [Traumatisme sonore aigu] itératif très probable " et l'indication selon laquelle M. A... " ne doit plus tirer ni être exposé à des ambiances bruyantes " mention rédigée par le médecin-chef Dumas à l'hôpital d'instruction des armées Bégin. Par ailleurs, l'état signalétique et des services de M. A... ne comporte pas d'inscription relative à une blessure dont il aurait été victime. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que la présomption légale d'imputabilité ne peut être invoquée et que cette infirmité n'a pas été provoquée par une blessure identifiable résultant d'une lésion soudaine consécutive à un fait précis du service, mais est liée aux conditions générales du service, il s'ensuit que la preuve de l'existence d'une relation directe et certaine entre l'infirmité et un fait précis ou des circonstances particulières de service n'est pas établie. Par voie de conséquence, et sans qu'il y ait lieu en tout état de cause de récuser le rapport d'expertise du docteur B... comme le demande la ministre des armées, l'infirmité dont souffre M. A... ne peut lui ouvrir droit à une pension militaire d'invalidité.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens de la requête, que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 16 juin 2020, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé sa décision du
10 juillet 2018 et que, par le jugement du 4 février 2021, il a accordé à M. A... une pension militaire d'invalidité au taux de 25 %.

Sur les frais liés à l'instance :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, en tout état de cause, obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à son avocat la somme demandée par M. A... sur le fondement de ces dispositions et de l'article L 37 de la loi du 10 juillet 1991 au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

Sur les dépens :

7. La présente instance n'a impliqué aucun frais au titre des dépens. En conséquence, les conclusions présentées par M. A... et tendant à ce que les dépens de l'instance soient mis à la charge de l'Etat doivent être rejetées.

DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 16 juin 2020 du Tribunal administratif de la Polynésie française est annulé en tant qu'il a annulé la décision de la ministre des armées du 10 juillet 2018.
Article 2 : Le jugement du 4 février 2021 du Tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.
Article 3 : Les conclusions de M. A... présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi que celles tendant à ce que soient mis à la charge de l'État les dépens de l'instance sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 17 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2022.

La rapporteure,




A. COLLET Le président,




R. LE GOFF
La greffière,




E. VERGNOL
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA01715