CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 25/10/2022, 20TL04286, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision25 octobre 2022
Num20TL04286
JuridictionToulouse
Formation2ème chambre
PresidentMme GESLAN-DEMARET
RapporteurMme Anne BLIN
CommissaireMme TORELLI
AvocatsSELAFA CABINET CASSEL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier :

1°) d'annuler la décision du 8 août 2018 par laquelle la ministre des armées a refusé de reconnaître imputable au service son accident du 6 septembre 2016 et d'enjoindre à la ministre des armées de reconnaître cette imputabilité ou de réexaminer sa situation ;

2°) d'annuler la décision du 8 août 2018 par laquelle la ministre des armées a refusé de reconnaître imputable au service son accident du 16 novembre 2016 et d'enjoindre à la ministre des armées de reconnaître cette imputabilité ou de réexaminer sa situation ;

3°) d'annuler l'arrêté du 6 août 2018 par lequel la ministre des armées lui a accordé un congé de longue durée non imputable au service du 28 novembre 2016 au 27 novembre 2018 et d'enjoindre à la ministre des armées de lui accorder un congé imputable au service pour cette période ou de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 1804813,1804814,1804815 du 18 septembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 6 août 2018 et les décisions du 8 août 2018, et a enjoint à la ministre des armées de reconnaître l'imputabilité au service des accidents survenus les 6 septembre et 16 novembre 2016 dans un délai de deux mois, et a rejeté le surplus des demandes de M. A....

Procédure devant la cour :

Par un recours, enregistré le 19 novembre 2020 sous le n° 20MA04286 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL04286, la ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 18 septembre 2020 ;

2°) de rejeter l'intégralité des demandes de M. A....
Elle soutient que :
- le jugement est entaché de plusieurs erreurs de droit en ce que le tribunal s'est fondé sur des dispositions inapplicables de la loi du 11 janvier 1984 et a fait une surprenante application de la jurisprudence du Conseil d'Etat n° 407795 du 13 mars 2019 ;
- il est entaché de plusieurs erreurs de fait et d'appréciation dès lors que les évènements survenus les 6 septembre et 16 novembre 2016 ne présentent pas le caractère d'accidents de service : les entretiens entre M. A... et son supérieur hiérarchique ne se sont pas déroulés dans des conditions anormales et relevaient de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ; M. A... ne peut se prévaloir d'aucune circonstance particulière tenant à ses conditions de travail qui pourrait être à l'origine d'une dépression imputable au service ; en toute hypothèse, l'état antérieur préexistant de l'intéressé doit être pris en considération.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2022, M. A..., représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, conclut au rejet du recours, demande de confirmer le jugement du 18 septembre 2020 et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la ministre ne sont pas fondés : il a contracté un syndrome anxiodépressif en raison de ses conditions de travail et notamment des relations extrêmement tendues avec ses supérieurs ; il a été victime d'un choc émotionnel en lien avec l'exercice de ses fonctions justifiant que l'imputabilité au service soit reconnue ; le rapport d'expertise est entaché d'erreur de droit en ce qu'il mentionne la nécessité d'un lien unique avec les évènements des 6 septembre et 16 novembre 2016 ; la commission de réforme a commis une erreur d'appréciation en ne tenant pas compte des circonstances d'épuisement professionnel qui l'ont conduit à décompenser en réaction aux propos agressifs et menaçants de son supérieur hiérarchique ; il a fait l'objet d'une rétrogradation en 2016 et a été victime de dévalorisation professionnelle pendant près de deux ans, de mépris de son handicap et de conditions de travail épuisantes et anxiogènes ; le refus de lui octroyer un congé de longue durée imputable au service, ou un congé pour invalidité imputable au service, est entaché d'erreur d'appréciation au regard des certificats et rapports médicaux concordants.

Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement du recours de la ministre des armées.

Par ordonnance du 14 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 8 juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n°86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit:

1. M. A..., qui a exercé des fonctions de militaire au sein de l'armée de terre à compter du 1er février 1986, a été victime d'un accident de saut en parachute le 28 juillet 1994. Il a été reclassé au centre d'information et de recrutement des forces armées de Montpellier du 1er juillet 2001 au 15 septembre 2009, date de sa mise à la retraite. Il a ensuite été recruté en qualité d'adjoint administratif au sein du même service, au titre de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, afin d'y exercer les fonctions de secrétaire. Le 28 novembre 2016, M. A... a déclaré avoir été victime d'un premier accident de service pour des faits survenus le 6 septembre 2016, puis d'un second accident de service pour des faits survenus le 28 novembre 2016. Par deux décisions du 8 août 2018, la ministre des armées a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de ces deux accidents. Le 20 février 2017, l'intéressé a sollicité son placement en congé de longue maladie. Par un arrêté du 6 août 2018, M. A... a été placé en congé de longue maladie considéré comme un congé de longue durée pendant un an à compter du 28 novembre 2016, puis en congé de longue durée pendant une nouvelle période d'un an allant jusqu'au 27 novembre 2018. Par un jugement du 18 septembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 6 août 2018 et les décisions du 8 août 2018, et a enjoint à la ministre des armées de reconnaître l'imputabilité au service des accidents survenus les 6 septembre et 16 novembre 2016. La ministre des armées relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les décisions de refus de reconnaissance des accidents de service :

2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans ses dispositions applicables au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35. / Toutefois, si la maladie provient (...) d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; (...) ".

3. Constitue un accident de service, pour l'application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion ou une affection physique ou psychologique, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.

4. Pour annuler les décisions du 8 août 2018 par lesquelles la ministre des armées a refusé de reconnaître l'imputabilité au service des accidents déclarés par M. A... et survenus les 6 septembre et 16 novembre 2016, les premiers juges ont estimé qu'il n'existait pas de circonstance permettant de détacher du service la survenance de ces accidents. Il ressort des pièces du dossier que le 6 septembre 2016, une signature de contrat collective de quarante nouvelles recrues était organisée par le centre d'information et de recrutement des forces armées de Montpellier, en présence de leurs familles, à laquelle participait M. A... en sa qualité de .... En fin de matinée, l'intimé a été convoqué par son supérieur hiérarchique pour un entretien devant se tenir le jour même à 16 heures dans le bureau du commandant du service. Il lui a été reproché son manque de rigueur, occasionnant des pertes de temps à l'assemblée. Le lendemain, M. A... a envoyé un courriel au commandant lui indiquant avoir été surpris et choqué par l'agressivité de son supérieur hiérarchique envers sa personne, en lui demandant de prendre les mesures nécessaires afin que ce type de comportement ne puisse se répéter. Il ressort toutefois du rapport établi par le colonel ... le 3 octobre 2017, qui n'est contredit par aucune pièce du dossier, que si le supérieur de M. A... a haussé le ton face au déni de l'intéressé à l'encontre des reproches qui lui étaient formulés, il s'est borné à lui signifier son mécontentement en raison du non-respect des échéances qui lui étaient fixées et de son comportement personnel tendant à se désolidariser de l'équipe, contraignant ses collègues à compenser ses manquements. Le 19 octobre 2016, M. A... a été informé de ce qu'il allait être reçu par le colonel ... dans les prochaines semaines afin d'être éclairé sur l'exercice de ses fonctions, son supérieur et son chef de centre lui rendant compte de difficultés relationnelles et d'une implication insuffisante dans son poste, nuisant aux performances du centre d'information et de recrutement des forces armées. Il ressort du rapport établi par le délégué syndical qui a accompagné M. A... lors de l'entretien qui s'est tenu le 16 novembre 2016, que l'intéressé a été convoqué pour s'exprimer sur des difficultés relationnelles suite à des remontées du centre d'information et de recrutement des forces armées, lesquelles étaient nombreuses aux dires du colonel qui a essayé de le faire parler sur son ressenti personnel, essayant d'en arriver à un point précis des difficultés relationnelles. Au cours de cet entretien, M. A... a fait part de façon détaillée de sa manière de servir, et évoqué une souffrance au travail liée à son handicap, lequel ne lui semblait pas suffisamment pris en compte. Le délégué syndical relate que vers la fin de l'entretien, M. A... s'est figé sur sa chaise en fermant les yeux durant une dizaine de secondes, rompant tout contact, avant de sortir du bureau pour en revenir entre 5 et 10 minutes plus tard. Si M. A... a été placé en arrêt de travail du 8 au 30 septembre 2016, en raison d'une récidive de lombosciatalgie gauche, puis à compter du 28 novembre 2016 en raison d'un syndrome anxio-dépressif par épuisement professionnel, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique aient été tenus tant par son supérieur direct que par le colonel ... lors des entretiens des 6 septembre et 16 novembre 2016. En outre, le rapport d'expertise du 29 janvier 2018, suivi par la commission de réforme, conclut à l'absence d'accident de service, du fait que ces évènements " n'ont pas de lien direct unique et certain avec le syndrome anxio-dépressif de M. A... ". Par suite, les évènements survenus les 6 septembre et 16 novembre 2016 ne peuvent être regardés comme présentant le caractère d'accidents de service.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens d'appel invoqués, que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les décisions du 8 août 2018, le tribunal administratif de Montpellier s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions énoncées à l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat.

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif.

7. Aux termes de l'article 26 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, alors en vigueur et abrogé le 24 février 2019 par le décret du 21 février 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique de l'Etat : " (...) les commissions de réforme prévues aux articles 10 et 12 ci-dessus sont obligatoirement consultées dans tous les cas où un fonctionnaire demande le bénéfice des dispositions de l'article 34 (2°), 2° alinéa, de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. Le dossier qui leur est soumis doit comprendre un rapport écrit du médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire concerné. (...) ".

8. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

9. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la commission de réforme aurait disposé du rapport écrit du médecin de prévention attaché au service auquel M. A... appartenait. Par suite, ce dernier est fondé à soutenir que l'avis de la commission de réforme du 20 février 2018 a été émis au terme d'une procédure irrégulière. L'absence de consultation régulière de la commission de réforme a privé M. A... d'une garantie. Par suite, ce dernier est fondé à soutenir que les décisions en litige ont été prises en méconnaissance de l'article 26 du décret du 14 mars 1986.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens invoqués par M. A..., que la ministre des armées n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé ses décisions du 8 août 2018.

En ce qui concerne l'arrêté de placement en congé de longue durée :

11. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans ses dispositions applicables au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 4° A un congé de longue durée, en cas de (...) maladie mentale, (...), de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. (...) Sauf dans le cas où le fonctionnaire ne peut être placé en congé de longue maladie à plein traitement, le congé de longue durée n'est attribué qu'à l'issue de la période rémunérée à plein traitement d'un congé de longue maladie. Cette période est réputée être une période du congé de longue durée accordé pour la même affection. Tout congé attribué par la suite pour cette affection est un congé de longue durée. (...) ".

12. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

13. Pour annuler l'arrêté du 6 août 2018 par lequel la ministre des armées a accordé à M. A... un congé de longue durée non imputable au service d'une durée de deux ans à compter du 28 novembre 2016, les premiers juges ont estimé que la seule circonstance que le psychiatre agréé ait noté dans son rapport du 15 juin 2018 que l'intéressé a présenté en novembre 2016 une décompensation anxio-dépressive en relation avec des difficultés professionnelles et dans un contexte de personnalité fragile ne suffisait pas à détacher les arrêts maladie du service, alors que le précédent rapport d'expertise rendu le 29 janvier 2018 avait relevé l'absence d'état antérieur psychiatrique de l'intéressé. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. A... a été victime d'un accident de saut en parachute le 28 juillet 1994 dont il conserve d'importantes séquelles. Il a été reconnu travailleur handicapé à un taux compris entre 50 et 79%, est titulaire d'une carte d'invalidité et bénéficiaire d'une pension militaire d'invalidité au taux initial de 25% porté à 35% à compter du 14 mars 2014. M. A... a ainsi demandé à plusieurs reprises la révision de sa pension en raison de l'aggravation de son état. A compter de ses demandes présentées les 12 août 2012 et 11 mars 2014, il a fait état d'un impact psychologique important sur sa vie professionnelle et familiale au quotidien, avant de solliciter la prise en compte du syndrome dépressif dû à la douleur occasionnée par l'infirmité pensionnée. Sa demande a été rejetée par le tribunal des pensions militaires de Montpellier par jugement du 11 décembre 2018 confirmé par la cour régionale des pensions militaires par un arrêt du 7 mai 2019, au regard notamment de l'existence d'autres pathologies dont souffre M. A.... Toutefois, les deux médecins experts désignés ont estimé, dans leurs rapports rendus les 28 septembre 2016 et 21 août 2018, que M. A... souffre d'un " syndrome dépressif consécutif aux conséquences directes de la chute neurologique et articulaire ", que " des répercussions psychologiques au long terme se sont installées au fil des années, en l'absence de toute sinistrose " pour le premier, et d'une " dépression chronique et invalidante " pouvant " être attribuée au handicap physique consécutif à l'accident de 1994, non pas tant du fait de ses conséquences physiques mais surtout tenant au fait que cet accident a contribué à l'invalider progressivement sur le plan professionnel et qu'il en a ressenti un sentiment d'exclusion sociale avec dévalorisation et baisse massive de l'estime de soi, le maintenant dans une impasse existentielle et un vécu de grande précarité psychique ". Au regard des éléments qui viennent d'être exposés, alors même que M. A... n'est suivi régulièrement par un psychiatre que depuis novembre 2016, la ministre des armées est fondée à soutenir que l'existence d'un état antérieur dépourvu de lien avec le service qui l'emploie depuis sa mise à la retraite doit être retenue. De son côté, M. A... expose qu'il a contracté un syndrome anxio-dépressif en raison de ses conditions de travail et notamment des relations extrêmement tendues avec ses supérieurs, évoquant une rupture intervenue après sa rétrogradation et son placement sous l'autorité hiérarchique du ..., ainsi qu'il ressort de la comparaison entre ses fiches de notation au titre des années 2015 et 2016. Il ressort cependant des pièces du dossier, notamment du rapport du colonel ... du 3 octobre 2017, que si une réorganisation du service est intervenue dans le courant de l'année 2015 à la faveur de recrutements supplémentaires, le chef de centre a choisi de réorganiser la fonction ... dont il est résulté une meilleure répartition des tâches administratives des conseillers en recrutement, et un allègement sensible de la charge de travail de M. A..., non sérieusement contesté par celui-ci. Il ne ressort d'aucune pièce que cette réorganisation soit à l'origine d'une rétrogradation de l'intéressé au seul motif que la fonction ... ait été placée sous l'autorité d'un .... S'il est constant que la fiche de notation de M. A... comporte des critiques sur sa manière de servir au titre de l'année 2016, l'ayant conduit à la contester devant le tribunal administratif de Montpellier, il ne ressort cependant d'aucune pièce que l'intéressé aurait été victime d'un contexte de dévalorisation professionnelle pendant près de deux ans, de mépris de son handicap et de conditions de travail épuisantes et anxiogènes. Ainsi, au regard de l'état antérieur de santé de M. A..., qui a sollicité la révision de sa pension d'invalidité en mars 2014 en évoquant notamment l'existence d'un syndrome dépressif en lien avec un syndrome douloureux chronique, la maladie contractée par l'intéressé ne peut être regardée comme étant imputable au service.

14. Il résulte de ce qui précède que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 6 août 2018, le tribunal administratif de Montpellier s'est fondé sur l'imputabilité au service de la maladie dont est atteint M. A....

15. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif.

16. Aux termes de l'article 13 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige : " La commission de réforme est consultée notamment sur : (...) 2. L'imputabilité au service de l'affection entraînant l'application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 34 (4°) de la loi du 11 janvier susvisée ; (...) ". Aux termes de l'article 12 de ce décret : " Dans chaque département, il est institué une commission de réforme départementale compétente à l'égard des personnels mentionnés à l'article 15. Cette commission, placée sous la présidence du préfet ou de son représentant, qui dirige les délibérations mais ne participe pas aux votes, est composée comme suit : 1. Le chef de service dont dépend l'intéressé ou son représentant ; 2. Le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques ou son représentant ; 3. Deux représentants du personnel appartenant au même grade ou, à défaut, au même corps que l'intéressé, élus par les représentants du personnel, titulaires et suppléants, de la commission administrative paritaire locale dont relève le fonctionnaire ; toutefois, s'il n'existe pas de commission locale ou si celle-ci n'est pas départementale, les deux représentants du personnel sont désignés par les représentants élus de la commission administrative paritaire centrale, dans le premier cas et, dans le second cas, de la commission administrative paritaire interdépartementale dont relève le fonctionnaire ; 4. Les membres du comité médical prévu à l'article 6 du présent décret. / Le secrétariat de la commission de réforme départementale est celui du comité médical prévu à l'article 6 du présent décret. ". Aux termes de l'article 32 du même décret : " Lorsque le congé de longue durée est demandé pour une maladie contractée dans l'exercice des fonctions, le dossier est soumis à la commission de réforme. Ce dossier doit comprendre un rapport écrit du médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire concerné. La demande tendant à ce que la maladie soit reconnue comme ayant été contractée dans l'exercice des fonctions doit être présentée dans les quatre ans qui suivent la date de la première constatation médicale de la maladie. / La commission de réforme n'est toutefois pas consultée lorsque l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est reconnue par l'administration. (...) ".

17. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

18. Il n'est pas contesté que M. A... a sollicité, le 20 février 2017, l'octroi d'un congé de longue maladie imputable au service en raison de la pathologie dont il souffre. Se fondant sur l'avis émis par le comité médical départemental le 4 juillet 2018, l'arrêté du 6 août 2018 a attribué à l'intéressé un congé de longue maladie considéré comme un congé de longue durée pendant un an à compter du 28 novembre 2016, suivi d'un congé de longue durée pendant une nouvelle période d'un an allant jusqu'au 27 novembre 2018. En l'absence de mention le précisant, cet arrêté doit être regardé comme ayant refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de M. A.... Il est constant que la commission de réforme n'a pas été saisie de la demande de M. A.... Si la ministre a fait valoir que cette instance s'était déjà prononcée le 20 février 2018 sur l'imputabilité au service des accidents dont l'intéressé a indiqué avoir été victime les 6 septembre et 16 novembre 2016, la demande présentée par M. A... le 20 février 2017 avait toutefois un objet distinct. De plus, ainsi qu'il a été exposé au point 9, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la commission de réforme aurait disposé du rapport écrit du médecin de prévention attaché au service auquel M. A... appartenait. Par suite, celui-ci est fondé à soutenir que l'arrêté du 6 août 2018 a été pris en méconnaissance des articles 13 et 32 du décret du 14 mars 1986, en l'absence de saisine de la commission de réforme et de la rédaction d'un rapport écrit du médecin de prévention attaché au service auquel il appartenait qui a privé M. A... d'une garantie.

19. Il résulte de ce qui précède, que la ministre des armées n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 6 août 2018.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

20. Eu égard au motif de l'annulation qu'il prononce, le présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au ministre des armées de réexaminer la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service des accidents survenus les 6 septembre et 26 novembre 2016 ainsi que de la maladie de M. A..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et non comme l'a fait le tribunal d'enjoindre à l'administration de reconnaître cette imputabilité.

Sur les frais liés au litige :

21. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme à M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


D E C I D E :



Article 1er : Il est enjoint au ministre des armées de procéder au réexamen des demandes de reconnaissance de l'imputabilité des accidents survenus les 6 septembre et 16 novembre 2016 ainsi que de la maladie de M. A..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 septembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours de la ministre des armées est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. B... A....


Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2022.


La rapporteure,





A. Blin



La présidente,





A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20TL04286 2