CAA de LYON, 7ème chambre, 19/01/2023, 21LY00169, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision19 janvier 2023
Num21LY00169
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. PICARD
RapporteurM. Julien CHASSAGNE
CommissaireM. RIVIERE
AvocatsGERBI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... C... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'État à lui verser la somme totale de 160 100,73 euros en réparation du préjudice attribué à un accident dont elle a été victime sur son lieu de travail.

Par un jugement n° 1802144 du 19 novembre 2020, rectifié par une ordonnance du président du tribunal sur le fondement de l'article R. 741-11 du code de justice administrative le 18 janvier 2021, ce tribunal a condamné l'État à verser à Mme A... la somme de 20 566 euros (article 1er) et a rejeté le surplus de sa demande (article 3).

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 janvier, 21 octobre et 30 novembre 2021, Mme A..., représentée par Me Gerbi, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer ce jugement en portant à la somme de 232 923,10 euros le montant de l'indemnité mise à la charge de l'État, après déduction de la somme de 7 753,90 euros que le centre hospitalier universitaire de Grenoble a été condamné à lui verser par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon n° 19LY02490 du 20 avril 2021 ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement attaqué, faute d'être suffisamment motivé sur le préjudice correspondant aux besoins liés à une assistance permanente d'une tierce personne, est irrégulier ;
- compte tenu de l'intervention de l'arrêté du 13 novembre 2017 par lequel le recteur de l'académie de Grenoble a reconnu l'imputabilité au service de sa pathologie, elle est fondée à obtenir de l'État, l'indemnisation des préjudices patrimoniaux autres que ceux couverts par une allocation temporaire d'invalidité ou des préjudices personnels ; elle est fondée à rechercher la responsabilité pour risque de l'État, au titre de l'algodystrophie dont elle souffre, qui fait suite à une intervention chirurgicale nécessitée par la tendinite survenue au cours du service ; la responsabilité du centre hospitalier de Grenoble dans la survenance de cette algodystrophie a été limitée à une perte de chance de 20 % ;
- elle a subi un préjudice correspondant aux besoins liés à l'assistance permanente d'une tierce personne ; il y a impossibilité pour elle de conduire sur de longues distances, avec nécessité de maintenir une aide de deux heures par semaine, et d'entretenir la propriété qu'elle possède avec son époux ; des sommes de 96 599 euros et 94 126 euros, à parfaire compte tenu de son espérance de vie, devront lui être allouées à ce titre ;
- elle souffre également d'un préjudice d'agrément, estimé à 20 000 euros ; elle ne peut plus pratiquer la musique (guitare, piano), ni une partie de ses activités sportives (escalade, ski) alors, qu'étant à la retraite, elle avait vocation à exercer de telles activités de manière plus importante qu'auparavant ;
- il y a lieu de déduire du montant global devant lui être accordé le montant de l'indemnité de 7 753,90 euros que le centre hospitalier universitaire de Grenoble a été condamné à lui verser par l'arrêt de la cour visé ci-dessus du 20 avril 2021.

Par un mémoire enregistré le 4 novembre 2021, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- à titre principal, à l'annulation de l'article 1er du jugement et au rejet de la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif ;
- à titre subsidiaire, à la réformation de ce jugement, en limitant à la somme de 20 566 euros l'indemnité au versement de laquelle l'État a été condamné.

Il soutient que :
- rien ne justifie l'augmentation du montant des chefs de préjudice alloués par les premiers juges ;
- le jugement attaqué est irrégulier faute pour les premiers juges d'avoir mis en cause le centre hospitalier universitaire de Grenoble ;
- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs ; l'État, en qualité d'employeur de Mme A... ne peut être tenu responsable que des préjudices résultant pour l'intéressée de la tendinite survenue durant l'exercice de ses fonctions, dont l'imputabilité au service a été reconnue, et non de ceux liés à l'algodystrophie apparue à la suite de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie à l'hôpital ;
- le chef de préjudice relatif lié à l'assistance d'une tierce personne pour la période du 1er août 1998 au 1er mars 1999, doit être indemnisé seulement à hauteur de 728 euros, au regard du taux horaire retenu par les premiers juges.
Les écritures de Mme A... et du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, ont été communiquées à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 1er décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :

1. Mme B... C... épouse A..., admise à faire valoir ses droits à la retraite en 2006, était titulaire du grade de professeur des écoles de classe normale, et exerçait des fonctions en qualité de directrice d'école au sein de l'école Germinal de la commune de Charnècles (Isère). Au mois de juin 1997, après avoir déplacé des livres entreposés dans une salle de l'école, elle a ressenti des douleurs au poignet gauche diagnostiquées comme étant imputables à une tendinite. Compte tenu des difficultés pour soigner cette pathologie, elle a consulté le service de la chirurgie de la main du centre hospitalier de Grenoble où elle a subi une intervention chirurgicale le 9 juin 1998. Dans les suites de cette intervention, Mme A..., qui a été placée en congé de longue maladie non imputable au service pour la période du 9 juin 1998 jusqu'au 8 juin 2001, a souffert d'une algodystrophie. Malgré des demandes réitérées de l'intéressée en ce sens, l'inspecteur d'académie, directeur académique des services de l'éducation nationale de l'Isère a refusé, par une décision du 1er septembre 2006, de reconnaître l'imputabilité au service de la tendinite dont elle souffrait initialement, compliquée de l'algodystrophie survenue à la suite de son opération. Par un arrêt, définitif, du 16 février 2016, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé cette décision et ordonné à l'administration de prendre une décision reconnaissant cette imputabilité. Et par un arrêté du 13 novembre 2017, le recteur de l'académie de Grenoble a rétroactivement placé Mme A... en congé de longue maladie imputable au service pour la période du 9 juin 1998 au 8 juin 2001. Par un arrêt du 20 avril 2021, également définitif, la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir retenu une faute du centre hospitalier de Grenoble à ne pas avoir informé l'intéressée du risque exceptionnel de moins de 1 % de survenue d'une algodystrophie et évalué à 20 % la perte de chance de renoncer à l'intervention dans le cas où elle aurait été correctement informée, a condamné cet établissement à indemniser l'intéressée des suites dommageables de l'intervention subie le 9 juin 1998. Par ailleurs, le recteur de l'académie de Grenoble a implicitement rejeté la réclamation préalable indemnitaire dont Mme A... l'avait saisi le 30 janvier 2018 pour la réparation de divers préjudices qu'elle estime imputables à la réaction algodystrophique dont elle s'est trouvée affectée. Mme A... demande que l'indemnité que, par son jugement du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a mise à la charge de l'État à ce titre sur le fondement de la responsabilité pour risque soit portée à 232 923,10 euros. Par la voie de l'appel incident, le ministre en charge de l'éducation nationale demande l'annulation de la condamnation que le tribunal a prononcée à l'encontre de l'État et le rejet de la demande indemnitaire de Mme A....

Sur la régularité :

2. Il apparaît que, pour écarter le préjudice lié à la nécessité d'une assistance permanente par une tierce personne, les premiers juges, après avoir relevé que son état de santé avait seulement nécessité temporairement une telle assistance, ont relevé que l'intéressée ne justifiait pas de l'existence de ce chef de préjudice. En procédant ainsi, alors que les développements consacrés à ce préjudice étaient limités, le tribunal a suffisamment motivé son jugement. Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'une irrégularité aurait été commise à cet égard.

3. Par ailleurs, il n'existe aucune obligation générale de mettre en cause d'office l'ensemble des personnes dont la responsabilité est susceptible d'être engagée dans un litige. Et il n'apparaît pas que, en première instance, des conclusions à fin de condamnation auraient été présentées contre le centre hospitalier de Grenoble. Par suite, et contrairement à ce que soutient le ministre, le tribunal n'était pas tenu de mettre en cause cet établissement. Aucune irrégularité ne saurait donc davantage être retenue ici.

Sur le bien-fondé :

4. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et anciennement de l'article 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, désormais codifiées à l'article L. 824-1 du code général de la fonction publique, qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité. La circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions mentionnées ci-dessus subordonnent l'obtention d'une rente ou d'une allocation temporaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. En revanche, elle ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de cette collectivité la réparation de préjudices d'une autre nature, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident ou à la maladie.

5. Pour engager la responsabilité de l'État au profit de Mme A..., le tribunal, après avoir relevé que le rapport de l'expert désigné par le tribunal en date du 15 juillet 2015 faisait état, " comme cause des préjudices, d'une réaction algodystrophique consécutive aux soins médicaux prodigués par le centre hospitalier de Grenoble lors de l'opération chirurgicale subie par Mme A... le 9 juin 1998 ", a retenu que le recteur de l'académie de Grenoble, par son arrêté mentionné plus haut du 13 novembre 2017, avait " reconnu l'imputabilité au service de la maladie de Mme A... " et jugé que cette " reconnaissance du caractère imputable au service de la maladie de Mme A... " était de nature à engager la responsabilité de l'État " sur le fondement du risque s'agissant des préjudices d'une autre nature que ceux réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle ".

6. Le lien de causalité direct et certain entre le service et l'accident exigé en matière de responsabilité n'est pas identique au lien seulement direct caractérisant l'imputabilité au service d'un accident. En conséquence si, par son arrêt définitif du 16 février 2016, la cour a jugé que la pathologie dont s'est trouvé affectée l'intéressée à l'occasion de travaux de déménagement de la bibliothèque de l'école, y compris les complications sous forme de réaction algodystrophique apparues à la suite de l'intervention chirurgicale, devait être regardée comme imputable au service, ces motifs ne sauraient pour autant nécessairement s'imposer dans le cadre du présent litige indemnitaire. Il appartient donc ici à la cour de s'assurer que les complications algodystrophiques dont souffre Mme A... ont pour cause directe et certaine l'exercice de ses fonctions.

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 15 juillet 2015, que si Mme A... a été victime, dans le cadre de son service, d'une tendinite du poignet gauche en 1997, la réaction algodystrophique qui l'a affectée, dont la survenance est exceptionnelle, est survenue à la suite de l'intervention chirurgicale du 9 juin 1998. Il apparait que cette réaction algodystrophique a pour origine, non le déménagement des livres de la bibliothèque scolaire en juin 1997, mais l'intervention chirurgicale de 1998, même si cette dernière a été pratiquée en raison du caractère résistant de la tendinite dont souffrait l'intéressée. Aucun lien suffisamment direct et certain entre le service exécuté par Mme A... et l'algodystrophie dont elle souffre, et donc les préjudices en résultant pour elle, ne saurait ainsi être caractérisé.

8. Par suite, et comme le soutient le ministre, la responsabilité pour risque de l'État du fait de l'algodystrophie dont Mme A... s'est trouvée affectée dans les conditions rappelées ci-dessus ne saurait être engagée.

9. Il en résulte que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a condamné l'État à verser à Mme A... une indemnité de 20 566 euros. Il y a dans ces conditions lieu pour la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, et alors que Mme A... n'a pas invoqué d'autre fondement que la responsabilité pour risque, de rejeter, dans l'ensemble de ses conclusions, sa requête.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 novembre 2020 est annulé et les conclusions à fin de condamnation de l'État présentées par Mme A... devant le tribunal sont rejetées.
Article 2 : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse A..., au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.
Copie en sera adressée pour information au recteur de l'académie de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 5 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023.
Le rapporteur,
J. Chassagne
Le président,
V.-M. Picard La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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