CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 07/02/2023, 21TL00479, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision07 février 2023
Num21TL00479
JuridictionToulouse
Formation2ème chambre
PresidentMme GESLAN-DEMARET
RapporteurMme Anne BLIN
CommissaireMme TORELLI
AvocatsSCP VPNG AVOCATS ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 233 907,51 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident de service dont elle a été victime dans la nuit du 12 au 13 janvier 2016, et de mettre à la charge du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes les dépens de l'instance ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900811 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Nîmes a condamné le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes à verser à Mme B... la somme de 17 265 euros ainsi que la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, a mis les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 960 euros, à la charge définitive du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 février 2021 sous le n° 21MA00479 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL00479 et un mémoire enregistré le 28 octobre 2022, Mme C... B... épouse D..., représentée par Me Thomasian, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 17 décembre 2020 ;

2°) de condamner le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 268 066,84 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident de service dont elle a été victime dans la nuit du 12 au 13 janvier 2016 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.

Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'elle critique le jugement en ce qu'il a rejeté ou limité certaines de ses demandes indemnitaires ;
- elle est recevable à soulever devant la cour un nouveau moyen tiré de la faute commise par le centre hospitalier en ce qu'elle ne fait pas état d'une cause juridique distincte ;
- l'accident de service dont elle a été victime est imputable à une faute de son employeur en raison d'une défaillance dans la prise en charge du patient qui l'a agressée, alors que ses antécédents psychiatriques étaient connus ;
- elle est donc fondée à solliciter la réparation intégrale de son préjudice incluant la perte de salaires et l'incidence professionnelle : soit un montant total brut de 15 505,36 euros au titre de la perte de traitements jusqu'au 21 août 2018, date à laquelle elle a été placée en disponibilité d'office pour raison de santé, un montant de 15 002,15 euros jusqu'au mois d'octobre 2019 au titre de la perte de traitements, ainsi que la somme de 198 240 euros au titre de l'incidence professionnelle ;
- elle accepte le montant de 14 500 euros qui lui a été octroyé par le tribunal au titre de son déficit fonctionnel permanent ;
- elle est en droit de solliciter la somme totale de 20 319,33 euros au titre de l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire subi ;
- l'indemnisation des souffrances endurées devra être portée à 4 500 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2022, le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, représenté par Me Moreau, conclut au rejet de la requête, demande, par la voie de l'appel incident, de réduire la somme allouée par le tribunal au titre du déficit fonctionnel permanent en la limitant à 9 000 euros, et de mettre à la charge de Mme B... épouse D... le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- la requête de l'appelante est irrecevable en l'absence de toute critique substantielle du jugement attaqué ;
- l'appelante est irrecevable à solliciter pour la première fois en appel l'engagement de la responsabilité pour faute de l'établissement hospitalier ; sa demande de condamnation à ce titre est formulée sans liaison préalable du contentieux ;
- en tout état de cause, aucune faute ne peut être reprochée à l'établissement ;
- la demande d'indemnisation de l'incidence professionnelle future doit être rejetée dès lors que la requérante fonde son raisonnement sur une lecture trompeuse du rapport d'expertise ; en toute hypothèse la règlementation fait obstacle à la réparation de ce préjudice ; le calcul est en outre erroné ; les pertes de traitement alléguées ne sont pas établies ;
- les sommes allouées par le tribunal au titre du déficit fonctionnel total et des souffrances endurées doivent être confirmées ;
- la somme allouée par le tribunal au titre du déficit fonctionnel permanent doit être limitée à 9 000 euros.

Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de Mme B... épouse D....

Par ordonnance du 2 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 novembre 2022.

Vu :
- l'ordonnance du 10 octobre 2018 par laquelle le président du tribunal administratif de Nîmes a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 960 euros ;
- les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Moreau, représentant le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes.


Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., infirmière titulaire affectée au service de psychiatrie du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, a été victime dans la nuit du 12 au 13 janvier 2016 d'une agression à l'arme blanche de la part d'un patient, laquelle lui a occasionné des blessures à la jambe et au pied gauche. Cet accident a été reconnu imputable au service par le directeur du centre hospitalier. Après avoir sollicité la prescription d'une mesure d'expertise aux fins de déterminer le préjudice qui a résulté pour elle de cet accident auprès du juge des référés près du tribunal administratif de Nîmes, Mme B... a demandé au centre hospitalier l'indemnisation du préjudice subi, par courrier du 12 novembre 2018. En l'absence de réponse à sa demande, elle a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 233 907,51 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident de service du 13 janvier 2016. Par un jugement du 17 décembre 2020, le tribunal a condamné le centre hospitalier à verser à Mme B... la somme de 17 265 euros. Mme B... relève appel de ce jugement et porte le montant de l'indemnisation sollicitée à 268 066,84 euros. Le centre hospitalier demande, par la voie de l'appel incident, de réduire l'indemnisation allouée à Mme B... au titre du déficit fonctionnel permanent.


Sur les fins de non-recevoir opposées par le centre hospitalier :

2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicables à l'introduction de l'instance d'appel en vertu des dispositions de l'article R. 811-13 du même code : " La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ". En vertu de ces dispositions, la requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge.

3. Le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes fait valoir que la requête d'appel de Mme B... ne comporte aucune critique substantielle du jugement attaqué. Toutefois, Mme B... a présenté un mémoire d'appel qui ne constitue pas la seule reproduction littérale de ses écritures de première instance et qui comporte une critique du jugement attaqué, notamment en ce qu'il n'a pas fait droit à certains chefs de préjudice invoqués. Une telle motivation répond aux exigences résultant des dispositions précitées. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier régional et universitaire doit être écartée.

4. En second lieu, la personne qui a demandé au tribunal administratif la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors qu'ils se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle.

5. Il résulte des écritures de première instance de Mme B... que celle-ci a sollicité l'indemnisation de ses préjudices résultant de l'accident de service dont elle a été victime, sans invoquer de moyen relevant de la responsabilité pour faute dans le délai de recours contentieux. Si elle expose dans sa requête d'appel que l'accident de service est imputable à une faute de son employeur en raison d'une défaillance dans la prise en charge du patient qui l'a agressée, alors que les antécédents psychiatriques de celui-ci étaient connus, elle soulève ainsi un moyen fondé sur une cause juridique nouvelle en invoquant en appel pour la première fois la responsabilité pour faute de son employeur. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier régional et universitaire doit être accueillie.

Sur la réparation des préjudices patrimoniaux :

6. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et de l'article 80 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. En revanche, elles ne font obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne.

7. La circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions citées au point précédent subordonnent l'obtention de l'allocation temporaire d'invalidité, fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques encourus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. En revanche, elle ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de cette collectivité la réparation de préjudices d'une autre nature, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident ou à la maladie.

8. Par le jugement attaqué, les premiers juges ont considéré que Mme B..., qui a été victime d'un accident dans l'exercice de ses fonctions, dont l'imputabilité au service a été admise par le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, était fondée à rechercher la responsabilité sans faute de son employeur, sous réserve du caractère indemnisable des préjudices qu'elle invoquait.

9. Mme B... sollicite l'indemnisation des pertes de traitements qu'elle aurait subies, ainsi que de l'incidence professionnelle résultant de l'accident de service dont elle a été victime, en se prévalant des conclusions de l'expert désigné par le tribunal administratif. Selon le rapport remis le 25 septembre 2018 par cet expert, la consolidation de son état a été fixée à la date de l'examen, soit le 21 août 2018, et le taux d'incapacité permanente exclusivement et totalement en relation avec l'accident a été fixé à 10%. Toutefois, par décision du 1er juin 2018 du directeur du centre hospitalier prise après avis de la commission de réforme réunie le 29 mai 2018 et expertise médicale du 6 mars 2018, le taux d'incapacité partielle permanente dont reste atteinte Mme B... a été fixé à 5% et la consolidation de son état de santé a été fixée au 14 novembre 2017. Au regard d'une part de son taux d'incapacité permanente n'atteignant pas 10% et d'autre part de la circonstance qu'elle a été placée en disponibilité d'office pour raison de santé à compter du 15 novembre 2018, l'appelante ne remplit pas les conditions auxquelles est subordonnée l'obtention de l'allocation temporaire d'invalidité. Au regard des principes énoncés aux points 5 et 6, la circonstance qu'une expertise judiciaire ait fixé un taux d'incapacité permanente partielle de 10% postérieurement à l'avis rendu par la commission de réforme, ne saurait permettre à Mme B... de prétendre à une indemnisation au titre de la perte de revenus ou de l'incidence professionnelle de l'accident.

Sur la réparation des préjudices extrapatrimoniaux :

10. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif de Nîmes, que Mme B... a subi un déficit fonctionnel temporaire au taux de 15% du 13 janvier 2016 au 21 novembre 2016. Si l'expert a par ailleurs considéré que l'intéressée avait été en incapacité temporaire totale de travail du 13 janvier au 9 octobre 2016, du 12 octobre au 21 novembre 2016, du 27 mars au 9 avril 2017 et à compter du 11 septembre 2017, lesquelles périodes correspondent aux arrêts de travail, ces périodes ne sauraient être regardées comme étant à l'origine d'un déficit fonctionnel temporaire total subi par Mme B.... Par suite, et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de fixer l'indemnisation du préjudice subi par Mme B... au titre du déficit fonctionnel temporaire à la somme de 765 euros qui lui a été allouée par les premiers juges.

11. Les souffrances endurées ont été évaluées à 2 sur une échelle de 1 à 7 en raison de l'agression dont elle a été victime dans l'exercice de ses fonctions. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à la somme de 2 000 euros qui lui a été allouée par les premiers juges.

12. La consolidation de l'état de santé de Mme B... a été fixée au 21 août 2018, date à laquelle l'intéressée était âgée de 36 ans. Le déficit fonctionnel permanent exclusivement et totalement en relation avec l'accident de service a été fixé à 10%, en raison de l'existence d'une symptomatologie phobique prenant la forme d'une crainte d'être agressée par un homme et une dimension d'inhibition et d'indécision. Il y a lieu de fixer l'indemnisation de ce préjudice à la somme de 14 500 euros qui a été allouée par les premiers juges et de rejeter les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes au titre de ce préjudice.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a limité le montant de l'indemnisation qui lui est due en raison de l'accident de service dont elle a été victime, à la somme de 17 265 euros.

Sur les dépens :

14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de laisser les frais et honoraires de l'expertise confiée au docteur A..., taxés et liquidés à la somme de 960 euros, à la charge définitive du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme B... tendant à leur application.

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... une somme au titre des frais exposés par le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 960 euros, sont laissés à la charge définitive du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes.
Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes par la voie de l'appel incident et au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... épouse D... et au centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2023.



La rapporteure,





A. Blin



La présidente,




A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat



La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.





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