CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 16/02/2023, 20BX03509, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2018 par lequel la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 1902703 du 27 août 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 octobre 2020 et 7 novembre 2022, M. C..., représenté par Me Lelong, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 27 août 2020 ;
2°) d'annuler la décision du ministre des armées du 13 juillet 2018 ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées de réviser sa pension ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les premiers juges ne pouvaient considérer que le lien de causalité direct et certain entre les infirmités déjà pensionnées et les nouvelles infirmités n'était pas établi sans ordonner une expertise ;
- la preuve de ce lien de causalité est apportée avec notamment l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 27 février 2018 et les pièces médicales produites ;
- le maintien du taux d'invalidité de 35 % retenu pour les séquelles de traumatisme du genou gauche est erroné au vu des dernières expertises médicales, qui justifient que ce taux soit porté à 50 %, ce qui représente une augmentation de plus de 10 % de l'invalidité ; en tenant compte de l'état antérieur, qui n'est pas contesté, il existe quand même une aggravation de 5 % ;
- le seuil de 10 % permettant la révision de la pension est atteint en cumulant les différentes aggravations des infirmités déjà pensionnées et les nouvelles infirmités ;
- la prise en compte des nouvelles infirmités justifie également à elle seule une augmentation du taux d'invalidité de plus de 10 % ;
- une expertise est à tout le moins nécessaire pour déterminer la part des problèmes digestifs dus aux traitements médicaux justifiés par les infirmités déjà pensionnées ;
- l'assistance d'une tierce personne lui est nécessaire pour se déplacer en transports en commun.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 5 septembre 2022 et 5 décembre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'évaluation de l'infirmité relative aux séquelles de traumatisme du genou gauche doit tenir compte de l'état antérieur non imputable au service, dont l'existence a été reconnue de manière définitive par un jugement du tribunal des pensions du Finistère du 13 mai 1985 ; l'aggravation de cette infirmité ne dépasse pas le seuil de 10 % nécessaire à la révision de la pension ; M. C... ne peut utilement se prévaloir de documents médicaux antérieurs à la demande de pension ou postérieurs à celle-ci, dès lors que son état de santé doit être apprécié à la date de la demande de pension ;
- il n'est pas démontré que les deux autres infirmités déjà pensionnées aient connu des aggravations ;
- aucun document médical n'établit de lien de causalité entre les nouvelles infirmités, liées à une coxarthrose droite et une gonarthrose droite, et les infirmités déjà pensionnées ;
- le lien avec le service de l'infirmité relative aux problèmes digestifs n'est pas établi, ceux-ci étant dus à la totalité des traitements médicaux pris par M. C..., parmi lesquels certains sont dus à des pathologies dépourvues de lien avec le service ;
- le jugement qui rejette la demande de majoration de la pension pour assistance constante d'une tierce personne doit être confirmé, en l'absence d'éléments nouveaux ;
- la demande d'expertise a déjà été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers le 12 octobre 2020.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 4 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... A...,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lelong, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né en 1953, a servi dans l'armée de terre du 5 décembre 1973 au 1er décembre 1974, date à laquelle il a été rayé des contrôles. Par arrêté du 11 décembre 2006, une pension militaire d'invalidité lui a été concédée à compter du 5 juin 2006, au taux global de 75 %, pour trois infirmités : séquelles de traumatisme du genou gauche au taux de 35 %, séquelles d'entorse grave de la tibio-tarsienne gauche traitée chirurgicalement au taux de 30 % + 5, et coxarthrose gauche avec raideur articulaire au taux de 20 % + 10. Le 29 septembre 2015, il a sollicité une révision de sa pension au regard, d'une part, de l'aggravation des infirmités déjà reconnues, d'autre part, de la prise en compte de nouvelles infirmités et, enfin, de la nécessité de recourir de manière constante aux soins d'une tierce personne. Cette demande a été rejetée par décision de la ministre des armées du 13 juillet 2018. M. C... a saisi le tribunal des pensions militaires de Poitiers, qui a transmis la requête au tribunal administratif de Poitiers, lequel a, par jugement du 27 août 2020, rejeté sa demande d'annulation de la décision ministérielle et d'octroi d'une pension au taux majoré pour aide d'une tierce personne. Par la présente requête, M. C... relève appel de ce jugement.
Sur l'aggravation des infirmités déjà pensionnées :
2. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors en vigueur : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins du pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. (...) "
3. Il résulte de l'instruction que M. C... a subi un traumatisme au genou gauche à la suite d'une blessure reçue le 18 mars 1974, qui a aggravé une infirmité déjà présente à l'adolescence et qui a conduit à la mise en place d'une prothèse totale en 2003. Il ressort des expertises réalisées les 11 janvier 2017, 17 juillet 2017 et 16 juillet 2020 que l'état fonctionnel du genou gauche a été jugé stationnaire. Si les mêmes experts ont également mentionné un taux d'invalidité de 50 % au lieu du taux de 35 % retenu pour le calcul de la pension, cette évaluation tient compte de l'état antérieur évalué à 10 %, lequel a été confirmé par un jugement définitif du tribunal des pensions du Finistère du 12 octobre 1985. L'augmentation résiduelle de 5 % n'est, compte tenu des appréciations littérales qui l'accompagnent, pas suffisante pour caractériser une aggravation et justifier une révision de la pension.
Sur les infirmités nouvelles :
4. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors en vigueur : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 de ce code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. (...) ".
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les troubles digestifs gastro-intestinaux dont souffre M. C... engendrent un degré d'invalidité qui a été estimé par les experts à 10 %, soit le seuil à partir duquel les infirmités sont prises en compte pour l'attribution d'une pension. Toutefois, il résulte également des pièces médicales produites que si ces troubles résultent pour partie des anti-inflammatoires pris pour ses arthralgies, ils sont également dus aux corticoïdes nécessaires pour soulager ses crises d'allergies oto-rhino-laryngologiques et les séquelles d'une dilatation des bronches résultant d'une coqueluche durant l'enfance. Par suite, une expertise pour établir la part imputable aux anti-inflammatoires pour arthralgies, qui serait nécessairement inférieure aux 10 % indemnisables, n'apparaît pas utile, et en rejetant la demande de prise en compte de cette infirmité au motif que l'origine et la cause des troubles étaient multiples et non documentées et que le lien direct et certain avec le service n'était pas établi, le ministre des armées n'a pas méconnu les dispositions précitées.
6. En second lieu, la coxarthrose et la gonarthrose dont souffre M. C... du côté droit, et qui ont chacune été évaluées par les experts au taux de 20 %, ne sont rattachables à aucun fait précis de service. Toutefois, le médecin traitant de M. C... explique ces nouvelles infirmités par le fait que son patient s'appuie davantage du côté droit pour compenser les infirmités dont il est atteint côté gauche et qui résultent de blessures en lien avec le service. Cette seule affirmation, non corroborée par d'autres pièces médicales, n'est pas suffisante pour apporter la preuve d'un lien avec les infirmités déjà pensionnées, mais justifie néanmoins qu'une expertise soit diligentée sur ce point.
Sur la nécessité de soins par une tierce personne :
7. Aux termes de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors en vigueur : " Les invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels de la vie ont droit à l'hospitalisation, s'ils la réclament. (...) / S'ils ne reçoivent pas ou s'ils cessent de recevoir cette hospitalisation et si, vivant chez eux, ils sont obligés de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne, ils ont droit, à titre d'allocation spéciale, à une majoration égale au quart de la pension. Toutefois, à dater du 1er janvier 1950, cette majoration est élevée au montant de la pension pour les invalides atteints d'infirmités multiples dont deux au moins leur auraient assuré, chacune prise isolément, le bénéfice de l'allocation visée au précédent alinéa. (...) ".
8. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise médicale réalisée le 11 janvier 2017, que, si M. C... a besoin de l'assistance d'une tierce personne pour des gestes ponctuels, notamment pour assurer des tâches ménagères, il ne nécessite pas de manière constante les soins d'une tierce personne pour les actes essentiels de la vie. Par suite, il ne remplit pas les conditions, prévues à l'article L. 18 précité, pour bénéficier d'une majoration de sa pension.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers n'a pas fait droit à ses conclusions de révision de sa pension pour l'aggravation des infirmités déjà pensionnées, l'infirmité nouvelle relative aux troubles digestifs gastro-intestinaux et la nécessité de soins par une tierce personne. En revanche, le dossier ne permet pas d'apprécier si les coxarthrose et gonarthrose du côté droit peuvent ouvrir droit à une révision de la pension. Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions prévues par le dispositif du présent arrêt.
DECIDE :
Article 1er : Avant de statuer sur le droit à pension de M. C... pour les infirmités du côté droit, il sera procédé à une expertise médicale contradictoire par un médecin rhumatologue, en présence de M. C... et du ministre des armées.
Article 2 : L'expert aura pour mission :
1°) de prendre connaissance du dossier médical et d'examiner M. C... ;
2°) de dire, en se plaçant à la date du 29 septembre 2015, si les coxarthrose et gonarthrose dont souffre M. C... du côté droit résultent, et le cas échéant dans quelle proportion, d'une compensation des infirmités du côté gauche.
Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé.
Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe sous forme dématérialisée dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec l'accord de ces dernières, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 6 : Les conclusions relatives aux autres infirmités et à la majoration de pension pour l'assistance par une tierce personne sont rejetées.
Article 7 : Tous droits et moyens de la requête sur lesquels il n'a pas été expressément statué sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 février 2023.
Le rapporteur,
Olivier A...
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20BX03509