CAA de PARIS, 4ème chambre, 31/03/2023, 22PA00119, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision31 mars 2023
Num22PA00119
JuridictionParis
Formation4ème chambre
PresidentMme BRIANÇON
RapporteurMme Lorraine D'ARGENLIEU
CommissaireMme JAYER
AvocatsDE CASTELBAJAC

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 21 février 2019 par laquelle la maire de Paris a rejeté sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle.

Par un jugement n° 1915346/2-3 du 12 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 janvier 2022, le 24 mai 2022 et le 13 février 2023, M. E..., représenté par Me de Castelbajac, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1915346/2-3 du 12 novembre 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 21 février 2019 rejetant sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle ;

3°) d'enjoindre à la Ville de Paris de reconnaître sa maladie comme imputable au service dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir et de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux en conséquence, ou à défaut de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai ;

4°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- il n'a pas été régulièrement averti de la date de la tenue de l'audience ;
- il n'a pas eu connaissance des conclusions du rapporteur public avant la tenue de l'audience ;
- la minute du jugement n'est pas signée ;
- les premiers juges ont omis de statuer sur les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte et de l'insuffisante motivation de l'acte contesté ;
- les premiers juges ont méconnu leur office en s'estimant liés par l'avis de la commission de réforme ;

Sur le bien-fondé du jugement :
- la décision contestée a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- la maire de Paris s'est sentie en situation de compétence liée pour prendre la décision contestée ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation.


Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2023, la maire de Paris conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.

Par un courrier du 7 mars 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision de la Cour est susceptible de se fonder sur le moyen d'ordre public, relevé d'office, tiré de ce que le moyen tiré des vices entachant la procédure devant la commission de réforme n'est pas recevable car reposant sur une cause juridique distincte de celle fondant les moyens de première instance présentés dans le délai de recours contentieux.

Par un mémoire enregistré le 12 mars 2023, M. E..., représenté par Me de Castelbajac, a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires,
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale,
- le décret n°87-602 du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des comités médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux,
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu, première conseillère,
- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,
- les observations de Me de Castelbajac, représentant M. E... et de Me Moscardini, représentant la Ville de Paris.


Une note en délibéré enregistrée le 18 mars 2023 a été présentée pour M. E....



Considérant ce qui suit :

1. M. E..., éboueur de la Ville de Paris depuis le 23 avril 1990, souffre d'une discopathie étagée à type de protrusions discales, laquelle a été constatée le 22 septembre 2016. Ayant été déclaré inapte à l'exercice de son emploi d'éboueur, M. E... a sollicité le 14 mars 2017 la reconnaissance de cette pathologie comme maladie professionnelle. Le 7 juin 2018, le médecin de contrôle de la médecine statutaire de la Ville de Paris a émis un avis défavorable à la reconnaissance d'une maladie contractée en service. Le 24 janvier 2019, la commission de réforme s'est prononcée dans le même sens. Par une décision du 21 février 2019, la maire de Paris a refusé de faire droit à la demande de M. E... aux fins de reconnaissance d'imputabilité au travail de sa pathologie. M. E... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 février 2019.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-2 du code de justice administrative : " Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative mentionnée à l'article R. 611-4, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience ". M. E... fait valoir que, en méconnaissance de ces dispositions, il n'a pas été averti de la tenue de l'audience. Toutefois, il ressort des visas du jugement attaqué, lesquelles font foi jusqu'à preuve du contraire laquelle n'est pas apportée en l'espèce, que les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne (...) ". M. E... fait valoir que, en méconnaissance de ces dispositions, il n'a pas eu connaissance avant l'audience du sens des conclusions du rapporteur public. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 2 du présent arrêt, il n'est pas utilement contesté que l'intéressé a été régulièrement convoqué. Or, l'avis d'audience mentionne les modalités selon lesquelles les parties peuvent prendre connaissance du sens de ces conclusions. Le moyen doit, donc, être écarté.
4. En troisième lieu, l'article R. 741-7 du code de justice administrative dispose que : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort de la minute du jugement que celle-ci a été dûment signée. Le moyen doit être écarté.
5. En quatrième lieu, les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte et de son insuffisante motivation n'ayant pas été soulevés en première instance, le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier pour avoir omis d'y répondre doit être écarté.
6. En cinquième lieu, M. E... soutient que les premiers juges ont commis une erreur de droit en ne soulevant pas d'office le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte. Toutefois, le juge n'est tenu de soulever d'office un moyen d'ordre public que lorsque celui-ci ressort clairement des pièces du dossier, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Le moyen doit, par suite, être écarté.
7. En sixième et dernier lieu, le moyen tiré de ce que les premiers juges n'auraient pas exercé leur office en se sentant liés par l'avis défavorable de la commission de réforme relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité et ne peut en conséquence qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
8. En premier lieu, la demande présentée devant le tribunal administratif ne contenant aucun moyen de légalité externe, le moyen, qui n'est pas d'ordre public, tiré de l'insuffisante motivation de l'acte contesté soulevé pour la première fois en appel est pour ce motif irrecevable et doit être écarté.
9. En deuxième lieu, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte étant d'ordre public, M. E... est fondé à le soulever pour la première fois en appel, quand bien même aucun moyen de légalité externe n'a été présenté devant les premiers juges. Toutefois, par un arrêté du 5 février 2019 publié au bulletin municipal officiel de la Ville de Paris du 12 février 2019, la maire de Paris a donné délégation à Mme B... C..., cheffe du pôle aptitudes, maladies, accidents, à l'effet de signer les actes et documents de nature administrative relevant de ce bureau, et notamment les décisions concernant les arrêtés de travail et maladies contractées en service des fonctionnaires. Par conséquent, le moyen manque en fait et doit, pour ce motif, être écarté.
10. En troisième lieu, le fait que la maire de Paris se soit appropriée le motif de l'avis défavorable de la commission de réforme ne suffit pas, en l'absence d'autre élément, pour considérer qu'elle serait sentie en situation de compétence liée pour refuser de faire droit à la demande de reconnaissance d'imputabilité au service de la pathologie dont souffre M. E.... Le moyen doit donc être écarté.
11. En quatrième et dernier lieu, d'une part, aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...). / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".
12. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Il appartient au juge d'apprécier si les conditions de travail du fonctionnaire peuvent, même en l'absence de volonté délibérée de nuire à l'agent, être regardées comme étant directement à l'origine de la maladie dont la reconnaissance comme maladie professionnelle est demandée.
13. D'autre part, aux termes du IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique : " Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau (...) ".
14. L'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 étant manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, ces dispositions ne sont donc applicables, s'agissant de la fonction publique territoriale, que depuis l'entrée en vigueur, le 12 avril 2019, du décret du 10 avril 2019, décret dont l'intervention était, au demeurant, prévue, par le VI de cet article 21 bis. Il en résulte que les dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017, sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 10 avril 2019, soit le 12 avril 2019.
15. En l'espèce, la pathologie de M. E... ayant été diagnostiquée en septembre 2016, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017, aucune disposition ne permettait, à la date de la décision attaquée, de rendre applicable le régime de présomption d'imputabilité qu'elles prévoient aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale. Les premiers juges ont d'ailleurs substitué à bon droit à l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, sur le fondement duquel la Ville de Paris avait fondé à tort sa décision, les dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984. Par suite, il appartenait à M. E... d'établir que sa pathologie résultait directement des fonctions exercées. Or, les certificats médicaux, les trois conclusions médicales de la médecine préventive émises entre janvier et septembre 2016, les deux premières demandant des aménagements de poste, la troisième déclarant M. E... inapte à l'exercice de ses fonctions, ainsi que l'avis du 24 février 2017 du médecin de prévention de la Ville de Paris se contentant de décrire la pathologie dont M. E... est atteint et les risques professionnels encourus, produits par l'appelant, ne suffisent pas à remettre en cause les avis du médecin de contrôle de la médecine statutaire de la Ville de Paris et de la commission de réforme, tous deux défavorables à une reconnaissance de maladie contractée en service. Etant ajouté qu'il ressort de la fiche de présentation devant la commission départementale de réforme produite au dossier que l'intéressé souffre d'une pathologie dégénérative. Par suite, le moyen tiré de ce que la maire de Paris aurait commis une erreur d'appréciation en refusant de reconnaitre l'imputabilité au service de la pathologie dont souffre l'intéressé doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Ville de Paris qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. E... demande au titre des frais de l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. E... le versement de la somme que la Ville de Paris demande au titre des frais de l'instance sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la Ville de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 17 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Claudine Briançon, présidente,
- Mme D... d'Argenlieu, première conseillère,
- Mme Marguerite Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mars 2023.


La rapporteure,
L. d'ARGENLIEU
La présidente,
C. BRIANÇON
La greffière,

O. BADOUX-GRARE
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00119