CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 18/07/2023, 21TL03691, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 juillet 2023
Num21TL03691
JuridictionToulouse
Formation2ème chambre
PresidentMme GESLAN-DEMARET
RapporteurMme Anne BLIN
CommissaireMme TORELLI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 25 mars 2019 de la ministre des armées en tant que celle-ci a rejeté sa demande de révision de pension militaire d'invalidité pour aggravation des infirmités pensionnées n° 2 et 3, de lui allouer le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité à titre définitif aux taux de 30 % pour les infirmités pensionnées contestées et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1903747 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Nîmes a fixé à 20% le taux d'invalidité de la pension concédée à M. C... A... au titre de chacune des infirmités n° 2 " Séquelles de fracture du calcanéum droit " et n° 3 " Séquelles de fracture tassement postéro-latéral de C5 sur C6 ", a réformé l'arrêté du 25 mars 2019 de la ministre des armées en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du jugement, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par un recours, enregistré le 27 août 2021 sous le n° 21MA03691 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL03691, la ministre des armées demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 8 juillet 2021 en ce qu'il a accordé à M. C... A... un taux d'invalidité de 20% au titre des " Séquelles de fracture du calcanéum droit " et un même taux d'invalidité au titre des " Séquelles de fracture tassement postéro-latéral de C5 sur C6 ", à compter du 27 juillet 2018 ;

2°) de limiter le taux d'invalidité de M. C... A... au titre de chacune de ces infirmités au taux de 10%, à compter du 27 juillet 2018 ;

3°) de confirmer la décision du 25 mars 2019.

Elle soutient que :
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur d'appréciation en reconnaissant à M. C... A... un taux d'invalidité de 20% pour chacune des deux infirmités : il a privilégié les conclusions d'une expertise réalisée postérieurement à la date du renouvellement des infirmités ; les experts n'ont pas analysé les déficits fonctionnels dont reste atteint M. C... A..., confrontés à ceux de l'expertise antérieure de 2016, et ne rapportent pas d'éléments objectifs de la gêne fonctionnelle, aggravés depuis l'expertise de 2016 ; le rapport expertal fait état de préjudices tels que les souffrances physiques, d'ordre psychologique et d'ordre sexuel qui ne peuvent être réparés par l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent caractérisant la pension militaire d'invalidité ;
- le taux d'invalidité de 10% est médicalement et légalement justifié au regard de l'expertise règlementaire pratiquée par le docteur E....

La procédure a été communiquée à M. C... A..., qui a été mis en demeure de présenter des observations le 14 juin 2022.

Par ordonnance du 9 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 7 février 2023.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., né le 10 avril 1979, qui s'est engagé dans la Légion étrangère le 30 septembre 2009 où il a servi par contrats successifs avec le grade de caporal, a été victime d'une explosion de mine le 24 juillet 2015, alors qu'il circulait à bord d'un véhicule de l'avant-blindé dans le cadre d'une opération extérieure au Mali. Il a été titulaire d'une pension militaire d'invalidité temporaire concédée par arrêté du 13 février 2017 au taux de 20% prenant effet du 27 juillet 2015 au 26 juillet 2018, au titre de " Séquelles de fracture du calcanéum droit " et de " Séquelles de fracture tassement postéro-latéral de C5 sur C6 ". Le 7 mars 2017, M. C... A... a sollicité le bénéfice d'une pension au titre d'une infirmité nouvelle pour état post-traumatique. Le 3 avril 2018, il a sollicité le renouvellement de ses infirmités pensionnées. Par un arrêté du 25 mars 2019, la ministre des armées a consolidé sa pension en la portant au taux global de 60% compte-tenu de l'infirmité nouvelle évaluée au taux de 40% et en confirmant le taux de 10% pour chacune des deux infirmités n° 2 et 3. M. C... A... a demandé au tribunal régional des pensions militaires de Nîmes d'annuler cette décision, en tant qu'elle maintient à 10% le taux d'invalidité de chacune des infirmités n° 2 et 3. Cette demande a été transmise au tribunal administratif de Nîmes en application du décret du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité. Par un jugement du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Nîmes a réformé l'arrêté du 25 mars 2019 du ministre des armées en tant qu'il refuse de prendre en compte l'aggravation des infirmités n°2 et 3 de M. C... A..., et fixé à 20% le taux d'invalidité de chacune de ces infirmités. La ministre des armées demande d'annuler ce jugement en limitant le taux d'invalidité de M. C... A... au titre de ces infirmités à 10%.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. / Il en est de même de la date d'entrée en jouissance de la pension révisée pour aggravation ou pour prise en compte d'une infirmité nouvelle (...). " Aux termes de l'article L. 151-6 du même code : " La décision comportant attribution de pension est motivée. Elle fait ressortir les faits et documents ou les raisons d'ordre médical établissant que l'infirmité provient de l'une des causes mentionnées à l'article L. 121-1 ou, lorsque la pension est attribuée par présomption, le droit de l'intéressé à cette présomption. / Elle est accompagnée en outre, d'une évaluation de l'invalidité qui doit être motivée par des raisons médicales et comporter le diagnostic de l'infirmité et sa description complète, faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte à l'état général qui justifie le pourcentage attribué. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. Aucune pension n'est concédée en deçà d'un taux d'invalidité de 10 % ". Aux termes de l'article L. 121-8 du même code : " La pension a un caractère définitif lorsque l'infirmité causée par la blessure ou la maladie est reconnue incurable. A défaut, la pension est concédée pour trois ans et peut être convertie en pension définitive dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. / En cas de pluralité d'infirmités dont l'une ouvre droit à pension temporaire, la pension indemnisant l'ensemble des infirmités est attribuée à titre temporaire, sans préjudice du caractère définitif qui peut être reconnu à une ou plusieurs infirmités. (...) ". Aux termes de l'article L. 125-3 du même code : " Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, jusqu'au taux de 100 %, par référence au taux d'invalidité apprécié de 5 en 5. / (...) L'indemnisation des infirmités est fondée sur le taux d'invalidité reconnu à celles-ci en application des dispositions d'un guide-barème portant classification des infirmités d'après leur gravité (...) ". Aux termes de l'article L. 125-5 du même code : " Lorsqu'il s'agit d'amputations ou d'exérèses d'organe, les pourcentages d'invalidité figurant aux barèmes mentionnés à l'article L. 125-3 sont impératifs. / Dans les autres cas, ils ne sont qu'indicatifs ". Il résulte du guide-barème des invalidités applicable au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre qu'au titre des infirmités du tarse et du rachis, les taux d'invalidité sont les suivants : " (...) a. Fracture du calcanéum : 5 à 30 % (...) Raideurs articulaires : a. Avec angle de mobilité favorable, le pied conservant des mouvements qui oscillent de 15° autour de l'angle droit : 0 à 10 % ; b. Avec angle de mobilité défavorable (pied talus ou équin) : 10 à 30 % ; (...) Colonne vertébrale. 1. Lésions traumatiques (...) Fractures (...) : 10 à 30 % ".

4. Il résulte de l'instruction que, selon le rapport de l'expert médical spécialisé en rhumatologie, rendu le 29 novembre 2016, M. C... A... qui a été victime de différentes fractures lors de l'accident de service du 24 juillet 2015, reste notamment atteint de séquelles d'une fracture du calcanéum droit et d'une fracture tassement postéro-latérale C5 sur C6. Alors que l'intéressé se déplaçait avec un fauteuil roulant ou avec l'aide de deux cannes anglaises pour une autre pathologie et portait deux orthèses jambo-pédieuses, l'expert a estimé que chacune des deux infirmités justifiait un taux d'invalidité de 10%. Dans le cadre du renouvellement de la pension temporaire qui avait été concédée à M. C... A... au titre de ces deux infirmités, l'expert désigné a estimé, dans son rapport rendu le 28 septembre 2018, que les séquelles de fracture du calcanéum droit étaient inchangées depuis la précédente expertise, avec la persistance d'une raideur douloureuse de la cheville et de l'articulation sous-talienne entraînant une boiterie, et a relevé la persistance de cervicalgies avec limitation des mouvements de rotation et de flexion du rachis cervical. Au regard de ces constatations, l'expert a estimé que le taux d'invalidité de chacune de ces infirmités était inchangé, au taux de 10%. Pour remettre en cause le taux d'invalidité retenu dans la décision contestée du 25 mars 2019, M. C... A... a produit devant le tribunal un certificat médical établi le 14 août 2019 par le docteur ..., qui déclare suivre régulièrement l'intéressé pour des douleurs chroniques évoluant depuis 2015, et indique qu'il garde des séquelles à type de douleurs chroniques rachidiennes et des calcanéums et a bénéficié à plusieurs reprises de perfusions de kétamine à visée antalgique depuis octobre 2016, avec un bénéfice net sur les douleurs rachidiennes et des deux talons. Ce certificat médical ne fait ainsi état d'aucun élément permettant de remettre en cause les taux d'invalidité tels que retenus par l'expert. M. C... A... a ensuite produit une expertise rendue le 19 octobre 2019 à sa demande par le docteur ..., qui indique ne pas souscrire aux conclusions de l'expert et retient un taux d'invalidité de 25% au titre des séquelles au niveau de la fracture du calcanéum et de 20% au titre de celles au niveau du rachis. Toutefois, alors que ce rapport indique examiner l'état actuel du patient, sans préciser se placer à la date de la demande de renouvellement de la pension militaire d'invalidité de celui-ci, soit le 3 avril 2018, il résulte de l'instruction que les constatations opérées sont identiques à celles de l'expert ... en ce qui concerne l'examen tant du rachis cervical que de la flexion des chevilles. Ainsi, le docteur B... relève que le rachis cervical montre un rachis limité dans la flexion avec une distance menton-sternum de 7 centimètres, que l'inclinaison latérale droite et gauche est de 30° et que la rotation droite et gauche est de 60°. S'agissant des calcanéums, l'examen des membres inférieurs et des chevilles révèle une flexion dorsale de 5° à droite, identique lors des précédentes expertises, et une flexion plantaire de 40° à droite, mesurée à 45° lors des précédentes expertises. Pour retenir des taux d'invalidité de 20 et 25% respectivement, le docteur B... indique avoir pris en considération les comptes-rendus du docteur D..., la prise en charge de l'intéressé par le centre anti-douleur et les très nombreuses perfusions de kétamine dont il a bénéficié, ainsi que la prise en charge psychologique et les différents éléments de l'examen clinique. Toutefois, alors que les experts désignés par l'administration relevaient déjà les douleurs du rachis cervical, l'examen clinique effectué par le docteur B... ne révèle aucune modification de l'état de M. C... A... s'agissant des deux infirmités n° 2 et 3. En outre, l'expertise réalisée le 25 février 2019 dans le cadre de l'indemnisation de l'accident de service dont a été victime l'intéressé, fait état d'un déficit fonctionnel permanent dont il reste atteint en lien direct avec l'accident au taux de 23%, lequel inclut un syndrome post traumatique persistant modéré compliqué d'un syndrome dépressif, qui a par ailleurs donné lieu à une pension d'invalidité au taux de 40%, ainsi que des séquelles du 5ème doigt de la main droite. Dans ces conditions, en fixant à 10% le taux de chacune des invalidités n° 2 et 3, le ministre des armées n'a entaché sa décision d'aucune erreur de droit ou d'appréciation au regard du guide barème des invalidités.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes s'est fondé sur l'aggravation des séquelles des lésions du calcanéum droit et du rachis cervical inférieur de M. C... A... pour réformer la décision du 25 mars 2019 de la ministre des armées.

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... A... devant le tribunal administratif de Nîmes.

Sur les autres moyens soulevés en première instance :

7. Lorsqu'il est saisi d'un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur les droits de l'intéressé en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, et aussi, le cas échéant, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens ou au vu de moyens d'ordre public, la régularité de la décision en litige.

8. En premier lieu, la décision du 25 mars 2019 a été signée par Mme ..., attachée principale d'administration de l'Etat, adjointe au chef du bureau des invalidités, des réversions et du contentieux au sein de la sous-direction des pensions du service de l'accompagnement professionnel et des pensions, qui a reçu, par décision du 8 février 2019 de la directrice des ressources humaines du ministère de la défense, publiée au Journal officiel de la République française du 10 février 2019, délégation à l'effet de signer au nom de la ministre des armées, notamment les actes relatifs aux invalidités. Le directeur des ressources humaines du ministère des armées avait lui-même compétence pour déléguer ainsi sa signature, en application de l'article 3 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée, qui est d'ordre public, doit dès lors être écarté.

9. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la requête introductive d'instance enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nîmes le 3 octobre 2019, qui se borne à contester le bien-fondé de la décision du 25 mars 2019, est dépourvue de tout moyen de forme ou de procédure. Dès lors, la ministre des armées est fondée à soutenir que les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et des vices de procédure dont serait entachée la décision du 25 mars 2019 en raison, d'une part, de l'irrégularité de l'avis de la commission consultative médicale du 19 janvier 2019 visé dans la fiche descriptive des infirmités et, d'autre part, de la nullité partielle de ladite fiche descriptive des infirmités résultant de la nullité de l'expertise du fait de la qualité de l'expert, qui ont été soulevés dans le mémoire complémentaire enregistré le 5 mars 2020, sont irrecevables.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise médicale qui ne présente pas de caractère d'utilité, la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 8 juillet 2021 le tribunal administratif de Nîmes a réformé sa décision du 25 mars 2019 en tant qu'elle a fixé un taux d'invalidité de 10% pour chacune des infirmités n°2 et 3. Par suite, ce jugement n° 1903747 doit être annulé en tant qu'il a attribué un taux d'invalidité de 20% au titre de chacune des infirmités n° 2 et 3. M. C... A... n'étant pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 25 mars 2019, ses conclusions tendant à enjoindre à l'Etat de lui allouer le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité à titre définitif aux taux de 30 % pour les infirmités n°2 et 3 doivent dès lors être rejetées.

D E C I D E :


Article 1er : Le jugement n° 1903747 du tribunal administratif de Nîmes en date du 8 juillet 2021 est annulé en tant qu'il a attribué à M. C... A... un taux d'invalidité de 20% au titre de chacune des infirmités n° 2 " Séquelles de fracture du calcanéum droit " et n° 3 " Séquelles de fracture tassement postéro-latéral de C5 sur C6 ".
Article 2 : La demande présentée par M. C... A... devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C... A... et au ministre des armées.


Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
Mme Arquié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2023.


La rapporteure,
A. Blin



La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
C. Lanoux


La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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