CAA de NANTES, 6ème chambre, 19/09/2023, 21NT03609, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 29 juin 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant à ce qu'une pension militaire d'invalidité lui soit allouée en qualité de conjointe survivante à la suite du décès de son mari, M. A... C..., ancien militaire.
Par un jugement n° 1905823 du 26 octobre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 décembre 2021, Mme C..., représentée par le cabinet d'avocats Teissonnière et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 octobre 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 29 juin 2018 ;
Elle soutient que :
- la légalité de la décision contestée doit s'apprécier au regard des dispositions de l'article L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 2018, lesquelles instituent une présomption d'imputabilité pour les pathologies correspondant au tableau n° 30 bis des maladies professionnelles ;
- les pièces médicales qu'elle produit attestent que son mari, qui est décédé d'un cancer broncho-pulmonaire, remplissait toutes les conditions requises pour bénéficier de cette présomption ;
- à supposer que la présomption d'imputabilité ne puisse pas être reconnue, les éléments du dossier révèlent une probabilité suffisante que la pathologie dont son mari est décédé, est en rapport avec son activité professionnelle ; l'administration n'établit pas que d'autres facteurs en seraient la cause déterminante ;
- en rejetant sa demande aux motifs que l'existence d'un lien direct et déterminant ne serait pas établi la ministre a entaché sa décision d'une erreur de droit ; le tribunal administratif a omis de répondre à ce moyen.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né en 1946, a exercé ses fonctions de mécanicien embarqué au sein de la marine nationale entre 1966 et 1986. A la suite d'un scanner effectué le 8 octobre 2008, qui a révélé la présence de plaques pleurales chez cet ancien marin, une pension militaire d'invalidité lui a été concédée pour cette infirmité au taux de 30 %. L'intéressé est décédé le 17 août 2017. Son épouse a contesté devant le tribunal administratif de Rennes, devenu compétent par détermination de la loi, la décision du 29 juin 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant à ce qu'une pension militaire d'invalidité lui soit allouée en qualité de conjointe survivante. Elle relève appel du jugement du 26 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 29 juin 2018 :
2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service (...) ". L'article L. 121-2 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la demande présentée par Mme C..., dispose que : " Lorsque la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes mentionnées à l'article L. 121-1 ne peut être apportée, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : (...) 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle ait été constatée après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant l'une des dates mentionnées au 1°. (...) La présomption définie au présent article s'applique exclusivement, soit aux services accomplis en temps de guerre, au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre ou en opération extérieure, soit au service accompli par les militaires (...) Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. ". Aux termes de l'article L. 141-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le droit à pension est ouvert au conjoint (...) survivant (...) : (...) 3° Lorsque le décès du militaire résulte de maladies contractées ou aggravées par suite de fatigues, dangers ou accidents survenus par le fait ou à l'occasion du service, et ce, quel que soit le pourcentage d'invalidité éventuellement reconnu à l'ouvrant droit. ". Aux termes de l'article R. 151-2 du même code : " La pension militaire d'invalidité (...) est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. ".
3. Lorsqu'il est saisi d'un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur les droits de l'intéressé en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, et aussi, le cas échéant, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens ou au vu de moyens d'ordre public, la régularité de la décision en litige.
4. Ainsi qu'il a été dit au point 1, M. C..., qui bénéficiait d'une pension militaire d'invalidité depuis le 26 novembre 2008 pour l'infirmité " plaques pleurales calcifiées ", est décédé le 17 août 2017. Par un courrier reçu le 1er septembre 2017, Mme C... a sollicité une pension militaire d'invalidité en sa qualité de conjointe survivante. Par une décision du 29 juin 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande. Pour contester la légalité de cette décision, la requérante se prévaut des dispositions de la loi susvisée du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions, instituant une présomption d'imputabilité au service pour toutes les maladies désignées par les tableaux des maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1, L. 461-2 et L. 461-3 du code de la sécurité sociale, et contractées dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le militaire de ses fonctions. En l'absence de précision contraire de ce texte, ces dispositions législatives n'ont toutefois pas vocation à s'appliquer avant l'entrée en vigueur de cette loi parue au Journal officiel de la République le 15 juillet 2018. Il s'ensuit que la présomption prévue à l'article L. 121-2 dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 2018 n'est pas applicable à la demande déposée le 1er septembre 2017 par Mme C....
5. Lorsque le demandeur d'une pension ne peut bénéficier de la présomption légale d'imputabilité et que, par ailleurs, cette imputabilité n'est pas admise par l'administration, il incombe à l'intéressé d'apporter la preuve de l'imputabilité de l'affection au service par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Dans les cas où est en cause une affection à évolution lente et susceptible d'être liée à l'exposition du militaire à un environnement ou à des substances toxiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération les éléments du dossier relatifs à l'exposition du militaire à cet environnement ou à ces substances, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer. Il revient ensuite aux juges du fond de déterminer si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle. Lorsque tel est le cas, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'administration n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie.
6. Selon le tableau 30 bis des maladies professionnelles annexé au code de la sécurité sociale, constitue une maladie professionnelle un cancer broncho-pulmonaire apparu dans un délai de 40 ans chez un salarié ayant exercé pendant au moins dix ans des travaux d'entretien ou de maintenance sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante. Il n'est pas contesté que, sur les navires de la marine nationale construits jusqu'à la fin des années quatre-vingt, l'amiante était utilisée de façon courante comme isolant pour calorifuger tant les tuyauteries que certaines parois et certains équipements de bord, de même que les réacteurs et moteurs des avions de l'aéronavale et que ces matériaux d'amiante avaient tendance à se déliter du fait des contraintes physiques imposées à ces matériels, de la chaleur, du vieillissement du calorifugeage, ou de travaux d'entretien en mer ou au bassin. En conséquence, les marins servant sur les bâtiments de la marine nationale, qui ont vécu et travaillé dans un espace souvent confiné, sont susceptibles d'avoir été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante. En outre, il est admis, sur le plan scientifique, que l'inhalation de poussières d'amiante, sur une durée longue, peut, à plus ou moins long terme, et parfois vingt à trente ans après l'exposition, être la cause de cancers bronchiques mortels.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a travaillé en qualité de mécanicien embarqué sur des bâtiments de la marine nationale de 1966 à 1986, soit pendant plus de 20 ans. Par ailleurs, alors que des plaques pleurales calcifiées avaient été diagnostiquées chez cet ancien marin, les examens qui ont été effectués lors de son hospitalisation au début du mois d'août 2017 ont permis de diagnostiquer un adénocarcinome métastasé. Dans son certificat du 23 août 2017, la pneumologue du centre hospitalier de Bretagne Sud évoque un diagnostic en faveur " d'une métastase d'un adénocarcinome peu différencié pouvant s'accorder avec une origine digestive haute, une différenciation pancréato biliaire ou encore pulmonaire malgré la négativité du TTF1". Elle souligne l'existence d'un nodule de 8 mm au niveau du lobe supérieur du poumon droit et ajoute que l'intéressé ne présentait pas d'antécédent notable autre que son exposition à l'inhalation de poussières d'amiante dans le cadre de son activité professionnelle, ce que confirme la pneumologue qui suivait régulièrement M. C.... En défense, l'administration n'apporte aucun élément de nature à établir que d'autres facteurs seraient la cause déterminante de la pathologie dont l'intéressé est décédé. Dans ces conditions, et compte tenu de la durée d'exposition et des fonctions exercées, de surcroît en milieu confiné, par son mari décédé, Mme C... doit être regardée comme établissant un lien suffisant entre la pathologie à l'origine du décès de son mari et son activité professionnelle. En conséquence, la requérante est fondée à soutenir qu'en rejetant sa demande de pension militaire d'invalidité en qualité de conjointe survivante, la ministre des armées a entaché sa décision d'illégalité.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur l'octroi d'une pension militaire d'invalidité à Mme C... :
9. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de renvoyer Mme C... devant le ministre des armées afin qu'il détermine le montant de la pension militaire d'invalidité à laquelle elle peut prétendre en qualité de conjointe survivante, sur la base d'un taux d'invalidité de 100 % correspondant selon le guide-barème annexé au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre aux affections cancéreuses malignes " en évolution dont la caractéristique commune est de faire peser une menace certaine sur l'existence de l'individu ".
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1905823 du tribunal administratif de Rennes en date du 26 octobre 2021, ainsi que la décision de la ministre des armées du 29 juin 2018 sont annulés.
Article 2 : Mme C... est renvoyée devant le ministre des armées pour le calcul de la pension militaire d'invalidité en qualité de conjointe survivante à laquelle elle peut prétendre sur la base d'une infirmité de 100 %.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03609