CAA de NANTES, 6ème chambre, 19/12/2023, 23NT01523, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 18 novembre 2020 par laquelle la présidente de l'université de Bretagne Sud a refusé de reconnaitre l'imputabilité au service de sa pathologie et a procédé au retrait de l'arrêté du 25 novembre 2019 le plaçant en congé pour invalidité temporaire imputable au service à titre provisoire.
Par un jugement n°2005327 du 12 avril 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mai 2023, M. D..., représenté par Me Matel, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 avril 2023 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler la décision du 18 novembre 2020 de la présidente de l'université de Bretagne Sud refusant de reconnaitre l'imputabilité au service de sa pathologie ;
3°) de mettre à la charge de l'université de Bretagne Sud une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le jugement attaqué a retenu une circonstance particulière de nature à détacher sa pathologie du service :
* il n'y a aucune simultanéité entre ses premiers arrêts de travail et l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre, sa maladie résulte d'une surcharge de travail et de la dégradation de ses relations avec son supérieur hiérarchique ;
* plusieurs médecins ont estimé que sa pathologie présentait un lien direct et exclusif avec le service et aucun état pathologique antérieur n'a été constaté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2023, la présidente de l'université de Bretagne Sud conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du requérant la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens invoqués par M. D... sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2019-122 du 21 février 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Matel pour M. D... et de Me Allaire pour l'université de Bretagne Sud.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., enseignant à l'institut universitaire technologique (IUT) de Vannes, composante de l'université de Bretagne Sud, a été placé en congé de maladie ordinaire du 3 au 20 avril 2018. Il a été de nouveau placé en congé de maladie ordinaire du 14 au 30 juin 2018, puis, à compter du 6 août 2018, en raison d'un état anxio-dépressif. Le 12 juillet 2018, il a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service de cette pathologie. Parallèlement à cette demande, il a été placé en congé de longue maladie du 6 août 2018 au 5 août 2019, puis en congé de longue durée. Après avis de la commission départementale de réforme, le président de l'université de Bretagne Sud a, par un arrêté du 25 novembre 2019, placé M. D... en congé pour invalidité temporaire imputable au service à titre provisoire. Par une décision du 18 novembre 2020, la présidente de l'université de Bretagne Sud a refusé de reconnaitre l'imputabilité au service de la pathologie de l'intéressé et a procédé au retrait de l'arrêté du 25 novembre 2019 le plaçant en congé pour invalidité temporaire imputable au service à titre provisoire. Le requérant relève appel du jugement du 12 avril 2023 du tribunal administratif de Rennes ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 novembre 2020 de la présidente de l'université de Bretagne Sud.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) ".
3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la demande d'expertise sollicitée par l'administration, le Dr F..., psychiatre, a estimé dans son rapport du 12 septembre 2018 que " M. D... ne présentait pas d'antécédent susceptible de constituer un état pathologique antérieur et que le lien entre la symptomatologie de syndrome anxio-dépressif majeur présentée et le contexte professionnel était direct et certain ". La contre-expertise demandée par la commission de réforme conduite par le Dr A... a conclu que : " l'état pathologique n'est pas antérieur à la maladie professionnelle et il n'y a donc pas lieu dans ce cas d'établir un taux d'incapacité permanente partielle. ". La commission de réforme, lors de sa séance du 17 octobre 2019, a émis un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de M. D... à compter du 30 juin 2017 en précisant qu'il n'existait " pas d'état antérieur au vu des deux expertises ". Rien ne permet de remettre en cause les avis concordants rendus par les différents praticiens ayant eu à connaître du cas de M. D..., sa maladie doit donc être regardée comme présentant un lien direct avec l'exercice de ses fonctions.
5. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que M. D... a été convoqué, le 29 mars 2018, à un entretien avec le directeur de l'IUT pour un comportement inadapté à l'égard de plusieurs collègues de sexe féminin. Réunie le 26 novembre 2018, la commission disciplinaire lui a infligé une interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement et de recherche à l'université de Bretagne Sud pendant une durée d'un an, avec privation de la moitié de son traitement. M. D... a fait appel de cette sanction devant le conseil national de l'enseignement supérieur. Si les premiers troubles du syndrome anxio-dépressif du requérant sont apparus dès juin 2017, ainsi que l'attestent les certificats médicaux des 20 août et 6 novembre 2018 des Dr B..., médecin traitant de M. D..., et du Dr C..., psychiatre, le premier arrêt maladie de M. D... est intervenu le 3 avril 2018, soit juste après sa convocation à un entretien avec le directeur de l'IUT, qui devait se tenir le 5 avril 2018 et a été reporté au 26 avril suivant. La demande initiale de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie de M. D... est intervenue le 12 juillet 2018, soit près de 4 mois après la découverte des faits fautifs portés à la connaissance de l'agent. Comme le relève le Dr C... le 6 novembre 2018, une nette aggravation des troubles voire une décompensation aigüe a été constatée à compter d'avril 2018, à la suite de l'engagement de la procédure disciplinaire à l'encontre de M. D..., qui a constitué l'élément déclencheur de son placement en arrêt de travail et un facteur déterminant dans la décompensation dépressive de l'intéressé. Aucun élément du dossier ne permet d'estimer que les faits à l'origine de la sanction auraient été favorisés par les conditions d'exercice des fonctions de l'intéressé. Par ailleurs, il est constant que l'administration disposait de plusieurs témoignages précis et circonstanciés de personnes sans lien entre elles, justifiant l'engagement d'une procédure disciplinaire dont il n'est ni allégué ni établi qu'elle se serait déroulée dans des conditions irrégulières. Aucun élément ne permet davantage de révéler, de la part de l'employeur, une volonté délibérée de porter atteinte aux droits, à la dignité, ou d'altérer la santé de M. D.... Dans les circonstances de l'espèce, l'engagement de la procédure disciplinaire, concomitante aux premiers arrêts de travail du requérant, constitue une circonstance particulière de nature à détacher la pathologie du service. C'est donc sans commettre d'erreur d'appréciation que l'administration a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'état de santé de M. D....
6. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'université de Bretagne Sud, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... la somme réclamée par la commune de Pleyben au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'université de Bretagne Sud présentées sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et à l'université de Bretagne Sud.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- Mme Gelard, première conseillère,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.
Le rapporteur
F. PONS
Le Président
O. COIFFET
La greffière
I. PETTON
La République mande et ordonne la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01523