CAA de PARIS, 2ème chambre, 11/01/2024, 22PA05407, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision11 janvier 2024
Num22PA05407
JuridictionParis
Formation2ème chambre
PresidentMme la Pdte. FOMBEUR
RapporteurMme Marie-Dominique JAYER
CommissaireM. SEGRETAIN
AvocatsSELARL ENARD-BAZIRE-COLLIOU AVOCATS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Melun :
- à titre principal, d'annuler les décisions des 18 avril et 26 septembre 2019 par lesquelles la direction départementale des finances publiques de Seine-et-Marne a refusé de faire droit à sa demande tendant à ce que ses arrêts de travail et ses frais médicaux, présentés au titre de la pathologie déclarée le 29 janvier 2018, soient reconnus imputables au service et d'enjoindre à l'Etat de régulariser sa situation en saisissant la commission de réforme dans un délai d'un mois ;
- à titre subsidiaire, de désigner un expert avec mission de prendre connaissance de son dossier médical, de se faire communiquer toutes pièces médicales, de l'examiner et de dire si sa pathologie déclarée le 29 janvier 2018 est en lien direct et certain avec son accident de trajet du 19 décembre 2011.

Par un jugement nos 1904959 et 1909190 du 20 octobre 2022, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 18 avril 2019 et rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.


Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2022 et régularisée le 22 décembre 2022, Mme C..., représentée par Me Isabelle Enard-Bazire, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 20 octobre 2022 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a rejeté sa demande enregistrée sous le n° 1909190 ;

2°) d'annuler la décision du 26 septembre 2019 de la direction départementale des finances publiques de Seine-et-Marne ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de régulariser sa situation administrative en saisissant le conseil médical en formation plénière dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement, qui vise sa seconde requête en mentionnant une date d'enregistrement erronée, est irrégulier ;
- la décision litigieuse n'est pas motivée, en droit et en fait ;
- elle est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, faute pour la commission de réforme de s'être adjointe un médecin spécialiste de sa pathologie, dont la présence constituait pour elle une garantie ;
- elle fait une inexacte appréciation du lien entre sa pathologie et son accident de trajet, méconnaissant ainsi l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les conclusions à fin d'injonction de la requête sont irrecevables et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 10 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 août 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- et les conclusions de M. Segretain, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Le 19 décembre 2011, Mme C..., agent administratif des finances publiques titulaire, en poste à la trésorerie municipale et banlieue de Meaux, a été victime d'un accident de voiture reconnu imputable au service par une décision du 20 janvier 2012. Placée en arrêt de travail jusqu'au 31 mars 2013, elle a repris ses fonctions, en mi-temps thérapeutique, à partir du 1er avril 2013. La date de consolidation des blessures consécutives à l'accident de trajet a été fixée au 23 septembre 2013 et le taux d'incapacité permanente partielle à 5 %. Le 29 janvier 2018, Mme C..., qui souffrait de cervicalgies dont elle a attribué l'origine à l'accident du 19 décembre 2011, a demandé à son employeur que ses arrêts de travail et les frais médicaux afférents soient reconnus imputables au service, au titre d'une rechute. Par une première décision du 18 avril 2019, le directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne a rejeté sa demande. La commission de réforme ayant, le 19 septembre 2019, rendu un avis défavorable à l'imputabilité au service de la rechute invoquée, le directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne a, par une seconde décision du 26 septembre 2019, de nouveau refusé de faire droit à la demande de l'intéressée. Par un jugement du 20 octobre 2022, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 18 avril 2019 pour vice de procédure et a rejeté la demande de Mme C... tendant à l'annulation de celle du 26 septembre 2019. Mme C... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de cette seconde décision.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort de l'examen du jugement que c'est à la suite d'une simple erreur de plume, dépourvue de toute incidence sur leur raisonnement, que les premiers juges ont mentionné que la requête dirigée contre la décision du 26 septembre 2019 avait été enregistrée le 29 mai 2019 au lieu du 11 octobre 2019. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait, pour ce motif, entaché d'irrégularité.

Sur la légalité de la décision du 26 septembre 2019 :

3. Aux termes du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'accident de trajet dont Mme C... a été victime, le fonctionnaire en activité a droit : " A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ".

4. En premier lieu, aux termes de l'article 12 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, applicable aux fonctionnaires de l'Etat, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Dans chaque département, il est institué une commission de réforme départementale compétente à l'égard des personnels mentionnés à l'article 15. Cette commission, placée sous la présidence du préfet ou de son représentant, qui dirige les délibérations mais ne participe pas aux votes, est composée comme suit : / 1. Le chef de service dont dépend l'intéressé ou son représentant / (...) 4. Les membres du comité médical prévu à l'article 6 du présent décret. (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 5 de ce décret qui précise la composition du comité médical ministériel, auquel renvoie sur ce point le deuxième alinéa de l'article 6 relatif au comité médical départemental : " Ce comité comprend deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, pour l'examen des cas relevant de sa qualification, un spécialiste de l'affection pour laquelle est demandé le bénéfice du congé de longue maladie ou de longue durée prévu à l'article 34 (3e et 4e) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ". En vertu de l'article 7 de ce décret, les comités médicaux " sont consultés obligatoirement en ce qui concerne : / 1. La prolongation des congés de maladie au-delà de six mois consécutifs ; / 2. L'octroi des congés de longue maladie et de longue durée ; / 3. Le renouvellement des congés de longue maladie et de longue durée ; / 4. La réintégration après douze mois consécutifs de congé de maladie ou à l'issue d'un congé de longue maladie ou de longue durée ; / 5. L'aménagement des conditions de travail du fonctionnaire après congé ou disponibilité ; / 6. La mise en disponibilité d'office pour raison de santé et son renouvellement ; / 7. Le reclassement dans un autre emploi à la suite d'une modification de l'état physique du fonctionnaire, ainsi que dans tous les autres cas prévus par des textes réglementaires (...) ". Enfin, aux termes de l'article 13 du même décret : " La commission de réforme est consultée notamment sur : / 1. L'octroi du congé de maladie ou de longue maladie susceptible d'être accordé en application des dispositions du deuxième alinéa des 2° et 3° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ; / (...) 5. La réalité des infirmités résultant d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle, la preuve de leur imputabilité au service et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, en vue de l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité instituée à l'article 65 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ; (...) ".

5. Il résulte des dispositions citées ci-dessus du décret du 14 mars 1986 que la commission de réforme n'est pas tenue de s'adjoindre un médecin spécialiste lorsqu'elle se prononce sur l'imputabilité au service d'une maladie donnant lieu à des congés de maladie ordinaires, comme au cas d'espèce. Par suite, Mme C... ne peut utilement se prévaloir, à l'appui de son recours, de l'absence d'un tel médecin au sein de la commission de réforme qui s'est réunie le 19 septembre 2019.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui : / (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Il résulte de ces dispositions que le refus de reconnaître l'imputabilité au service d'une pathologie est au nombre des décisions qui doivent être motivées.

7. En l'espèce, la décision contestée du 26 septembre 2019 vise la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat ainsi que l'avis de la commission de réforme du 19 septembre 2019, dont elle reprend les termes. Elle indique également que la rechute déclarée le 29 janvier 2018 n'a pas été reconnue imputable au service à la suite des conclusions des docteurs B... et A... lors de leurs expertises, respectivement, des 25 mai 2018 et 29 janvier 2019 et précise enfin que la date de consolidation est maintenue au 23 septembre 2013 avec un taux d'incapacité permanente partielle à 5 %. La décision contestée, qui, contrairement à ce que soutient l'appelante, n'avait pas à mentionner les discordances entre les différents rapports d'expertise, est ainsi suffisamment motivée.

8. En dernier lieu, il résulte des dispositions citées ci-dessus du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 que doivent être pris en charge au titre de l'accident de service les arrêts de travail et les frais médicaux qu'entraînent les troubles présentant un lien direct et certain avec cet accident, y compris, le cas échéant, s'ils interviennent postérieurement à la date de consolidation constatée par l'autorité compétente.

9. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme C... a été victime le 19 décembre 2011 d'un accident de voiture, reconnu comme accident de trajet, à la suite duquel elle a souffert d'un traumatisme crânien-cervical. La date de consolidation des suites de cet accident a été fixée au 23 septembre 2013 et le taux d'incapacité permanente partielle à 5 %. Pour contester l'absence de reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie diagnostiquée en janvier 2018, ayant justifiée une intervention chirurgicale le 21 mars suivant, Mme C... soutient qu'elle a continué à souffrir des mêmes douleurs cervicales diagnostiquées en décembre 2011, à l'origine de plusieurs arrêts de travail et opérations chirurgicales après 2013, et se prévaut de l'avis du docteur D..., médecin neurochirurgien qu'elle a consulté et qui a considéré que la pathologie discale pour laquelle elle a été opérée en mars 2018 était directement en rapport avec l'accident de décembre 2011.

10. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le docteur B..., médecin orthopédiste, estime dans son rapport d'expertise du 29 janvier 2018 que la requérante ayant été victime d'une entorse médicalement simple du rachis cervical, sans que le traumatisme provoque de lésion autre qu'une poussée d'œdème du disque, et notamment de hernie discale, la pathologie dont elle a souffert à partir de janvier 2018 s'analyse en l'expression directe et unique d'un état pathologique antérieur sans lien avec l'accident. De même, le docteur A..., médecin légiste, connaissance prise des avis dont se prévaut la requérante et des imageries d'octobre 2014, conclut également, dans son rapport du 29 janvier 2019, à l'absence d'objectivisation d'un lien de causalité direct et certain entre l'accident de trajet de décembre 2011 et la hernie discale sur l'étage C6-C7, ayant justifié l'intervention chirurgicale du 21 mars 2018, qu'il analyse, à l'instar du docteur B..., comme correspondant à l'évolution, en aggravation et pour son propre compte, d'une pathologie cervico-discarthrosique dégénérative étagée, dépourvue de lien avec l'accident de 2011. Alors, au demeurant, que l'intéressée n'avait pas contesté le précédent refus de l'administration de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de travail et des frais médicaux exposés, par une décision prise le 3 juin 2015 conformément à l'avis de la commission de réforme du 28 mai 2015, c'est sans commettre d'erreur de fait et par une exacte application des dispositions précitées du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 que l'administration a écarté, par la décision attaquée, l'existence d'un lien direct et certain entre la discopathie diagnostiquée en janvier 2018 et l'accident de trajet du 19 décembre 2011.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être également rejetées.

DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- Mme Topin, présidente assesseure,
- Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.


La rapporteure,
M-D JAYERLa présidente,
P. FOMBEUR
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA05407