CAA de PARIS, 6ème chambre, 09/07/2024, 22PA04190, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision09 juillet 2024
Num22PA04190
JuridictionParis
Formation6ème chambre
PresidentMme BONIFACJ
RapporteurM. Jean-Christophe NIOLLET
CommissaireMme NAUDIN
AvocatsSCP DELVOLVE-TRICHET

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler :

1°) la décision du 21 octobre 2021 par laquelle l'adjoint au directeur de l'Institution nationale des Invalides (INI) a, d'une part, refusé son intégration au sein de cette institution et, d'autre part, prolongé son détachement du 1er juillet 2021 au 31 janvier 2022 ;

2°) la décision du 25 novembre 2021 par laquelle l'adjoint au directeur de l'INI a refusé de renouveler son détachement au-delà du 1er février 2022.

Par un jugement n° 2127785/5-2 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.


Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 13 septembre et le 13 octobre 2022, Mme E..., représentée par Me Arvis, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 13 juillet 2022 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions de l'adjoint au directeur de l'INI du 21 octobre 2021 et du 25 novembre 2021, mentionnées ci-dessus ;

3°) d'enjoindre à l'INI et au ministre des armées de prononcer son intégration dans le corps des infirmiers civils en soins généraux et spécialisés du ministère de la défense dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- il n'est pas établi que le jugement attaqué comporte les signatures prévues à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- ce jugement ne s'est pas prononcé sur la légalité de la décision du 21 octobre 2021 en tant qu'elle prolonge son détachement, et en particulier sur le moyen tiré de sa rétroactivité illégale ;
- il est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;
- il a à tort analysé les décisions en litige comme un refus de renouveler son détachement, alors qu'elles ont refusé son intégration ;
- la décision du 2 juin 2021 avait prononcé son intégration dans le corps des infirmiers civils en soins généraux et spécialisés du ministère de la défense, et ne pouvait légalement être retirée par la décision contestée du 21 octobre 2021 ;
- le tribunal administratif aurait dû, pour se prononcer sur ce moyen, sauf à méconnaitre son office, solliciter la production des échanges intervenus entre l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris et l'INI au sujet de son détachement et de son intégration ;
- les dispositions de la loi du 5 août 2021, notamment celles de son article 14, n'autorisaient l'INI qu'à la suspendre de ses fonctions ;
- les décisions du 21 octobre et du 25 novembre 2021, refusant son intégration, puis le renouvellement de son détachement, ne pouvaient se fonder sur l'absence de production d'un justificatif de vaccination à une période à laquelle elle se trouvait placée en congé de maladie ;
- elles sont entachées de détournement de pouvoir ;
- la décision du 21 octobre 2021 est entachée de rétroactivité illégale en ce qu'elle prolonge son détachement à partir du 1er juillet 2021.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, l'Institution nationale des Invalides (INI), représentée par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Un mémoire a été présenté pour l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris le 13 juin 2024.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 13 juin 2024, Mme E... conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 83-631 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;
- le décret n°2014-847 du 28 juillet 2014 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique
- et les observations de Me Arvis, pour Mme E..., de Me Delvolvé pour l'Institution nationale des Invalides (INI) et de Me Rajbenbach pour l'AP-HP.


Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., infirmière titulaire de la fonction publique hospitalière en poste à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), a été détachée à compter du 1er juillet 2020 dans le corps des infirmiers civils en soins généraux et spécialisés du ministère de la défense au sein de l'Institution nationale des Invalides (INI). Le 2 juin 2021, cette institution s'est prononcée en faveur de son intégration. Toutefois, faute pour Mme E... d'apporter la preuve du respect de son obligation vaccinale, l'INI a, par une décision du 21 octobre 2021, refusé de l'intégrer et prolongé son détachement du 1er juillet 2021 au 31 janvier 2022. Par une seconde décision, en date du 25 novembre 2021, l'INI a refusé de renouveler son détachement au-delà du 1er février 2022. Mme E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler ces décisions. Par un jugement du 13 juillet 2022, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Mme E... fait appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué comporte la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur et de la greffière. Ainsi, le moyen tiré de l'absence des signatures requises manque en fait.

3. En deuxième lieu, le bienfondé du jugement du tribunal administratif est sans incidence sur sa régularité. Les moyens selon lesquels ce jugement serait entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation, doivent donc être écartés comme inopérants.

4. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de la décision prise par l'adjoint au directeur de l'INI le 25 novembre 2021 que l'INI a refusé de renouveler le détachement de Mme E... au-delà du 1er février 2022. Les premiers juges ne se sont donc, contrairement à ce que soutient Mme E..., pas mépris sur l'objet de cette décision.

5. En quatrième lieu, il ressort de la demande introductive d'instance présentée devant le tribunal administratif par Mme E..., qu'elle a contesté la décision du 21 octobre 2021 en tant qu'elle avait prolongé son détachement du 1er juillet 2021 au 31 janvier 2022, en soutenant notamment que cette décision était entachée de rétroactivité illégale. Les premiers juges ne se sont pas prononcés sur ce moyen qui n'était pas inopérant, et ne l'ont pas visé dans leur jugement. Leur jugement doit donc être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation de la décision du 21 octobre 2021.

6. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation de la décision du 21 octobre 2021, et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 25 novembre 2021.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 21 octobre 2021 :

7. En premier lieu, par une décision du 1er février 2020, M. B... D..., directeur de l'Institution nationale des Invalides, a donné délégation à M. F... A..., son adjoint, pour signer l'ensemble des actes relevant de sa compétence, au nombre desquels figure la gestion des personnels, conformément aux dispositions de l'article L. 622-3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.

8. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes du courrier adressé le 2 juin 2021 par l'INI à la direction des ressources humaines de l'Hôpital Georges Pompidou, auprès duquel Mme E... était affectée avant son détachement, que l'INI s'est borné à émettre " un avis favorable " à son intégration et à solliciter l'agrément de l'AP-HP, sans décider de l'intégrer. Mme E... n'est donc pas fondée à faire état de ce courrier pour soutenir qu'elle aurait été intégrée dans le corps des infirmiers civils du ministère de la défense dès le 2 juin 2021, et que, par sa décision du 21 octobre 2021, l'INI aurait illégalement retiré une décision créatrice de droit.

9. En troisième lieu, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...) ". Aux termes de l'article 13 de cette même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. / (...) / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. (...) / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont (...) agents publics. (...) / (...) V. - Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité. (...) ".

10. Il n'est pas contesté qu'à la date de la décision contestée, Mme E... n'avait pas fourni le certificat de vaccination ou de rétablissement prévu à l'article 13 de la loi du 5 août 2021, cité ci-dessus, ni justifié en quoi son état de santé empêchait le respect de ses obligations légales. Dans ces conditions, compte des missions de Mme E..., et même si elle était alors placée en congé de maladie, l'INI a pu, sans commettre d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation, décider dans l'intérêt du service de refuser son intégration.

11. En quatrième lieu, Mme E... qui n'a fait l'objet d'aucune mesure de suspension, ne saurait invoquer utilement les dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relatives à la possibilité de prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19.

12. En cinquième lieu, cette rétroactivité étant nécessaire à la régularisation de la situation de Mme E... dont le détachement avait été décidé pour une durée d'une année à compter du 1er juillet 2020, l'INI pouvait légalement donner effet à compter du 1er juillet 2021 à la décision par laquelle il a, le 21 octobre 2021, prolongé ce détachement. Le moyen tiré d'une violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs doit donc être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la production des échanges intervenus entre l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris et l'INI au sujet de son détachement et de son intégration, que les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation de la décision du 21 octobre 2021 doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 25 novembre 2021 :

14. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 9 et 10 ci-dessus, l'INI a pu, sans commettre d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation, décider dans l'intérêt du service de refuser de prolonger le détachement de Mme E... au-delà du 1er février 2022.

15. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 25 novembre 2021.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'INI qui n'est pas, pour l'essentiel, la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'INI sur le fondement de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2127785/5-2 du tribunal administratif de Paris du 13 juillet 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation de la décision de l'adjoint au directeur de l'INI du 21 octobre 2021.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E... et ses conclusions présentées devant le tribunal administratif de Paris contre la décision de l'adjoint au directeur de l'INI du 21 octobre 2021, sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de l'INI présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E..., au ministre des armées, à l'Institution nationale des Invalides et à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bonifacj, présidente de chambre,
M. Niollet, président-assesseur,
M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°22PA04190