CAA de DOUAI, 3ème chambre, 16/10/2024, 23DA01615, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision16 octobre 2024
Num23DA01615
JuridictionDouai
Formation3ème chambre
PresidentMme Viard
RapporteurM. Jean-Marc Guerin-Lebacq
CommissaireM. Carpentier-Daubresse
AvocatsAARPI OPPIDUM AVOCATS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 18 juin 2020 par lequel le maire de la commune de Cuincy a refusé de reconnaître l'imputabilité de sa maladie au service et la décision du 6 août 2020 par laquelle la même autorité lui a refusé l'octroi à titre provisoire d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service, et d'enjoindre à la commune de Cuincy de procéder à la régularisation de sa situation, notamment financière.

Par un jugement n° 2006144 du 8 juin 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 août 2023 et le 15 mars 2024, Mme B..., représentée par Me Piret, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 8 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 juin 2020 et la décision du 6 août 2020 ;


3°) d'enjoindre à la commune de Cuincy de la placer en congé d'invalidité temporaire imputable au service ou, à défaut, de saisir le comité médical afin qu'il se prononce sur son taux d'incapacité temporaire et de procéder à la régularisation financière de sa situation incluant le règlement de cent-quatre-vingt-quinze heures de récupération non prises, seize jours de congés non pris et des frais de déplacement, les sommes versées étant assorties des intérêts, dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Cuincy une somme de 17 252,09 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- sa demande d'annulation de la décision du 6 août 2020 est recevable dès lors que cette décision constitue un refus de la placer en congé d'invalidité temporaire imputable au service à titre provisoire ;
- l'arrêté du 18 juin 2020 a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors que la commission de réforme ne s'était pas préalablement prononcée sur le taux de son incapacité permanente ;
- cet arrêté est insuffisamment motivé ;
- l'administration ne pouvait rejeter sa demande de congé pour invalidité temporaire imputable au service dès lors que le maire ne disposait pas du taux d'incapacité permanente partielle lui permettant de se prononcer sur sa demande ;
- elle a droit au bénéfice d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service dès lors, d'une part, qu'elle justifie d'un taux d'incapacité permanente supérieur à 25 % et, d'autre part, que sa pathologie résulte de façon directe et certaine du harcèlement moral et sexuel dont elle a été victime dans l'exercice de ses fonctions.


Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2024, et un mémoire enregistré le 6 mai 2024, qui n'a pas été communiqué, la commune de Cuincy, représentée par Me Beguin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.


Par une ordonnance du 9 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 6 mai 2024.

Une note en délibéré présentée pour Mme B..., par Me Piret, a été enregistrée le 9 octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- le code de justice administrative.



Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Piret, représentant Mme B..., et de Me Beguin, représentant la commune de Cuincy.

Une note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2024, a été présentée pour Mme B....

Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., adjointe territoriale principale d'animation de la commune de Cuincy (Nord), est chargée, au sein du service " éducation-jeunesse ", de l'accueil de loisirs sans hébergement (ALSH) et de la coordination des temps périscolaires pour les enfants de six à douze ans. Placée en congé de longue maladie du 20 mai 2019 au 19 mai 2020 pour un syndrome anxiodépressif, elle a demandé, le 22 juin 2019, la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie. En dépit d'un avis favorable de la commission de réforme à cette demande, le maire de la commune de Cuincy a refusé, par un arrêté du 18 juin 2020, de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme B.... Par un courrier du 2 juillet 2020, l'intéressée a sollicité la communication du formulaire de déclaration d'accident ou de maladie nécessaire à la présentation d'une demande de congé pour invalidité temporaire imputable au service, dont elle réclamait, dans ce même courrier, le bénéfice avec un effet rétroactif. En réponse, le maire de la commune de Cuincy lui a adressé le 6 juillet 2020 une copie du formulaire de déclaration de maladie professionnelle complété par Mme B... le 22 juin 2019, en lui rappelant que sa demande d'imputabilité a été rejetée par un arrêté du 18 juin 2020. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande d'annulation de l'arrêté du 18 juin 2020 et du courrier du 6 août 2020, en sollicitant de la juridiction diverses mesures tendant à obtenir une régularisation financière de sa situation en conséquence de la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie. Par un jugement du 8 juin 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Mme B... relève appel de ce jugement et réitère devant la cour l'ensemble de ses conclusions à fin d'annulation et d'injonction.

Sur la légalité externe de l'arrêté du 18 juin 2020 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques (...) ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes de l'article L. 211-6 du même code : " Les dispositions du présent chapitre ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation (...) de faits couverts par le secret ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (...) Les informations à caractère médical sont communiquées à l'intéressé, selon son choix, directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'il désigne à cet effet, dans le respect des dispositions de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique ". Aux termes de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont les dispositions ont été reprises depuis à l'article L. 121-6 du code général de la fonction publique : " Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal (...) ".

3. Il résulte de la combinaison des dispositions législatives précitées que le refus de reconnaître l'imputabilité au service d'un accident ou d'une maladie est au nombre des décisions qui doivent être motivées. Si le respect des règles relatives au secret médical ne peut avoir pour effet d'exonérer l'administration de l'obligation de motiver sa décision, dans des conditions de nature à permettre au juge de l'excès de pouvoir d'exercer son contrôle, elle ne peut divulguer des éléments couverts par le secret médical.

4. L'arrêté contesté vise les dispositions législatives et réglementaires dont elle fait application, notamment la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et le décret du 30 juillet 1987 relatif à l'organisation des comités médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime de congé maladie des fonctionnaires territoriaux. Après avoir rappelé qu'une maladie qui n'est pas inscrite au tableau des maladies professionnelles doit, pour être reconnue imputable au service, être essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et être susceptible d'entraîner une incapacité permanente de 25 %, ce même arrêté mentionne qu'aucun taux d'incapacité n'a été fixé dans les rapports d'expertise et que le comportement de Mme B... a entraîné plusieurs conflits au sein de la collectivité. Eu égard au nécessaire respect des règles relatives au secret médical, ces considérations sont suffisamment détaillées pour permettre au juge d'exercer son contrôle sur les motifs de la décision rejetant la demande d'imputabilité présentée par la requérante. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.

5. En second lieu, aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " I. - Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l'incapacité permanente du fonctionnaire. / Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. La durée du congé est assimilée à une période de service effectif (...) / IV. - Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. / Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée par un tableau peut être reconnue imputable au service lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est directement causée par l'exercice des fonctions. Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article 37-6 du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des comités médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux, dans sa version applicable : " La commission de réforme est consultée par l'autorité territoriale : (...) / 3° Lorsque l'affection résulte d'une maladie contractée en service telle que définie au IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 précitée dans les cas où les conditions prévues au premier alinéa du même IV ne sont pas remplies ". Aux termes de l'article 37-8 du même décret, dans sa version applicable : " Le taux d'incapacité permanente servant de seuil pour l'application du troisième alinéa du même IV est celui prévu à l'article R. 461-8 du code de la sécurité sociale. / Ce taux correspond à l'incapacité que la maladie est susceptible d'entraîner. Il est déterminé par la commission de réforme compte tenu du barème indicatif d'invalidité annexé au décret pris en application du quatrième alinéa de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite ". Aux termes de l'article R. 461-8 du code de la sécurité sociale : " Le taux d'incapacité mentionné au septième alinéa de l'article L. 461-1 est fixé à 25 % ".

6. Il n'est pas contesté que le syndrome anxiodépressif dont souffre Mme B... ne relève pas des tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale. Par ailleurs, il résulte des dispositions précitées du IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 que la reconnaissance de l'imputabilité au service d'une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles est subordonnée à la réalisation de deux conditions cumulatives, tenant, d'une part, à ce que la pathologie présente un lien essentiel et direct avec l'exercice des fonctions et, d'autre part, à ce qu'elle entraîne une incapacité correspondant à un taux déterminé par la commission de réforme qui doit être au moins égal à 25 %. Il ressort des pièces du dossier que, appelée à se prononcer sur le droit de Mme B... à obtenir un congé pour invalidité temporaire imputable au service dans les conditions prévues par le 3° de l'article 37-6 du décret du 30 juillet 1987, la commission de réforme a émis un avis favorable, estimant ainsi nécessairement que la pathologie de la requérante est essentiellement et directement causée par l'exercice de ses fonctions et est susceptible d'entraîner une incapacité permanente de 25 % au moins. Le maire de la commune de Cuincy s'est prononcé au vu de cet avis, lequel ne présente qu'un caractère consultatif, et n'a donc entaché sa décision d'aucun vice de procédure.

Sur la légalité interne de l'arrêté du 18 juin 2020 :

7. Pour l'application des dispositions du troisième alinéa du IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, citées au point 5, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Il appartient au juge d'apprécier si les conditions de travail du fonctionnaire peuvent, même en l'absence de volonté délibérée de nuire à l'agent, être regardées comme étant directement à l'origine de la maladie dont la reconnaissance comme maladie professionnelle est demandée.

8. Mme B... impute son syndrome anxiodépressif, diagnostiqué en mai 2019, aux agissements de harcèlement sexuel et de harcèlement moral dont elle indique être victime. A supposer que ces agissements ne soient pas considérés comme constitutifs de harcèlement, elle soutient qu'ils se trouvent directement à l'origine de sa pathologie.

9. En premier lieu, aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983, alors applicable et dont les dispositions ont été reprises depuis aux articles L. 133-1 et suivants du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : / a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; / b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers ; / 2° Le fait qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements / (...) ". Il résulte de ces dispositions que des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire.

10. Mme B... justifie à l'instance avoir reçu depuis le téléphone portable de son chef de service, entre les mois de juillet 2015 et avril 2017, des messages dont les termes ont été repris au point 9 du jugement attaqué et qui constituent des propos à connotation sexuelle répétés tenus dans le cadre du service sans être aucunement désirés par la requérante. Ces messages ont porté atteinte à sa dignité et créé à son encontre une situation intimidante et offensante, de sorte qu'ils constituent des agissements de harcèlement sexuel au sens des dispositions citées au point précédent. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le supérieur hiérarchique de Mme B... aurait réitéré ses propos après avril 2017, alors que la pathologie de la requérante a été constatée pour la première fois le 20 mai 2019, deux ans plus tard. La requérante, qui n'en fait pas état dans sa demande d'imputabilité, a été examinée par deux experts psychiatres le 16 juillet 2019 et le 14 janvier 2020 qui reprennent ses déclarations dans leurs rapports sans mentionner les agissements de harcèlement sexuel dont elle a été victime entre juillet 2015 et avril 2017. Dans ces conditions, la pathologie déclarée en mai 2019 ne peut être regardée comme présentant un lien direct avec ces agissements subis deux ans plus tôt.

11. En second lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

12. Mme B... reproche à la commune de Cuincy l'absence d'entretien d'évaluation et de notation depuis 2008, le rejet de ses demandes de formation et le refus de la nommer dans un corps de catégorie supérieure. Si aucun entretien professionnel n'a été organisé entre 2008 et 2019, en méconnaissance des dispositions applicables en la matière aux fonctionnaires territoriaux, il n'est pas contesté que l'ensemble des agents municipaux se sont trouvés dans la même situation. Il n'est pas établi que l'absence fautive d'entretien professionnel a eu des répercussions sur l'évolution de la carrière de Mme B... qui, recrutée comme agent territorial d'animation de 2ème classe en 2007, a ensuite été promue au grade d'agent d'animation principal, ou sur son régime indemnitaire. Si l'administration n'a pas donné de suite favorable à sa demande de formation, présentée à plusieurs reprises, en vue de l'obtention du diplôme d'Etat professionnel jeunesse, éducation populaire et sport, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est pas allégué que cette formation, d'un coût de 7 500 euros, constituerait un droit pour les agents. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la formation litigieuse aurait répondu aux besoins de la commune de Cuincy. La circonstance que, en dépit de ses demandes, Mme B... n'a pas été nommée dans le corps de catégorie B des animateurs ne révèle pas de situation discriminatoire à son endroit, alors que le service était constitué d'agents de catégorie C à l'exception du chef de service et du responsable du service scolaire, lorsque la requérante a été placée en congé de maladie. Si deux collègues de Mme B... ont été nommées dans des emplois d'animateur à la fin de l'année 2020, il ressort du compte-rendu du comité technique du 15 décembre 2020 que ces nominations sont justifiées par une réorganisation des services.

13. Mme B... soutient faire l'objet d'un harcèlement moral de la part de son chef de service et de plusieurs agents municipaux, qui se sont ligués contre elle et ont provoqué une dégradation de ses conditions de travail ayant conduit à son arrêt pour maladie. Elle produit plusieurs attestations faisant état des absences répétées et de la désinvolture du chef de service, ainsi que de son comportement hautain et méprisant, notamment à l'égard du personnel féminin, et plusieurs messages de son supérieur hiérarchique la rappelant à l'ordre dans des termes peu aimables. Pour justifier de ses qualités professionnelles, la requérante, qui indique n'avoir jamais fait l'objet de recadrages ou de sanctions disciplinaires, produit de nombreuses attestations émanant de parents d'élèves louant son professionnalisme et d'anciens collègues décrivant la requérante comme très investie dans ses missions, ainsi qu'un rapport d'inspection établi en juin 2015 attestant de ses capacités, de la pertinence et de l'aspect novateur de sa pratique. Toutefois, la commune de Cuincy produit en défense de nombreuses attestations établies par la plupart de ses collègues du service éducation-jeunesse qui dénoncent son caractère directif, sa tendance à se positionner au-delà de ce qu'exige son niveau de responsabilité, son habitude à critiquer ouvertement et à plusieurs reprises les conditions dans lesquelles sont accomplies les missions du service, et son comportement incorrect à l'égard de ses collègues, qui font état de propos désobligeants, dévalorisants ou calomnieux, certaines attestations témoignant de son plaisir " à menacer, à rabaisser, à manipuler ". Le comportement de Mme B... dans l'exercice de ses fonctions a encore été relevé dans le cadre d'un partenariat intercommunal, au cours duquel sa posture considérée comme inadaptée et agressive a conduit à des récriminations de la part de la commune partenaire, quel que soit par ailleurs le bien fondé des critiques formulées par la requérante. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que Mme B... s'est à plusieurs reprises adressée à l'ensemble du service au moyen de la messagerie électronique, sans avoir consulté au préalable son supérieur hiérarchique, conduisant celui-ci à lui reprocher de façon récurrente de ne pas respecter la hiérarchie. Les collègues de Mme B... font état de ses demandes contradictoires ou peu explicites, de ses retards et de son habitude de mettre en cause ses collègues, qui perturbent l'activité du service et sont à l'origine d'une détérioration de l'ambiance professionnelle. Ce comportement a pu avoir des effets néfastes sur la santé et l'environnement de travail de ses collègues, certains témoignages indiquant qu'elle entretient une relation toxique au sein du service. Les menaces de mort dont Mme B... soutient avoir été l'objet de la part d'une des agentes du service en mai 2018 sont vivement contestées par la collègue ainsi mise en cause. Les témoignages établis par des tiers revêtent une faible valeur probante dès lors que les menaces alléguées ont été tenues au téléphone, entre Mme B... et sa collègue. Le courriel envoyé par la requérante et la déclaration de main courante du 15 décembre 2018, qui ne mentionnent pas de menaces de mort, révèlent seulement une altercation survenue entre les deux protagonistes dans le cadre professionnel fortement dégradé tel qu'il a été décrit plus haut. Les insultes reçues par Mme B... de la part d'une autre collègue du service, d'ailleurs reconnues par celle-ci excédée par le comportement de la requérante, sont révélatrices de cette ambiance délétère et non d'une volonté de la harceler.

14. Enfin, la requérante soutient avoir été mise à l'écart du service pour ne pas avoir été consultée sur certaines problématiques qu'elle avait l'habitude de prendre en charge. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que ses fonctions nécessitaient qu'elle participe aux réunions portant sur les sujets dont elle indique avoir été écartée.

15. Il résulte de ce qui précède, eu égard au comportement de Mme B... dans le cadre professionnel, que les faits qu'elle impute à son employeur ne font pas présumer des agissements constitutifs de harcèlement moral ou sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement moral.

16. En troisième lieu, dans leurs rapports des 17 novembre 2019 et 17 février 2020, les deux experts psychiatres relatent les faits rapportés par Mme B..., diagnostiquent son syndrome anxiodépressif et, après avoir relevé l'absence de tout antécédent sur ce point, en déduisent que la pathologie de la requérante présente un lien direct avec le service. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit précédemment que cette pathologie est survenue dans un climat professionnel très conflictuel dont la requérante, par son comportement, est à l'origine. Il en résulte, alors même qu'elle ne présente aucun antécédent, que le syndrome anxiodépressif dont souffre Mme B... résulte d'un fait personnel conduisant à détacher la survenance de la maladie du service au sens des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983.

17. En dernier lieu, il n'est pas contesté que, pour refuser de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de la requérante, le maire de la commune de Cuincy s'est fondé, d'une part, sur l'absence de taux d'incapacité permanente déterminé par les experts médicaux et la commission de réforme, et, d'autre part, sur les importantes difficultés comportementales de la requérante à l'origine de la dégradation des conditions de travail dont elle se plaint. Si Mme B... conteste le premier motif de refus au motif que le maire ne pouvait légalement fonder la décision contestée sur l'absence de taux d'incapacité permanente, il ressort des pièces du dossier que, retenant seulement l'autre motif, il aurait pris la même décision à son égard. Dès lors, le moyen tiré du caractère illégal du motif relatif à l'absence de taux d'incapacité ne peut qu'être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Cuincy, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme B... demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme dont la commune demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.



DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Cuincy présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune de Cuincy.

Délibéré après l'audience publique du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2024.

Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 23DA01615