CAA de NANCY, 1ère chambre, 31/10/2024, 21NC00464, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé, par un recours enregistré le 5 octobre 2017, au greffe du tribunal des pensions de Strasbourg d'annuler la décision du 11 septembre 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension pour aggravation, de fixer le taux d'invalidité et d'ordonner la révision de la pension au jour de la demande.
Par un jugement avant-dire-droit du 15 juillet 2019, ce tribunal a ordonné une expertise médicale.
En application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018, le tribunal des pensions de Strasbourg a transmis, pour attribution, au tribunal administratif de Strasbourg la demande de M. C....
Par un jugement n° 2001689 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision de la ministre des armées du 11 septembre 2017 en tant qu'elle retient une troisième invalidité, qu'elle considère qu'aucune aggravation ne peut être retenue s'agissant de l'infirmité de surdité bilatérale et a enjoint à la ministre des armées de reconnaître à M. C... un taux d'invalidité unique concernant l'infirmité n° 2 relative à la surdité bilatérale et de lui octroyer un taux de majoration de 10 % à compter de la demande du 1er avril 2016.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 février 2021 et 2 mai 2023, le ministre des armées demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a reconnu l'aggravation de l'infirmité " surdité bilatérale " et une majoration du taux d'invalidité de 10 %.
Il soutient que :
- le tribunal a dénaturé les faits de l'affaire et commis une erreur en retenant un taux d'invalidité initial de 10 % pour l'infirmité surdité bilatérale avec une majoration de 5 % au titre de la perte de sélectivité alors que l'inscription en " +5 " correspond au suffixe de liquidation prévu par l'article L. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le tribunal ne pouvait se fonder sur les données audiométriques de l'expertise judiciaire du 17 décembre 2019 quant à la perte auditive moyenne de M. C..., l'infirmité devant être évaluée à la date de la demande de pension sans que les aggravations postérieures ne puissent être prises en compte en application des dispositions de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- l'évaluation de la perte auditive peut se fonder sur les données de l'expertise du 26 novembre 2017 lesquelles correspondent au regard du guide barème à un taux d'invalidité de 5 %, inférieur au minimum indemnisable requis de 10 % en vertu des dispositions de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et par les dispositions de l'article L. 29 de ce code en cas d'aggravation ;
- l'aggravation de la baisse auditive retenue par le tribunal ne résulte ni de l'infirmité pensionnée ni du service, mais du vieillissement de l'oreille, cause distincte de l'infirmité pensionnée et constatée plus de vingt ans après la radiation des services.
Par un mémoire, enregistré le 7 décembre 2021, M. C..., représenté par Me Athanassi de l'Association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle (ADARIS), demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre des armées ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal en tant qu'il n'a octroyé qu'un taux de majoration de 10 % au titre de l'infirmité n° 2 de surdité bilatérale et a considéré que l'aggravation de l'infirmité n° 1 concernant les acouphènes ne justifiait pas une majoration du taux à 30 % ;
3°)°d'enjoindre au ministre des armées de lui octroyer au titre de l'infirmité n° 2 un taux de majoration d'un minimum de15 % à compter de sa demande du 1er avril 2016 ;
4°)°d'enjoindre au ministre des armées de lui octroyer au titre de l'infirmité n° 1 un taux de majoration d'un minimum de 10 % à compter de sa demande du 1er avril 2016 ;
5°) à titre de subsidiaire, d'ordonner une contre-expertise médicale ;
6°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le ministre des armées ne sont pas fondés ;
- par la voie de l'appel incident, le taux d'invalidité de la nouvelle baisse d'audition doit être majoré au minimum de 15 points ;
- son infirmité relative aux acouphènes bilatéraux incessants s'est aggravée à un taux qui doit être fixé à 30 % ;
- à titre subsidiaire, une contre-expertise peut être ordonnée afin d'évaluer l'aggravation des séquelles subies concernant les deux infirmités.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., né le 4 février 1944, est titulaire d'une pension militaire d' invalidité concédée à titre définitif au taux global de 35 % pour l'infirmité n° 1 " acouphènes bilatéraux incessants " pour un taux de 20 % et l'infirmité n° 2 " surdité bilatérale de type perception. Perte audiométrique moyenne de 20 décibels à droite et de 17 décibels à gauche. Perte de sélectivité " au taux de 10 % + 5. M. C... a sollicité la révision de sa pension pour aggravation le 1er avril 2016. Par une décision du 11 septembre 2017, la ministre des armées a rejeté sa demande. Par un jugement du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg, sur le recours de M. C... a annulé la décision du 11 septembre 2017 en tant qu'elle retient une troisième invalidité, qu'elle considère qu'aucune aggravation ne peut être retenue s'agissant de l'infirmité de surdité bilatérale et a enjoint à la ministre des armées de reconnaître à M. C... un taux d'invalidité unique concernant l'infirmité n° 2 relative à la surdité bilatérale et de lui octroyer un taux de majoration de 10 % à compter de la demande du 1er avril 2016 et a rejeté le surplus de la demande de M. C....
2. Le ministre des armées relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé sa décision du 11 septembre 2017 en tant qu'elle retient une troisième invalidité, qu'elle considère qu'aucune aggravation ne peut être retenue s'agissant de l'infirmité de surdité bilatérale et lui a enjoint de reconnaître à M. C... un taux d'invalidité unique concernant l'infirmité n° 2 relative à la surdité bilatérale et de lui octroyer un taux de majoration de 10 % à compter de la demande du 1er avril 2016. M. C... demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'aggravation au titre de l'infirmité n° 1 acouphènes bilatéraux incessants et en tant qu'il a seulement octroyé un taux de majoration de 10 % au titre de l'infirmité n° 2 " surdité bilatérale de type perception. Perte audiométrique moyenne de 20 décibels à droite et de 17 décibels à gauche. Perte de sélectivité ".
Sur la recevabilité de l'appel incident :
3. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf dispositions contraires, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4-1 (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que postérieurement à l'expiration du délai d'appel, M. C... a demandé à la cour l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 décembre 2020 en tant qu'il a rejeté sa demande d'aggravation au titre de l'infirmité n° 1 acouphènes bilatéraux incessants. Cette demande relève d'un litige distinct de l'appel formé par le ministre des armées relatif à l'infirmité de surdité bilatérale de type perception, et, est, par suite, dans cette mesure irrecevable.
Sur l'infirmité de surdité bilatérale de type perception :
5. Aux termes de l'article L. 6, alors applicable, du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande (...) ". Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, en vigueur à la date de la demande de révision de la pension de M. C... : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ".
6. Il résulte des dispositions de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre précitées que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi, l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions de l'article L. 29 font obstacle à cette révision, l'aggravation devant alors être regardée comme étant due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.
7. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du Dr. Vouge du 17 décembre 2019 ainsi que de l'avis du 14 avril 2017 du Dr A..., médecin chargé des pensions militaires d'invalidité, que les autres pièces du dossier ne remettent pas en cause, que l'aggravation de l'hypoacousie bilatérale que présente M. C..., décelée après qu'il a été rayé des cadres en 1992, ne résulte pas du traumatisme sonore que l'intéressé a subi en service le 18 février 1971 pour lequel il est pensionné, les séquelles par traumatismes sonores n'évoluant d'ailleurs plus à distance après arrêt d'exposition aux bruits. Cette aggravation qui résulte selon le rapport d'expertise d'un vieillissement de l'appareil auditif sous l'influence de facteurs génétiques ou environnementaux, distinct et sans lien avec la perte de capacité auditive de M. C... subie lors de son traumatisme sonore en service, ne saurait dès lors être regardée comme étant imputable au service et justifier une révision du taux de pension fixé par l'arrêté du 16 novembre 1998 au titre de l'infirmité de surdité bilatérale de type perception.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête et de l'appel incident formé par M. C... quant à l'infirmité de surdité bilatérale, ni de prescrire une nouvelle expertise médicale, que le ministre des armées est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé sa décision du 11 septembre 2017 en tant qu'elle retient une troisième invalidité, qu'elle considère qu'aucune aggravation ne peut être retenue s'agissant de l'infirmité de surdité bilatérale et a enjoint à la ministre des armées de reconnaître à M. C... un taux d'invalidité unique concernant l'infirmité n° 2 relative à la surdité bilatérale et de lui octroyer un taux de majoration de 10 % à compter de la demande du 1er avril 2016.
Sur les dépens :
9. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ". Aux termes de l'article 24 de la loi du 10 juillet 1991 : " Les dépenses qui incomberaient au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle s'il n'avait pas cette aide sont à la charge de l'Etat (...) ". Aux termes de l'article 42 de la même loi : " Lorsque le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est condamné aux dépens ou perd son procès, il supporte exclusivement la charge des dépens effectivement exposés par son adversaire, sans préjudice de l'application éventuelle des dispositions de l'article 75. / Le juge peut toutefois, même d'office, laisser une partie des dépens à la charge de l'Etat (...) ".
10. M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale le 15 avril 2021. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais de l'expertise ordonnés par le tribunal des pensions militaires de Strasbourg dans son jugement avant-dire droit du 15 juillet 2019 et liquidés et taxés par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 20 juillet 2020, à la charge définitive de l'Etat.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande le conseil de M. C... sur le fondement de ces dispositions combinées à celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2001689 du 18 décembre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.
Article 3 : Les conclusions d'appel incident présentées par M. C... ainsi que ses conclusions sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Les frais et honoraires d'expertise sont mis à la charge définitive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et des anciens combattants, à M. B... C... et à Me Athanassi.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Michel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. MichelLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre des armées et des anciens combattants en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
V. Firmery
2
N° 21NC00464