CAA de LYON, 7ème chambre, 03/04/2025, 22LY03443, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision03 avril 2025
Num22LY03443
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. PICARD
RapporteurMme Irène BOFFY
CommissaireM. RIVIERE
AvocatsSCP CHATON GRILLON BROCARD GIRE

Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner solidairement l'Etat et le syndicat intercommunal à vocation scolaire (SIVOS) de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges à lui verser la somme de 320 500 euros en réparation des préjudices consécutifs à l'accident de service dont elle a été victime.

Par un jugement n° 2000526, 2100376 du 29 septembre 2022, le tribunal a condamné l'Etat à verser à Mme A... une indemnité de 134 000 euros, de laquelle doit être déduite la somme de 80 000 euros de provision accordés par le juge des référés, mis à la charge définitive du SIVOS les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 240 euros, et a condamné le SIVOS à garantir l'Etat à hauteur de 100 % des 134 000 euros.





Procédure devant la cour

I. Par une requête et un mémoire enregistrés le 25 novembre 2022 et le 6 juin 2023 sous le n° 22LY03443, le syndicat intercommunal à vocation scolaire (SIVOS) de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges, représenté par la SCP Chaton-Grillon-Brocard-Gire, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat ou de Mme A... la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la matérialité des faits n'est pas établie ;
- il ne peut être retenu un défaut d'entretien normal de l'ouvrage.

Par un mémoire enregistré le 11 mai 2023, le recteur de l'académie de Bourgogne Franche-Comté conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les éléments du dossier démontrent suffisamment la matérialité des faits et le défaut d'entretien normal de l'ouvrage.
Par un courrier du 7 février 2025, la cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu'elle était susceptible de relever d'office l'irrégularité du jugement en tant que le tribunal n'a pas appelé en la cause la caisse de sécurité sociale à laquelle Mme A... était affiliée.
Par une ordonnance du 19 février 2025, l'instruction a été close au 6 mars 2025.
La MGEN Côte-d'Or a présenté un mémoire, enregistré le 18 mars 2025, qui n'a pas été communiqué.
II. Par une requête et un mémoire enregistrés le 28 novembre 2022 et le 27 juin 2023, sous le n° 22LY03461, Mme A..., représentée par la SCP Clemang, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il limite le montant de la réparation à 134 000 euros ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et le SIVOS à lui verser 20 500 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, 80 000 euros au titre de son préjudice d'agrément, 150 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent, 5 000 euros au titre de son préjudice esthétique, 15 000 euros au titre des souffrances endurées, avec les intérêts capitalisés à compter du mois de septembre 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et du SIVOS la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la matérialité des faits est suffisamment établie par les pièces du dossier ;


- le lien de causalité direct et certain entre le dommage et le défaut d'entretien normal de l'ouvrage est établi ;
- l'accident du 17 septembre 2015 a été à l'origine d'un traumatisme crânien, puis d'un décollement postérieur du vitré de l'œil droit, à l'origine d'une baisse de l'acuité visuelle ainsi que de séquelles neurocognitives et psychiatriques et d'un déficit de l'épaule gauche chez une gauchère ; elle ne présentait aucun état préalable ;
- son préjudice d'agrément est constitué, dès lors que, grande lectrice auparavant, elle ne peut plus lire que dix minutes d'affilée, qu'elle ne peut plus s'adonner à ses activités de jardinage sans l'aide de ses proches, qu'elle ne peut plus pratiquer le piano à défaut de pouvoir lire les partitions, qu'elle ne peut plus pratiquer le vélo, ni le ski, ni la randonnée, ni le canoë kayak ; ce préjudice sera justement réparé par un montant de 80 000 euros ;
- le déficit fonctionnel temporaire a été évalué à 60 % ; il devait lui être accordé un montant fixé à au moins 500 euros par mois en moyenne basse, au regard du barème des cours d'appel et de la jurisprudence de la juridiction administrative ; le montant alloué doit être réévalué à la somme de 20 500 euros ;
- le déficit fonctionnel permanent, évalué à 59,5 %, doit être réévalué à 150 000 euros, en fixant un point d'indice à 2 920 euros au regard du barème des cours d'appel pour une femme de cet âge ;
- les souffrances évaluées à 4 sur une échelle de 1 à 7 par les experts, seront justement réévaluées à 15 000 euros ;
- le préjudice esthétique, évalué à 2 sur une échelle de 1 à 7 par les experts, est constitué par le handicap qu'elle présente et par une importante prise de poids en lien avec les traitements ; il sera justement réévalué à la somme de 5 000 euros.

Par des mémoires enregistrés les 11 mai et 19 juin 2023, le recteur de l'académie de Bourgogne-Franche-Comté conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :
- le lien de causalité direct et certain entre le dommage et le défaut d'entretien normal de l'ouvrage est établi, ce dont atteste le certificat médical établi par le médecin traitant de Mme A... le 18 septembre 2015 ;
- Mme A... ne justifie pas du préjudice d'agrément dont elle se prévaut, faute de démontrer l'effectivité de la pratique régulière d'une activité qui serait désormais entravée ou empêchée par les photographies et attestations produites ; la pratique occasionnelle d'activités est déjà indemnisée par le déficit fonctionnel permanent ; à considérer ce préjudice comme constitué, il ne pourrait donner lieu qu'à une fraction, évaluée entre 5 et 10 %, du déficit fonctionnel permanent, soit un montant entre 5 750 et 23 000 euros, également limitée à une fourchette entre 7 500 et 30 000 euros en tenant compte du montant, surévalué, demandé par la requérante au titre de son déficit fonctionnel permanent ;
- le déficit fonctionnel temporaire a été justement évalué, au regard du barème de l'ONIAM et du taux retenu par les experts, pour une durée de 41 mois ;
- le déficit fonctionnel permanent a été justement apprécié par les premiers juges au regard du barème de l'ONIAM ;
- les souffrances endurées, évaluées à 4 sur une échelle de 7 par les experts, sont justement indemnisées par le montant fixé à 8 000 euros par les premiers juges, qui ont retenu la fourchette haute du barème de l'ONIAM ;
- le préjudice esthétique, évalué à 2 sur une échelle de 7, a également été justement réparé par les premiers juges, qui là encore ont appliqué la fourchette haute du barème ONIAM.



Par un mémoire enregistré le 6 juin 2023, le syndicat intercommunal à vocation scolaire (SIVOS) de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges, conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'annuler le jugement, ainsi que de mettre à la charge de l'Etat ou de Mme A... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- la matérialité des faits n'est pas établie ;
- il ne peut être retenu un défaut d'entretien normal de l'ouvrage.

Par un courrier du 7 février 2025, la cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu'elle était susceptible de relever d'office l'irrégularité du jugement en tant que le tribunal n'a pas appelé en la cause la caisse de sécurité sociale à laquelle Mme A... était affiliée.

La requête a été communiquée à la MGEN section de la Côte-d'Or, caisse de sécurité sociale de Mme A..., qui n'a pas présenté d'observations.

Par une ordonnance du 13 février 2025, l'instruction a été close au 27 février 2025.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des pensions civiles et militaires de l'Etat ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boffy, première conseillère,
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public,
- et les observations de Me Buvat, représentant le syndicat intercommunal à vocation scolaire (SIVOS) de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges ;


Considérant ce qui suit :


1. Mme A..., professeure des écoles, a été victime le 17 septembre 2015 d'un accident alors qu'elle était en salle de classe à l'école élémentaire de Noiron-sous-Gevrey, un tableau s'étant détaché du mur et lui ayant occasionné un grave traumatisme au crâne ainsi qu'à l'épaule gauche. Par arrêté de la rectrice de l'académie de Dijon du 19 octobre 2015 cet accident a été reconnu imputable au service. A la demande de Mme A..., une expertise médicale a été ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, dont le rapport a été déposé le 1er août 2019. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner solidairement l'Etat et le syndicat intercommunal à vocation scolaire (SIVOS) de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges à lui verser la somme de 320 500 euros en réparation des préjudices consécutifs à cet accident. Par un jugement du 29 septembre 2022, le tribunal a condamné l'Etat à verser à Mme A... une indemnité de 134 000 euros, de laquelle doit être déduite la somme de 80 000 euros de provision accordés par le juge des référés, mis à la charge définitive du SIVOS les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 240 euros, et a condamné le SIVOS à garantir l'Etat à hauteur de 100 % des 134 000 euros. Sous la requête n° 22LY03443, le SIVOS doit être regardé comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à garantir intégralement l'Etat. Sous la requête n° 22LY03461, Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il limite le montant de la réparation à 134 000 euros.

Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. Si la responsabilité du tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément. De même, en cas d'accident suivi de mort, la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants droit leur demeure acquise (...) L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun. A défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt (...) " ;

3. Faute d'avoir d'office mis en cause la MGEN, section de la Côte-d'Or, à laquelle est affiliée Mme A..., pour qu'elle exerce l'action mentionnée ci-dessus, le tribunal, qui a méconnu la portée des dispositions précitées, a entaché le jugement attaqué d'irrégularité. Il y a donc lieu, dans la limite des conclusions dont la cour est saisie en appel, d'annuler ce jugement, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les moyens de première instance et d'appel présentés par le SIVOS et par Mme A....

Sur la responsabilité de l'Etat :
4. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

5. Lorsqu'un fonctionnaire, victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle, impute les préjudices qu'il estime avoir subis non seulement à la collectivité publique qui l'emploie, mais aussi à une autre collectivité publique, notamment en raison du défaut d'entretien normal d'un ouvrage public dont elle a la charge, et qu'il choisit de rechercher simultanément la responsabilité de ces deux collectivités publiques en demandant qu'elles soient solidairement condamnées à réparer l'intégralité de ses préjudices, il appartient au juge administratif, d'une part, de déterminer la réparation à laquelle a droit le fonctionnaire en application des règles exposées au point précédent et de la mettre à la charge de la collectivité employeur et, d'autre part, de mettre à la charge de l'autre collectivité publique, s'il n'a pas été mis à la charge de l'employeur et s'il estime que sa responsabilité est engagée, le complément d'indemnité nécessaire pour permettre la réparation intégrale des préjudices subis.

6. Il incombe également au juge, si la collectivité employeur soutient qu'une partie de la réparation financière mise à sa charge en application des règles exposées au point précédent doit être supportée par l'autre collectivité publique mise en cause, de déterminer si celle-ci doit la garantir et, dans l'affirmative, pour quel montant.

7. En l'espèce, la responsabilité du rectorat de l'académie de Bourgogne-Franche-Comté, qui n'a pas présenté de conclusions d'appel ni contesté en première instance que Mme A... avait été victime d'un accident de service le 17 septembre 2015, est engagée pour risque.


Sur les préjudices de Mme A... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

8. Mme A... a été placée en congé de maladie à plein traitement depuis son accident, ce temps de congé étant pris en compte au titre de ses droits à pension et de son avancement. Elle n'a donc subi aucune perte de rémunération liée à son emploi de professeure des écoles. Elle n'établit pas davantage qu'elle aurait été privée de possibilités de promotion du fait de son accident. Il s'ensuit que ses conclusions tendant à l'indemnisation d'un préjudice professionnel doivent être rejetées.


En ce qui concerne les préjudices temporaires :

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le déficit fonctionnel temporaire dont a été atteinte Mme A... durant la période allant du jour de l'accident à sa date de consolidation, soit du 17 septembre 2015 au 20 février 2019, peut être évalué à 60 %. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à 9 000 euros.

10. En second lieu, Mme A... a enduré des souffrances, fixées par les experts à 4 sur une échelle de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 8 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices permanents :

11. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme A... subit un déficit fonctionnel permanent imputable à l'accident de 59,5 %. Il y a lieu, compte tenu de son âge à la date de la consolidation de son état de santé, d'indemniser ce préjudice à hauteur de 140 000 euros.

12. En deuxième lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique de la requérante, évalué par les experts à 2 sur une échelle de 1 à 7, en lui allouant une indemnité de 2 000 euros.

13. En dernier lieu, Mme A... demande une somme de 80 000 euros au titre de son préjudice d'agrément, dont l'expertise reconnaît l'existence, mais sans autre précision. Elle se prévaut d'activités antérieures de cyclisme, randonnée et ski, sans en justifier suffisamment. En revanche, et comme elle le démontre, l'état de son épaule et ses difficultés visuelles l'empêchent de s'adonner normalement à ses activités de jardinage, de couture et de lecture, avec une importante propension à la fatigue. Il sera fait une juste réparation de son préjudice d'agrément en lui accordant à ce titre une somme de 7 000 euros.

14. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 166 000 euros en réparation des préjudices de Mme A..., dont doit être déduite la provision de 80 000 euros qui lui a déjà été versée.


Sur l'appel en garantie du SIVOS :

En ce qui concerne l'exception de prescription :

15. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Et aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; (...) ".



16. Il résulte de l'instruction que l'accident dont Mme A... a été victime a eu lieu le 17 septembre 2015. Le délai de prescription contre cet accident, qui a commencé à courir le 1er janvier 2016, a été interrompu par la requête en référé expertise présentée par Mme A... le 7 juin 2018, et n'a recommencé à courir que le 1er janvier 2020, avant d'être à nouveau interrompu. Ainsi, quand bien même le SIVOS de Noiron-sous-Gevrey, Briondon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges n'était pas partie à l'instance de référé-expertise, l'exception tirée de la prescription de la créance de Mme A... ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne le défaut d'entretien normal de l'ouvrage :

17. Aux termes de l'article L. 212-4 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " La commune a la charge des écoles publiques. Elle est propriétaire des locaux et en assure la construction, la reconstruction, l'extension, les grosses réparations, l'équipement et le fonctionnement, à l'exception des droits dus en contrepartie de la reproduction par reprographie à usage pédagogique d'œuvres protégées. ".
18. Il appartient à l'usager, victime d'un dommage survenu à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public d'apporter la preuve, d'une part, de la réalité de ses préjudices, et, d'autre part, de l'existence d'un lien de causalité direct entre cet ouvrage et le dommage qu'il a subi. La collectivité en charge de l'ouvrage public doit alors, pour que sa responsabilité ne soit pas retenue, établir que l'ouvrage public faisait l'objet d'un entretien normal ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.
19. Le SIVOS, auquel la commune de Noiron-sur-Gevrey a transféré sa compétence en matière d'équipement et de fonctionnement des écoles publiques, conteste la matérialité des faits survenus le 17 septembre 2015 à l'origine des préjudices dont Mme A... s'est prévalue devant le tribunal. Le SIVOS oppose que l'accident n'a été constaté par aucun témoin direct, et que les témoignages de personnels en poste à l'école ne font état ni de la présence de Mme A... ni de la moindre anomalie le jour de l'accident. Il résulte cependant de l'instruction que Mme A..., enseignante au sein du réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), avait un emploi du temps variable, distinct de celui s'appliquant habituellement aux autres enseignants, et qu'elle n'était pas nécessairement connue de tous les agents de l'école. Par ailleurs, à l'exception d'une erreur de date dans un échange par mail, qui indique le 18 septembre au lieu du 17 septembre 2015, son récit, cohérent, n'a pas varié, comme le montrent notamment le témoignage de sa sœur, l'attestation de la directrice de l'école à laquelle elle a rapporté l'accident dès le lendemain matin ainsi que les différents mails et la déclaration d'accident de service renseignée le 29 septembre 2015. Il en ressort que Mme A... a déclaré qu'elle était seule le 17 septembre 2015 à 11 heures 15 dans la salle où a eu lieu l'accident et qu'elle était en train de procéder à un affichage quand le volet gauche du tableau a basculé, la blessant à la tête et à l'épaule. Elle indique avoir brièvement perdu connaissance puis, à son réveil, s'être rendue chez sa sœur, qui habite à proximité, et le lendemain chez son médecin traitant qui l'a placée en arrêt de travail. Le certificat médical établi par ce dernier le 18 septembre 2015 fait état d'un " traumatisme (écrasée par un tableau) " et d'une " entorse cervicale, + traumatisme crânien + traumatisme épaule G + omoplate G. ". Par ailleurs, l'agent d'entretien atteste avoir retrouvé ce volet au sol le 17 septembre au soir, descellé de son support, alors que le lendemain matin la directrice a constaté que l'intéressée portait une minerve. Rien dans les productions du SIVOS ne permet d'établir que la description, précise et crédible, que l'intéressée a faite de l'accident serait mensongère, ni que l'intéressée aurait une part de responsabilité dans la survenue de cet accident. Ainsi, le SIVOS n'est pas fondé à soutenir que l'existence d'un lien de causalité entre le dommage subi par Mme A... et l'ouvrage public dont elle était usagère ne serait pas avéré.

20. Par ailleurs, pour justifier du bon entretien de l'ouvrage, le SIVOS produit des attestations de son président et d'un de ses agents techniques qui affirment que le tableau était parfaitement fixé. Elles ne permettent toutefois pas de connaître la date à laquelle ce constat a été réalisé. Si le SIVOS indique que tous les tableaux de l'école ont été vérifiés, mais après l'accident, et que l'assistant de prévention des circonscriptions du Grand Dijon, lors de sa visite de l'établissement le 14 mars 2014, n'a relevé aucune défaillance particulière de ce matériel, la fiche établie par la suite relève certaines vétustés au sein de l'école, dont une moquette murale qui se décolle, sans que soit spécialement remis en cause le fait que le tableau était ancré sur un mur revêtu d'une moquette murale, qui plus est vieillissante, par seulement quatre vis alors que son dispositif de fixation en prévoit huit, et que les simples chevilles cylindriques entourant les vis étaient dépourvues de tout système anti arrachement. Les photographies produites montrent un orifice au mur, qui présente des éléments de dégradation. Si aucun débris de plâtre ou élément de fixation, au demeurant pour partie encore fichés dans le volet, n'ont été retrouvés au sol, et si le bureau, dont rien n'indique d'ailleurs qu'il aurait été sur la trajectoire de chute, n'a pas été dégradé, de telles circonstances ne sauraient suffire pour conclure à l'absence de chute de cet élément. Faute d'autres explications à la chute du tableau qu'une installation et une maintenance non conformes aux règles de l'art, le SIVOS, auquel il appartenait de prévenir le danger en prenant toutes les précautions nécessaires, notamment en s'assurant qu'il était correctement fixé, de surcroît dans un lieu fréquenté quotidiennement par de jeunes enfants et leurs enseignants, ne peut dès lors être regardé comme justifiant d'un entretien normal de l'ouvrage.

21. Il résulte de ce qui précède que le SIVOS a manqué à son obligation d'entretien normal des installations dont il est maître d'ouvrage. Eu égard au caractère exclusif de ce manquement dans la survenue de l'accident dont a été victime Mme A..., il y a lieu de condamner le SIVOS à garantir l'Etat à hauteur de 100 % de la somme de 166 000 euros mise à sa charge par le présent arrêt.


Sur les intérêts et leur capitalisation :

22. Les intérêts et leur capitalisation ont été demandés pour la première fois en appel le 28 novembre 2022. Mme A... ayant présenté une demande indemnitaire préalable reçue par le ministre de l'éducation nationale le 30 août 2019, la somme ci-dessus portera intérêts à compter de cette dernière date. Les intérêts seront capitalisés à compter du 28 novembre 2022, dès lors qu'à cette date ils étaient dus au moins pour une année entière, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.


Sur les frais liés au litige :

23. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat les sommes au titre des frais exposés par Mme A... d'une part et le SIVOS d'autre part et non compris dans les dépens.

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A... qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au SIVOS la somme qu'il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.


25. Il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du SIVOS la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 29 septembre 2022, en tant qu'il a condamné le SIVOS de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges à garantir intégralement l'Etat et fixé le montant de la réparation due à Mme A... à 134 000 euros, est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A... la somme de 166 000 euros en réparation de ses préjudices, dont doit être déduite la provision de 80 000 euros déjà accordée. Cette somme portera intérêts à compter du 30 août 2019. Les intérêts seront capitalisés à compter du 28 novembre 2022 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : L'Etat sera garanti par le SIVOS de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges à hauteur de 100 % de la somme de 166 000 euros, y compris les intérêts et leur capitalisation.
Article 4: Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Les conclusions du SIVOS de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges et le surplus de celles présentées par Mme A... sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au recteur de l'académie de Bourgogne-Franche-Comté, au syndicat intercommunal à vocation scolaire (SIVOS) de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges, à la MGEN, section de la Côte d'Or, et à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre,
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure,
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 avril 2025.


La rapporteure,
I. BoffyLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
M. C...

La République mande et ordonne à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,

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N° 22LY03443, 22LY03461
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