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CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 09/04/2024, 22MA01201, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 18 novembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a confirmé le rejet par le ministre des armées de sa demande de révision de ses droits à pension et d'enjoindre au sous-directeur des pensions de lui délivrer un nouveau titre de pension prenant en compte une aggravation de 10 % de ses " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " et de 10 % de son " état anxiodépressif ", avec effet à compter de la date d'enregistrement de sa demande, soit le 19 avril 2018. Par un jugement n° 2100090 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par un arrêt n° 22MA01201 du 7 juillet 2023, la Cour a, d'une part, rejeté les conclusions de la requête de M. B... tendant à l'annulation de ce jugement du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022 en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre cette décision de la commission de recours de l'invalidité du 18 novembre 2020 refusant de réviser sa pension militaire d'invalidité au titre de l'aggravation de son état anxiodépressif et, d'autre part, ordonné avant dire droit une expertise aux fins de déterminer, en se plaçant au jour de l'enregistrement de sa demande de révision, soit le 19 avril 2018, si l'aggravation des " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " était due à des causes étrangères à cette infirmité pensionnée liée à l'accident dont il a été victime le 24 juin 1975 et de proposer le taux d'invalidité afférent, en référence au guide-barème annexé au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par une ordonnance du 3 octobre 2023, la présidente de la Cour a désigné Mme A... C... en qualité d'experte. L'experte de justice a déposé son rapport au greffe de la Cour le 10 janvier 2024. Le 11 janvier 2024, les parties ont été invitées, en application des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, à fournir leurs observations sur ce rapport d'expertise, dans un délai d'un mois. Par ordonnance du 18 janvier 2024, la présidente de la Cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise confiée à Mme C... à la somme de 864,27 euros, en ce compris l'allocation provisionnelle d'un montant de 800 euros accordée par une ordonnance du 11 octobre 2023. Par des mémoires, enregistrés les 24 janvier et 19 mars 2024, M. B..., représenté par Me Stark, demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022 ; 2°) d'enjoindre au ministre des armées, d'une part, de lui délivrer un nouveau titre de pension et une nouvelle fiche descriptive des infirmités, avec effet à compter de la date de la demande de réexamen des droits, soit le 19 avril 2018, au taux d'invalidité de 20 % correspondant à l'infirmité " acouphènes droits " et, d'autre part, de procéder au remboursement de la somme qu'il a déboursée au titre de l'allocation provisionnelle accordée à l'experte de justice et à s'acquitter du surplus demandé par cette dernière ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que l'avis rendu par l'experte de justice désignée par la présidente de la Cour, dans son rapport du 6 janvier 2024, démontre que son infirmité auditive s'est aggravée, ce qui justifie le réexamen de ses droits à pension comme il le demande. Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 et 22 mars 2024, le second n'ayant pas été communiqué, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022. Il fait valoir que : - l'experte de justice n'a pas respecté la mission qui lui a été confiée par la Cour ; - l'experte de justice s'est fondée sur le barème d'évaluation légal de la société de médecine légale et de criminologie de France pour déterminer le taux d'invalidité relatif à la surdité de M. B... alors que ce barème n'est pas applicable en matière de pension militaire d'invalidité ; - le taux d'invalidité de 20 % arrêté par l'experte de justice s'avère injustifié médicalement et en contradiction avec le taux d'invalidité de 10 % qu'elle-même fixait initialement ; - l'experte de justice a pris en compte l'évolution clinique des troubles auditifs de M. B... en contradiction avec le champ temporel de la mission qui lui a été dévolue par les 2° et 3° de l'article 2 de l'arrêt de la Cour du 7 juillet 2023 ; - si l'experte de justice affirme, en page 7 de son rapport, que " la presbyacousie physiologique a aggravé les lésions initiales et ne constituent pas une infirmité différente de celle pensionnée ", d'une part, cette position est en contradiction avec la jurisprudence et la doctrine médicale et, d'autre part, elle n'apporte aucun élément de nature à étayer son affirmation ; - en tout état de cause, l'éventuelle aggravation des acouphènes droits de M. B..., non retrouvée par l'experte de justice, n'est pas exclusivement en lien avec ses infirmités pensionnées mais résulte de l'aggravation de sa surdité non imputable au service. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Lombart, - les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique, - et les observations de Me Stark, représentant M. B.... Considérant ce qui suit : 1. Né le 23 juin 1942, M. B..., a été libéré de ses obligations légales de service actif le 1er mars 1968 au grade de sous-lieutenant et rayé des contrôles du 26ème régiment d'infanterie. Le 1er juillet 1969, il a été promu au grade de lieutenant de réserve. Le 24 juin 1975, M. B... a été victime d'un traumatisme sonore au cours d'une séance de tir au bazooka. Par un arrêté du 2 avril 1996, il s'est vu concéder, au titre des blessures imputables à cet accident survenu en service, une pension militaire d'invalidité au taux global de 75 %, pour des sensations vertigineuses, un état anxiodépressif, une hypoacousie droite ainsi que des acouphènes. Par un courrier du 15 avril 2018, reçu le 19 avril suivant, M. B... a demandé la révision de cette pension militaire d'invalidité au titre d'une aggravation de ces infirmités. Par une décision du 20 avril 2020, rectifiée le 16 septembre 2020, le ministre des armées a refusé de faire droit à cette demande. M. B... a alors contesté cette décision en tant qu'elle porte sur les infirmités ayant trait à son état anxiodépressif et aux acouphènes dont il souffre, devant la commission de recours de l'invalidité. Celle-ci a rejeté son recours préalable obligatoire par décision du 18 novembre 2020. Par un jugement du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 18 novembre 2020. M. B... ayant interjeté appel de ce jugement, la Cour a, par un arrêt du 7 juillet 2023, d'une part, rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision refusant de réviser sa pension militaire d'invalidité au titre de l'aggravation de son état anxiodépressif. Mais elle a, d'autre part, ordonné avant dire droit une expertise aux fins, en se plaçant au jour de l'enregistrement de sa demande de révision, soit le 19 avril 2018, de déterminer si l'aggravation des " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " est due à des causes étrangères à cette infirmité pensionnée liée à l'accident dont il a été victime le 24 juin 1975, et de proposer un taux d'invalidité, en référence au guide-barème annexé au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. L'experte de justice désignée par la présidente de la Cour a déposé son rapport au greffe le 10 janvier 2024. Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il concerne l'infirmité tenant aux " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " : 2. Selon l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. ". 3. Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi, l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée. 4. Par ailleurs, le degré d'infirmité est déterminé au jour du dépôt de la demande de l'intéressé, sans qu'il soit possible de tenir compte d'éléments d'aggravation postérieurs à cette date. L'administration doit dès lors se placer à la date de la demande de pension pour évaluer le degré d'invalidité entraîné par l'infirmité invoquée. Par ailleurs, une pension acquise à titre définitif ne peut être révisée que si le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins au pourcentage antérieur. 5. Après avoir constaté au vu des pièces versées aux débats que l'infirmité pensionnée de M. B... au taux de 10 %, correspondant aux " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " s'était aggravée, la Cour, a, par son arrêt susvisé du 7 juillet 2023, ordonné une expertise dès lors que l'état de l'instruction ne lui permettait pas de déterminer si cette aggravation était en lien exclusif avec le service. Or, d'une part, l'analyse à laquelle s'est livrée l'experte de justice désignée par la présidente de la Cour, dans son rapport déposé le 10 janvier 2024 confirme les conclusions déjà opérées tant par le médecin expert de l'administration, dans son avis du 29 octobre 2019, que par le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité du 28 novembre 2019 qui évaluaient cette aggravation à 10 %. D'autre part, cette experte de justice précise, sans être utilement contestée par le ministre intimé, que cette aggravation a pour origine le vieillissement de M. B..., sans aucune autre cause étrangère à l'infirmité initiale, la presbyacousie physiologique ayant aggravé les lésions initiales et ne constituant pas une infirmité différente de celle pensionnée. L'appelant est dès lors fondé à soutenir qu'en refusant, par la décision contestée du 18 novembre 2020, la révision de ses droits à pension pour cette infirmité, la commission de recours de l'invalidité a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, cette décision doit être annulée. 6. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 18 novembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a confirmé le rejet par le ministre des armées de sa demande de révision de ses droits à pension s'agissant de l'infirmité tenant aux " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite ". Sur les conclusions à fin d'injonction : 7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ". 8. Eu égard aux motifs du présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au ministre des armées de procéder à la liquidation de la pension militaire d'invalidité de M. B... sur la base d'un taux de 20 %, à compter du 19 avril 2018, date à laquelle il a demandé la révision de ses droits, pour l'infirmité " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " dont il souffre et de modifier en conséquence la fiche descriptive des infirmités. Sur les frais d'expertise : 9. Selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. ". 10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat les frais et honoraires de l'expertise confiée à Mme C... qui ont été taxés et liquidés à la somme de 864,27 euros par l'ordonnance susvisée du 18 janvier 2024. Par ailleurs, ces frais et honoraires comprenant le montant de l'allocation provisionnelle d'un montant de 800 euros mise à la charge de M. B... par une ordonnance du 11 octobre 2023, l'Etat devra rembourser à l'appelant ce montant et supporter le solde de 64,27 euros qui reste à verser à l'experte de justice. Sur les autres frais liés au litige : 11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ". 12. Il y a également et enfin lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. D É C I D E : Article 1er : Le jugement n° 2100090 du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022 en tant qu'il rejette les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours de l'invalidité du 18 novembre 2020 refusant de réviser sa pension militaire d'invalidité au titre de l'aggravation des " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite ", et dans cette même mesure, cette décision, sont annulés. Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de procéder à la liquidation de la pension militaire d'invalidité allouée à M. B... sur la base d'un taux de 20 % à compter du 19 avril 2018, pour l'infirmité " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " dont il souffre et de modifier en conséquence la fiche descriptive des infirmités. Article 3 : Les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 864,27 euros, sont mis à la charge de l'Etat. Article 4 : L'Etat remboursera à M. B... la somme de 800 euros correspondant au montant de l'allocation provisionnelle accordée à l'experte de justice par une ordonnance de la présidente de la Cour du 11 octobre 2023. Article 5 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre des armées. Copie en sera adressée à Mme A... C..., experte de justice. Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, où siégeaient : - M. Marcovici, président, - M. Revert, président assesseur, - M. Lombart, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024. 2 No 22MA01201 ot
Cours administrative d'appel
Marseille
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 04/04/2024, 22BX00843, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. D... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Bordeaux, d'organiser une expertise avant dire droit, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité, et d'enjoindre à l'administration de lui concéder une pension au taux de 60 % pour l'infirmité de syndrome pyramidal avec perte de sensibilité du membre supérieur droit. Par un jugement n° 1905573 du 4 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 11 mars 2022, M. C..., représenté par Me Moumni, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) d'ordonner une expertise médicale avant dire droit, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 et d'enjoindre à l'administration de " reconnaître l'imputabilité au service de son infirmité avec un taux d'invalidité de 60 % " ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il soutient que : - la décision est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ; - le rapport circonstancié indique qu'il a ressenti brutalement des douleurs cervicales et un fourmillement du membre supérieur droit lors d'une séance de sport le 30 septembre 2013 ; le certificat de consolidation du 16 octobre 2014 rappelle que les troubles sensitifs de la main droite et le syndrome pyramidal sont survenus lors d'une séance de sport ; le protocole transactionnel du 6 juillet 2016 reconnaît qu'il a été victime d'un accident de service lors d'une séance de sport ; la déclaration initiale d'affection présumée imputable au service du 31 janvier 2014 a également constaté que les symptômes sont survenus à l'occasion d'une séance de sport le 30 septembre 2013 ; son infirmité a été déclenchée par un accident survenu alors qu'il était en opération extérieure en Afghanistan, au cours du service, de sorte qu'il doit bénéficier de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, ainsi que de celle prévue à l'article L. 3 dès lors que les blessures ont été constatées avant le renvoi dans ses foyers ; - dans son avis du 12 décembre 2018, la commission de réforme a reconnu l'imputabilité au service en relevant que le traumatisme cervical était à l'origine de la symptomatologie séquellaire ; il n'avait aucun état antérieur au moment de l'accident du 30 septembre 2013 ; si le canal cervical étroit a pu créer un terrain sensible, c'est bien l'accident qui est à l'origine de l'apparition de l'affection ; - contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le fait que l'administration a reconnu l'accident de service dans le cadre du protocole transactionnel démontre que la décision prise sur la demande de pension est injustifiée ; - les séquelles qu'il conserve sont en lien avec l'accident de service, de sorte que la décision de rejet de sa demande de pension doit être annulée ; - il sollicite une expertise médicale afin de déterminer le taux d'invalidité et le lien d'imputabilité de son affection au service. Par un mémoire en défense enregistré le 24 mai 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que : - la décision du 17 décembre 2018 est suffisamment motivée ; - selon le rapport circonstancié, M. C... a ressenti brutalement des douleurs cervicales et des fourmillements au niveau du membre supérieur droit à l'occasion d'une séance de volley le 30 septembre 2013 ; le 28 novembre 2013, un chirurgien de l'hôpital français de Kaboul a noté une trépidation épileptoïde de la cheville droite depuis début septembre 2013 et un franc syndrome pyramidal des membres inférieurs fin octobre 2013, ainsi qu'une atteinte des membres supérieurs avec une hypoesthésie du bord cubital de la main droite et un signe de Hoffmann bilatéral ; le 9 décembre 2013, un neurologue de l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué a noté que M. C... ne décrivait pas de problème de santé antérieur sur le plan neurologique, que suite à une manœuvre de smash en volley-ball, il a ressenti des fourmillements du bord cubital de la main droite puis dans les jours qui ont suivi une trépidation des pieds dans certaines positions, un syndrome tétra-pyramidal a été mis en évidence, et le tableau clinique a été expliqué par une myélopathie sur un probable canal cervical étroit congénital ; l'existence d'un canal cervical étroit, anomalie constitutionnelle sans lien avec le service, a été confirmée par deux médecins le 28 avril 2014 et le 26 novembre 2014 ; l'accident du 30 septembre 2013 ne peut être responsable de la cervicarthrose constatée deux mois et demi plus tard sur l'IRM, qui était antérieurement asymptomatique et s'est révélée lors de l'accident du 30 septembre 2013 ; dès lors que la blessure n'est que la traduction d'un état pathologique préexistant, ce dernier doit être regardé comme la cause de l'infirmité ; - l'infirmité résulte d'une maladie constatée avant le 90ème jour de service effectif, et la circonstance que l'accident a eu lieu avant le renvoi du militaire dans ses foyers ne suffit pas à ouvrir droit au bénéfice de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - si l'administration a indemnisé M. C... dans le cadre d'un protocole transactionnel, elle pouvait rendre deux décisions sans influence l'une sur l'autre et adoptant une appréciation différente. M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juin 2022. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ; - le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme A..., - les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique, - et les observations de M. C.... Considérant ce qui suit : 1. M. C..., engagé dans l'armée de terre le 1er mai 1995 et affecté depuis 1997 au 13ème régiment de dragons parachutistes, a présenté brutalement des cervicalgies et des paresthésies du membre supérieur droit le 30 septembre 2013 lors d'une séance de sport programmée, alors qu'il se trouvait en mission en Afghanistan. Des trépidations des pieds sont survenues quelques jours plus tard dans certaines positions, et un syndrome pyramidal progressif de nature indéterminée a été constaté à l'hôpital français de Kaboul. A son retour en France, M. C... a été pris en charge à l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué, où une IRM a permis de diagnostiquer une myélopathie cervicarthrosique sur un canal cervical étroit constitutionnel, avec un hypersignal intramédullaire en C5-C6. Une décompression médullaire par laminoplastie C3-C7 avec ostéosynthèse a été réalisée le 12 mars 2014, ce qui a permis une régression des signes neurologiques, mais M. C... a conservé comme séquelles un syndrome pyramidal caractérisé notamment par des tremblements des membres inférieurs et une perte de sensibilité de la main droite. Le 15 janvier 2015, il a sollicité à ce titre une pension militaire d'invalidité. Par une décision du 17 décembre 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande au motif que la preuve d'imputabilité au service n'était pas établie et que la présomption ne pouvait s'appliquer, l'infirmité " ayant été constatée avant d'avoir effectué 90 jours de services effectifs ". M. C... relève appel du jugement du 4 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision et demande à la cour d'ordonner une expertise médicale avant dire droit, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 et d'enjoindre à l'administration de reconnaître l'imputabilité au service de son infirmité avec un taux d'invalidité de 60 % . 2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la demande : " Ouvrent droit à pension : / (...) / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; / (...). " Aux termes de l'article L 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) " Aux termes de l'article L. 4 de ce code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; / 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : / 30 % en cas d'infirmité unique ; / 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. / Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage. " Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine consécutive à un fait précis de service. 3. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise organisée par l'administration, que M. C..., qui était parachutiste et n'avait jusqu'alors pas d'autre antécédent qu'une fracture de la cheville droite opérée en 2004, un tassement de L 4 traité médicalement et une pathologie rotulienne, a présenté brutalement le 30 septembre 2013, en se réceptionnant d'un saut (smash) lors d'un match de volley-ball organisé dans le cadre du service, des cervicalgies et des paresthésies du territoire cubital du membre supérieur droit, avec une fatigabilité des quatre membres. Le lien entre ces symptômes et la séance de sport est établi par le rapport circonstancié et la déclaration initiale d'affection présumée imputable au service du 31 janvier 2014, et l'experte a précisé que le déclenchement clinique de la myélopathie cervicarthrosique pouvait être traumatique. M. C... a ainsi présenté une blessure survenue à l'occasion du service, laquelle a aggravé une pathologie étrangère au service jusqu'alors asymptomatique. Cette situation relève des dispositions du 3° de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, de sorte que les dispositions du 2° de l'article L. 3 opposées par la décision du 17 décembre 2018 n'étaient pas applicables. 4. Les pièces du dossier ne permettent pas d'apprécier la part de l'aggravation de la pathologie préexistante imputable à l'accident de service. Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise avant de statuer sur le droit à pension de M. C.... DÉCIDE : Article 1er : Avant de statuer sur le droit à pension de M. C... pour l'infirmité de syndrome pyramidal avec perte de sensibilité du membre supérieur droit, il sera procédé à une expertise médicale contradictoire par un médecin spécialisé en neurologie, en présence de M. C... et du ministre des armées. Article 2 : L'expert aura pour mission de : 1°) prendre connaissance du dossier médical et de l'expertise du docteur B..., et examiner M. C... ; 2°) décrire la pathologie caractérisée par le canal cervical étroit et l'arthrose cervicale antérieurement à l'accident de service du 30 septembre 2013, et donner son avis sur son évolution probable en précisant si la myélopathie cervicarthrosique se serait nécessairement déclenchée en l'absence de cet accident, et dans quel délai ; 3°) décrire l'infirmité de syndrome pyramidal avec perte de sensibilité du membre supérieur droit dont M. C... reste atteint, et en évaluer le taux au regard du guide barème des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, en distinguant le cas échéant la part imputable à l'état antérieur de celle imputable à l'accident de service du 30 septembre 2013. Article 3 : Pour l'accomplissement de la mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé. Il pourra également entendre toute personne dont il estimerait l'audition utile. Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. S'il lui apparaît nécessaire de faire appel au concours d'un sapiteur, il sollicitera l'autorisation du président de la cour, comme le prévoit l'article R. 621-2 du code de justice administrative. Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport sous forme dématérialisée dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec l'accord de ces dernières, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance. Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient : Mme Catherine Girault, présidente, Mme Anne Meyer, présidente-assesseure, M. Olivier Cotte, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024. La rapporteure, Anne A... La présidente, Catherine GiraultLa greffière, Virginie Guillout La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 22BX00843
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 04/04/2024, 22BX00487, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision de la ministre des armées en date du 13 décembre 2018 en tant qu'elle lui attribue, à titre définitif, une pension militaire d'invalidité au taux global de seulement 60 % au titre des deux infirmités dont il souffre, de fixer le taux de l'infirmité pour état de stress post-traumatique à 70 % et le taux de l'infirmité pour acouphènes bilatéraux permanents à 15 %, et à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale à l'effet de déterminer le taux desdites infirmités ainsi que l'aggravation y afférente et, enfin, de lui accorder le bénéfice de la revalorisation indiciaire de sa pension militaire d'invalidité au taux du grade équivalent de la marine nationale à compter de la date de sa jouissance avec application des dispositions de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre. Par un jugement n° 1902524 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Pau a donné acte à M. B... de son désistement s'agissant des conclusions tendant à la revalorisation indiciaire de sa pension militaire d'invalidité au taux du grade équivalent de la marine nationale, et a rejeté le surplus de ses demandes. Procédure devant la cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 février 2022, 15 septembre et 17 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Tucoo-Chala, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 15 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions ; 2°) d'annuler la décision du 13 décembre 2018 et l'arrêté du 24 décembre 2018 et de fixer le taux des deux infirmités à 70 % pour l'état de stress post-traumatique et à 15 % pour les acouphènes bilatéraux permanents ou, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - l'aggravation de son infirmité en lien avec un état de stress post-traumatique, homologuée blessure de guerre le 19 janvier 2021, est établie par le rapport du médecin de l'administration qui retient une infirmité au taux de 70 % et donc une aggravation de 20 %, le certificat établi par le médecin responsable de l'antenne médicale spécialisée de Bayonne qui constate l'augmentation des traitements médicamenteux et des périodes d'hospitalisation au vu des manifestations cliniques retardées ; à tout le moins, une expertise judiciaire serait, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, utile puisque l'administration n'a pas suivi les conclusions de son propre expert médical ; - le médecin de l'administration a également retenu une aggravation de l'infirmité liée aux acouphènes bilatéraux permanents, ce qui est de nature à remettre en cause la décision prise par l'administration de maintien de son taux d'infirmité ou, à défaut, à justifier une expertise. Par deux mémoires en défense enregistrés les 6 janvier et 12 octobre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que la comparaison de l'expertise médicale réglementaire du 14 août 2018 avec la précédente du 3 mars 2017 permet de constater une aggravation fonctionnelle de l'infirmité due à l'état de stress post-traumatique de 10 %, justifiée par des hospitalisations séquentielles, et une absence d'aggravation de la seconde infirmité, sur laquelle au demeurant la demande de révision de la pension ne portait pas et qui n'a été étudiée qu'en raison de la proximité de la période de renouvellement de la pension ; le requérant n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les conclusions de la commission consultative médicale et rien ne permet de confirmer ses dires sur la phase de latence de l'état de stress post-traumatique ; le taux d'invalidité précédemment retenu de 40 % pour l'infirmité de stress post-traumatique n'a pas été contesté, de sorte que la majoration retenue doit s'appliquer sur ce taux ; l'augmentation alléguée de la seconde infirmité de 5 points est inopérante au regard de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ; - le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Olivier Cotte, - les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. M. B..., né le 7 mars 1988, est militaire de carrière dans l'armée de terre et a atteint le grade de sergent. Depuis le 10 mars 2018, il est placé en congé de longue maladie. A la suite d'opérations extérieures au Burkina Faso et au Mali, il s'est vu concéder, par un arrêté du 22 décembre 2017, une pension militaire d'invalidité, à titre provisoire, au taux global de 50 %, avec jouissance à compter du 19 janvier 2016, en raison d'un syndrome d'état de stress post-traumatique évalué à 40 % et d'acouphènes bilatéraux permanents évalués à 10 % + 5. Il a sollicité, le 5 mars 2018, la révision de sa pension pour aggravation de son infirmité liée au stress post-traumatique. En raison de la proximité de la date de renouvellement de sa pension, le ministre a réexaminé les deux infirmités. Par un arrêté du 24 décembre 2018, M. B... s'est vu accorder une pension au taux global de 60 %, tenant compte d'une aggravation de l'infirmité de l'état de stress post-traumatique pour lequel l'administration a retenu un taux de 50 %. Saisi par M. B... d'une contestation de cette décision, le tribunal des pensions militaires de Pau a transmis la demande, en application du décret du 28 décembre 2018, au tribunal administratif de cette même ville. Par un jugement du 15 décembre 2021, le tribunal a donné acte à M. B... de son désistement s'agissant des conclusions tendant à la revalorisation indiciaire de sa pension militaire d'invalidité au taux du grade équivalent de la marine nationale et a rejeté le surplus de ses demandes relatives à la révision à la hausse du taux de sa pension militaire d'invalidité. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande. Sur l'infirmité liée au stress post-traumatique : 2. D'une part, aux termes de l'article R. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Tout bénéficiaire d'une pension temporaire chez qui s'est produite une complication nouvelle ou une aggravation de son infirmité peut, sans attendre l'expiration de la période de trois ans prévue à l'article R. 121-3, adresser une demande de révision sur laquelle le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et des victimes de guerre statue selon les modalités définies au chapitre Ier du présent livre. ". 3. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. (...) ". Selon ce guide-barème annexé au code, l'évaluation de l'invalidité pour les troubles psychiques de guerre s'effectue au vu de la souffrance physique, de la répétition, de la perte de la capacité relationnelle et du rétrécissement de la liberté existentielle. Il y a lieu de tenir compte de la capacité de contrôle des affects et des actes, du degré de tolérance à l'angoisse et à la peur, de l'aptitude à différer les satisfactions et à tenir compte de l'expérience acquise, et des possibilités de créativité, d'orientation personnelle et de projet. Les troubles modérés correspondent à un taux de 40 %, les troubles intenses à 60 % et les troubles très intenses à 80 %. 4. Il résulte de l'instruction que M. B... a participé à une intervention au Mali, le 20 octobre 2015, en vue de libérer plus d'une centaine d'otages retenus par un groupe djihadiste dans un hôtel de Bamako. Ayant servi de bouclier de tête, il a livré le récit d'accrochages répétés sur une longue durée, la vision de nombreux cadavres et une recherche angoissée des terroristes, étage par étage. Cela a justifié un arrêt de travail de six mois de juin à décembre 2016, avant l'obtention d'un congé de longue maladie l'année suivante, régulièrement renouvelé depuis. A l'appui de sa demande de révision de sa pension, il a produit un certificat du médecin des armées attestant d'une aggravation de l'état de stress post-traumatique, avec une augmentation des traitements médicamenteux et des périodes d'hospitalisation. Il résulte de la comparaison des deux expertises dont l'intéressé a fait l'objet les 3 mars 2017 et 14 août 2018 que celui-ci, qui était suivi par un psychiatre et un psychologue de l'armée, est désormais astreint à des hospitalisations répétées à l'hôpital des armées Robert Picqué de Bordeaux. Il suit un traitement associant un antidépresseur et un psychotrope à action sédative puissante. Aux constats déjà effectués en 2017, constitués de réminiscences permanentes de l'accident traumatique majeur, d'une anxiété importante, d'une baisse de la libido, d'une culpabilité du survivant, d'un désinvestissement familial, d'un sentiment d'être incompris de sa hiérarchie et d'un état dépressif, associant tristesse, anhédonie, auto-dévalorisation et troubles de la concentration, la nouvelle expertise ajoute une absence de projection dans l'avenir, des difficultés à contrôler son impulsivité, une diminution de l'élan vital, un apragmatisme avec diminution de la vie relationnelle et de loisir, et une augmentation de la consommation d'alcool. Ces pièces médicales, ainsi que l'avis de la commission consultative médicale, permettent de tenir pour acquise l'aggravation de l'état de stress post-traumatique dont est victime M. B.... Si la commission consultative médicale a proposé d'augmenter de 10 % le taux retenu initialement pour cette infirmité pour le fixer à 50 %, l'expert a, quant à lui, avancé un taux de 70 % en qualifiant les troubles d'importants. Au vu de ces éléments et des mentions du guide-barème, et alors même que M. B... n'avait pas contesté le taux de 40 % qui lui a été reconnu pour cette infirmité pour la liquidation de sa pension à compter du 19 janvier 2016, il peut être fait une juste appréciation de l'aggravation de l'état de stress post-traumatique en portant le taux d'invalidité de 40 % à 60 %. Sur l'infirmité résultant des acouphènes bilatéraux permanents : 5. Aux termes de l'article R. 121-3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension temporaire est concédée pour trois années à compter du point de départ défini à l'article L. 151-2. (...) ". Aux termes de l'article R. 121-4 de ce code : " A l'issue du délai de trois ans, pour la ou les infirmités résultant uniquement de blessures, la situation du pensionné doit être définitivement fixée : / 1° (...) par la conversion de la pension temporaire en pension définitive à un taux supérieur, égal ou inférieur au taux primitif ; (...) ". 6. Il résulte du rapport d'expertise établi par un oto-rhino-laryngologue le 8 octobre 2018 que s'il propose de retenir un taux d'invalidité de 15 % pour des acouphènes permanents, continus et bilatéraux, il relève dans le même temps que l'examen ORL est identique au précédent qu'il avait réalisé le 24 mars 2017, faisant ressortir une minime et discrète hypoacousie de perception bilatérale avec une perte moyenne de 15 dB de chaque côté et une impédancemétrie normale. En l'absence de modification des constats cliniques entre les deux expertises, M. B... n'est pas fondé à contester le taux de 10 % + 5 qui lui avait été reconnu pour cette infirmité auditive. 7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise dont le caractère utile n'est pas démontré, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande relative au rehaussement du taux d'invalidité à 60 % pour son infirmité liée à l'état de stress post-traumatique. Sur les frais liés au litige : 8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DECIDE : Article 1er : Le taux d'invalidité pour l'infirmité relative à l'état de stress post-traumatique dont souffre M. B... est porté de 50 % à 60 %. Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 15 décembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt. Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient : Mme Catherine Girault, présidente, Mme Anne Meyer, présidente assesseure, M. Olivier Cotte, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024. Le rapporteur, Olivier Cotte La présidente, Catherine Girault La greffière, Virginie Guillout La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 22BX00487
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de PARIS, 5ème chambre, 05/04/2024, 22PA02378, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui rembourser la somme de 14 807 euros versée à Mme B... A..., militaire, en indemnisation des préjudices résultant d'agressions subies par elle en service. Par un jugement n° 1918691 du 23 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a intégralement fait droit à sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête, enregistrée le 23 mai 2022, la ministre des armées demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement n° 1918691 du 23 mars 2022 du tribunal administratif de Paris ; 2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Elle soutient que : - le tribunal, en jugeant que la victime d'une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, ou une personne subrogée dans ses droits, peut demander au juge administratif de condamner l'Etat, en qualité d'employeur de l'agresseur, à assumer l'entière réparation des préjudices subis, a méconnu les règles spécifiquement applicables aux accidents de service et entaché ainsi sa décision d'erreur de droit ; - le tribunal, en se fondant également sur un manquement de l'Etat à son obligation de surveillance de son personnel, laquelle ne résulte d'aucun texte ni de la jurisprudence, a entaché sa décision d'une seconde erreur de droit ; en tout état de cause, aucune faute ne peut être reprochée à l'Etat à ce titre, compte tenu des mesures prises dès que les faits litigieux ont été portés à sa connaissance. Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2023, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il fait valoir que les moyens soulevés par la ministre des armées sont infondés et que les agressions subies par Mme A... à l'occasion de l'exercice de ses fonctions sont en tout état de cause intégralement indemnisables sur le fondement des dispositions de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code de procédure pénale ; - le code de la défense ; - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Marjanovic ; - et les conclusions de M. Perroy, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. A la suite du jugement du tribunal correctionnel de Paris du 14 novembre 2017 condamnant son supérieur hiérarchique pour des faits de violences et d'agressions sexuelles commis entre janvier et octobre 2015 lors de missions effectuées à Paris, Mülheim (Allemagne) et Saint-Pierre de la Réunion, Mme A..., militaire du rang, a saisi, le 3 janvier 2018, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI), sur le fondement des dispositions de l'article 706-3 du code de procédure pénale, afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis à raison de ces agissements. Par décision du 27 septembre 2018, ladite commission a accordée à ce titre à l'intéressée une somme globale de 14 807 euros, intégrant celles de 2 907 euros au titre des pertes de gains professionnels actuelles, 3 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, 8 000 euros en réparation des souffrances endurées et 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, qui a versé ces sommes à Mme A... le 24 octobre 2018, en a demandé le remboursement à la ministre des armées. Par la présente requête, celle-ci relève appel du jugement du 23 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser la somme précitée de 14 807 euros au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Sur la régularité du jugement attaqué : 2. Hormis dans le cas où les juges de première instance ont méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à eux et ont ainsi entaché leur jugement d'irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la ministre des armées ne peut, en tout état de cause, utilement soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs de droit. Sur les droits indemnitaires du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions : 3. D'une part, en vertu des articles 706-3 et 706-4 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut, lorsque certaines conditions sont réunies, obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne auprès d'une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, juridiction civile instituée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance qui peut prendre sa décision avant qu'il soit statué sur l'action publique ou sur les intérêts civils. L'indemnité correspondante est alors versée par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Selon le premier alinéa de l'article 706-11 du code de procédure pénale, le Fonds " est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes ". 4. D'autre part, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / (...) La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d'une action directe qu'elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. ". Aux termes de l'article 15 de la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires, aujourd'hui repris à l'article L. 4123 - 10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. / L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Il est subrogé aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées aux victimes. ". 5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la collectivité publique dont dépend un agent victime de violences à l'occasion de ses fonctions, dès lors qu'elle est tenue, au titre de la protection instituée par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, de réparer le préjudice résultant de ces violences, est au nombre des personnes à qui le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions peut réclamer le remboursement de l'indemnité ou de la provision qu'il a versée à cet agent à raison des mêmes violences, dans la limite du montant à la charge de cette collectivité. Si la collectivité publique ne se substitue pas, pour le paiement des dommages et intérêts accordés par une décision de justice, à l'auteur des faits à l'origine du dommage, il lui incombe toutefois d'assurer la juste réparation du préjudice subi par l'agent. 6. En l'espèce, et en premier lieu, il résulte de l'instruction que les violences et agressions infligées à Mme A... par son supérieur hiérarchique l'ont été à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Dès lors, l'intéressée remplissait les conditions pour bénéficier de la protection instituée par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983. Par suite, et sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de service, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions pouvait agir à l'encontre de l'Etat par subrogation à l'intéressée. 7. En deuxième lieu, il n'est ni établi, ni même allégué que Mme A... aurait reçu de l'Etat, en raison des conséquences matérielles des agressions subies et de leurs effets sur son intégrité physique, une allocation temporaire, pension ou rente d'invalidité. Dès lors, la ministre des armées ne peut valablement opposer aux prétentions du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la règle du forfait de pension applicable aux fonctionnaires victimes d'un accident de service ou atteints d'une maladie professionnelle. 8. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Son appel doit dès lors être rejeté. Sur les frais liés à l'instance : 9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DÉCIDE : Article 1er : La requête de la ministre des armées est rejetée. Article 2 : L'Etat versera au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient : - M. Marjanovic, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, - M. Gobeill, premier conseiller, - M. Dubois, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 avril 2024. Le président rapporteur, V. MARJANOVIC L'assesseur le plus ancien, J.F. GOBEILL La greffière, E. VERGNOL La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. N° 22PA02378 2
Cours administrative d'appel
Paris
CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 09/04/2024, 24MA00108, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part d'annuler l'arrêté du 20 juin 2023 par lequel le directeur de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire du blâme, ensemble la décision du 31 août 2023 rejetant son recours gracieux, d'autre part d'enjoindre à cet établissement public local de retirer cette sanction et tout autre document faisant référence à la procédure disciplinaire et enfin de condamner cet établissement à lui verser la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 2305594 du 17 novembre 2023, le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 janvier et 20 mars 2024, Mme A..., représentée par Me Taulet, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures : 1°) à titre principal, d'annuler cette ordonnance du 17 novembre 2023 ; 2°) d'annuler la décision de blâme ainsi que la décision tacite rejetant son recours gracieux contre cette sanction ; 3°) d'enjoindre à l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes de retirer cette sanction, et tout autre document faisant référence à la procédure disciplinaire ; 4°) subsidiairement, d'annuler cette ordonnance et de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Nice ; 5°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'administration une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - contrairement à la notification qui lui a été faite par le tribunal de l'ordonnance attaquée, seule la Cour est compétente pour connaître de sa requête ; - c'est à tort que le premier juge a considéré sa demande comme tardive, dès lors que le délai de recours contentieux a couru à son encontre non pas à compter de la présentation du pli à son domicile, mais à partir du jour où elle a retiré ce pli à la poste ; - la sanction en litige est irrégulière, faute pour elle d'avoir pu accéder à l'intégralité de son dossier individuel, avant son entretien disciplinaire, en méconnaissance de l'article 44 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat ; - la sanction en litige est entachée d'une erreur de fait et s'avère disproportionnée ; - la Cour ne pourra pas évoquer l'affaire, dès lors que les mémoires en défense, qui ne portent que sur le fond du litige, lui ont été communiqués tardivement. Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2024, l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes, représenté par Me Urien, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de son auteure la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel relatifs à la légalité de la sanction en litige ne sont pas fondés. Par des observations, enregistrées le 19 mars 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut à ce que l'Etat soit mis hors de cause dans cette instance, dès lors que seul le directeur de l'établissement public dont relève la requérante a compétence pour produire des écritures en défense. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des relations entre le public et l'administration ; - le code des postes et des communications électroniques ; - le code de procédure civile ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Revert, - les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique, - et les observations de Me Urien, représentant l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes. Considérant ce qui suit : 1. Mme A..., agente contractuelle dans l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes, a été sanctionnée d'un blâme par une décision du directeur de cet établissement du 20 juin 2023, contre laquelle elle a formé un recours gracieux le 20 juillet 2023. Par une ordonnance du 17 novembre 2023, dont Mme A... relève appel, le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice, faisant application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, a rejeté comme tardive sa demande tendant d'une part à l'annulation de ce blâme et de la décision du 31 août 2023 rejetant son recours gracieux et d'autre part au retrait de ce blâme ou de tout document mentionnant cette procédure disciplinaire. Sur le cadre juridique applicable : 2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...)". 3. D'autre part, aux termes de l'article R. 421-1 du même code : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". L'article L. 411-5 du code des relations entre le public et l'administration précise que : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai./ Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l'exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l'égard de la décision initiale que lorsqu'ils ont été l'un et l'autre rejetés. ". 4. Enfin, l'article 5 de l'arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux, dispose que : " En cas d'absence du destinataire à l'adresse indiquée par l'expéditeur lors du passage de l'employé chargé de la distribution, un avis du prestataire informe le destinataire que l'envoi postal est mis en instance pendant un délai de quinze jours à compter du lendemain de la présentation de l'envoi postal à son domicile ainsi que du lieu où cet envoi peut être retiré ". Il résulte de ces dispositions que lorsque le destinataire du pli recommandé avec avis de réception le retire au bureau de poste durant le délai de mise en instance de quinze jours, la date de notification de ce pli est celle de son retrait. En cas de retour du pli à l'administration au terme du délai de mise en instance, la notification est réputée avoir été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de l'intéressé, dès lors du moins qu'il résulte soit de mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation du service postal ou d'autres éléments de preuve, que le préposé a, conformément à la réglementation en vigueur, déposé un avis d'instance informant le destinataire que le pli était à sa disposition au bureau de poste. Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée : 5. Il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement de la capture d'écran de la consultation du site des services postaux produite par la requérante en première instance, que si le pli recommandé avec avis de réception contenant la décision du 31 août 2023 qui rejette le recours gracieux formé par Mme A... le 20 juillet 2023 contre la décision de blâme du 20 juin 2023, laquelle comportait la mention des voies et délais de recours, lui a été présenté pour la première fois à son adresse le 5 septembre 2023, l'intéressée a retiré ce pli au bureau de poste le 11 septembre 2023, soit dans le délai de mise en instance de quinze jours prévu à l'article 5 de l'arrêté du 7 février 2007 cité au point 4. Son recours gracieux ayant valablement prorogé le délai de recours contentieux contre la décision de blâme, Mme A... disposait ainsi, à compter du 12 septembre 2023, d'un nouveau délai de deux mois pour demander au tribunal administratif de Nice l'annulation non seulement de cette décision, mais également de celle du 31 août 2023 rejetant son recours gracieux. Un tel délai, qui est un délai franc, expirait non pas le 12 novembre 2023, qui était un dimanche, mais le lendemain à minuit, conformément aux dispositions de l'article 642 du code de procédure civile. Par suite, contrairement à la mention du premier juge, selon lequel " Le fait pour Mme A... de n'avoir retiré le pli recommandé contenant la décision de rejet de son recours gracieux que le lundi 11 septembre 2023, n'a pas eu pour effet de retarder le point de départ du délai de recours contentieux ", la demande contentieuse de Mme A..., enregistrée au greffe du tribunal le 13 novembre 2023, à 21 heures 43, n'était pas tardive. Elle est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande comme irrecevable en application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Il y a donc lieu d'annuler cette ordonnance et, au cas d'espèce, de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Nice pour qu'il statue à nouveau sur la demande de Mme A.... Sur les frais d'instance : 6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans cette instance, au titre des frais exposés par l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes, en application de ces mêmes dispositions, la somme de 1 000 euros à verser à Mme A... au titre des frais exposés par elle dans cette instance et non compris dans les dépens. DECIDE : Article 1er : L'ordonnance n° 2305594 rendue le 17 novembre 2023 par le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice est annulée. Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Nice. Article 3 : L'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes versera à Mme A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Les conclusions de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, où siégeaient : - M. Marcovici, président, - M. Revert, président assesseur, - M. Martin, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024. N° 24MA001082
Cours administrative d'appel
Marseille
Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 03/04/2024, 475587
Vu la procédure suivante : Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler le titre de perception d'un montant de 20 444 euros émis par la direction régionale des finances publiques de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine le 12 avril 2021 à la suite de l'annulation de sa pension civile d'invalidité et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 444 euros en réparation du préjudice subi à raison du versement fautif de sa pension de retraite. Par un jugement n° 2104099 du 2 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 juillet et 4 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - le code des relations entre le public et l'administration ; - la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ; - le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Alexandre Adam, maître des requêtes, - les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ; La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Pinet, avocat de Mme A... ; Considérant ce qui suit : 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., adjointe administrative de 2ème classe au ministère de la culture et de la communication, a été admise à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 18 juillet 2016 par un arrêté du 16 mai 2017. Une pension civile d'invalidité lui a été accordée, avec date d'effet au 18 juillet 2016. Mme A... a contesté cet arrêté la radiant des cadres, qui a été annulé par un jugement n° 1703026 du 3 octobre 2019 du tribunal administratif de Rennes. Mme A... a été réintégrée dans le corps des adjoints administratifs du ministère de la culture à compter du 18 juillet 2016, par un arrêté du 30 octobre 2019. Sa pension civile d'invalidité a été annulée par un arrêté du 21 mars 2021. Mme A... a fait valoir ses droits à la retraite et une pension de retraite lui a été accordée par arrêté du 17 mai 2021 avec effet à compter du 1er avril 2019. Le 12 avril 2021, la direction régionale des finances publiques de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine a émis à son encontre un titre de perception d'un montant de 20 444 euros en vue de récupérer les indus de pension versés en application de l'arrêté du 16 mai 2017. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler ce titre de perception et de la décharger de l'obligation de payer la somme qui lui est réclamée et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 444 euros en réparation du préjudice subi par le versement fautif de cette pension de retraite. Par un jugement du 2 mai 2023, contre lequel Mme A... se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande. 2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". Le V de l'article 55 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificatives pour 2010 prévoit que pour l'application de ces dispositions " aux titres de perception délivrés par l'Etat en application de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales, afférents aux créances de l'Etat ou à celles qu'il est chargé de recouvrer pour le compte de tiers, la signature figure sur un état revêtu de la formule exécutoire, produit en cas de contestation ". 3. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le titre de perception individuel délivré par l'Etat doit mentionner les nom, prénom et qualité de l'auteur de cette décision, et d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier, en cas de contestation, que l'état revêtu de la formule exécutoire comporte la signature de cet auteur. Ces dispositions n'imposent pas de faire figurer sur cet état les nom, prénom et qualité du signataire. Les nom, prénom et qualité de la personne ayant signé l'état revêtu de la formule exécutoire doivent, en revanche, être mentionnés sur le titre de perception, de même que sur l'ampliation adressée au redevable. 4. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif de Rennes, après avoir relevé que ce titre de perception, qui n'était pas signé, comportait les nom, prénom et qualité de son auteure, s'est fondé sur la circonstance que l'état récapitulatif des créances, émis le même jour et revêtu de la formule exécutoire, comportait la signature d'une autre personne, qui bénéficiait d'une délégation pour la signature de ces états pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité de la signature du titre de perception contesté. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi alors qu'il résultait de ses constatations que le titre de perception ne comportait pas les nom, prénom et qualité de la personne ayant signé l'état revêtu de la formule exécutoire, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. 5. En second lieu, il ressort des énonciations du point 9 du jugement du 2 mai 2023 du tribunal administratif de Rennes que les juges du fond ont écarté le moyen tiré par Mme A... de ce que l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en continuant de lui verser sa pension au-delà de la date à laquelle le jugement du 3 octobre 2019 du tribunal administratif de Rennes annulant la décision la radiant des cadres et l'admettant à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité non imputable au service lui a été notifié en se bornant à juger qu'en l'absence de faute de l'Etat, l'intéressée n'était pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice qu'elle estimait avoir subi. Eu égard à la teneur de l'argumentation dont il était saisi, qui faisait notamment valoir que le versement de sa pension s'est poursuivi pendant seize mois après la notification du jugement du 3 octobre 2019, le tribunal a insuffisamment motivé son jugement. 6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que Mme A... est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque. 7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative. D E C I D E : -------------- Article 1er : Le jugement du 2 mai 2023 du tribunal administratif de Rennes est annulé. Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Rennes. Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Copie en sera adressée à la ministre de la culture.ECLI:FR:CECHR:2024:475587.20240403
Conseil d'Etat
CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 08/03/2024, 23MA00351, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 8 août 2019 par laquelle la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie. Par un jugement n° 1904859 du 13 décembre 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête, enregistrée le 12 février 2023, M. A..., représenté par Me Cesari, demande à la Cour : 1°) d'annuler l'article 1er du jugement du 13 décembre 2022 ; 2°) d'annuler la décision du 8 août 2019 ; 3°) d'enjoindre à la société Orange de prendre en charge les arrêts de travail et soins liés à ses pathologies au titre de la maladie professionnelle et de mettre à jour le montant des salaires et mesures connexes pour la période des congés de maladie ordinaire ; 4°) de mettre à la charge de la société Orange une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - la décision contestée est insuffisamment motivée ; - elle méconnaît l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 dès lors que sa maladie et son aggravation sont en lien avec les fonctions exercées pour la société Orange ; - par la décision contestée, la société Orange a statué uniquement sur le refus d'imputabilité de la dorsalgie et de la lombalgie par l'absence de correspondance avec les critères du tableau des maladies professionnelles n° 97 et 98 et ne s'est pas prononcée sur le lien entre ces maladies ou leurs aggravations avec ses fonctions de téléconseiller ; - le lien entre les aggravations de ses maladies résulte du laxisme, voire même des refus délibérés de la société Orange à adapter son poste de travail. Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2023, la société Orange, représentée par l'association d'avocats à responsabilité professionnelle Baker et McKenzie, conclut au rejet de la requête de M. A... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle fait valoir que : - le moyen tiré du défaut de motivation est irrecevable dès lors qu'en première instance, M. A... n'a invoqué que des moyens de légalité interne ; - le juge administratif peut procéder d'office à une substitution de base légale de la décision contestée dès lors que le pouvoir d'appréciation de l'administration est identique lorsqu'elle met en œuvre les dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 et celles de l'article 21 bis de la loi de 1983 et de son décret n° 2019-122 du 21 février 2019, entré en vigueur le 24 février suivant ; - l'autre moyen soulevé par M. A... n'est pas fondé. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code général de la fonction publique ; - l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ; - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ; - le décret n° 2019-122 du 21 février 2019 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Marchessaux ; - les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ; - et les observations de Me Cesari, représentant M. A... et de Me Perche, représentant la société Orange. Considérant ce qui suit : 1. M. A..., agent public de l'Etat, employé par la société Orange depuis 1991, a successivement occupé les postes de promoteur de réseau, de technico-commercial, de responsable gestion de la maintenance immobilière et, en dernier lieu, de téléconseiller. Il a commencé à souffrir d'une lombalgie chronique, diagnostiquée dans les années 1990 qui a évolué en discopathie dégénérative et en arthrose. Le requérant a demandé, le 1er octobre 2018, à la société Orange la reconnaissance de l'imputabilité au service de ses pathologies. La commission de réforme a rendu un avis défavorable le 4 juillet 2019. Par une décision du 8 août 2019, la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service des pathologies dont souffre M. A.... Ce dernier relève appel de l'article 1er du jugement du 13 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 8 août 2019. Sur l'irrecevabilité du moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision en litige : 2. Lorsque, postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge informe les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative cité ci-dessus, que sa décision est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, cette information n'a pas par elle-même pour effet de rouvrir l'instruction. La communication par le juge, à l'ensemble des parties, des observations reçues sur ce moyen relevé d'office n'a pas non plus par elle-même pour effet de rouvrir l'instruction, y compris dans le cas où, par l'argumentation qu'elle développe, une partie doit être regardée comme ayant expressément repris le moyen énoncé par le juge et soulevé ainsi un nouveau moyen. La réception d'observations sur un moyen relevé d'office n'impose en effet au juge de rouvrir l'instruction, conformément à la règle applicable à tout mémoire reçu postérieurement à la clôture de l'instruction, que si ces observations contiennent l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction. 3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... n'a soulevé un moyen de légalité externe que dans sa réponse au moyen relevé d'office par le tribunal, enregistrée le 9 novembre 2022, postérieurement à la clôture d'instruction fixée au 20 mai 2022 à 12h par une ordonnance du 5 mai 2022. Par suite, le moyen de légalité externe tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée qui n'est pas d'ordre public, invoqué pour la première fois devant la Cour, se rattache à une cause juridique distincte de celle afférente aux moyens de légalité interne invoqués en première instance dans le délai du recours contentieux. Il constitue ainsi un moyen nouveau, irrecevable en appel. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : En ce qui concerne les dispositions applicables : 4. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressée ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point. 5. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable avant sa modification par le II de l'article 10 de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants (...). Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; ". 6. Aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, créé par le I de l'article 10 de l'ordonnance précitée du 19 janvier 2017, en vigueur depuis le 21 janvier 2017, et désormais codifié à l'article L. 822-20 du code général de la fonction publique : " I. Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article (...) / IV. -Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. (...) / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. / (...) VI. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités du congé pour invalidité temporaire imputable au service mentionné au premier alinéa et détermine ses effets sur la situation administrative des fonctionnaires (...) ". 7. L'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 étant manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, ces dispositions ne sont donc applicables, s'agissant de la fonction publique de l'Etat, que depuis l'entrée en vigueur, le 24 février 2019, du décret susvisé du 21 février 2019. Il en résulte que les dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017, sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 21 février 2019, soit le 24 février 2019. 8. Dès lors que les droits des agents en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie a été diagnostiquée, la situation de M. A..., dont les pathologies ont été diagnostiquées le 15 janvier 1997, soit avant le 24 février 2019, est régie par les conditions de fond prévues avant l'entrée en vigueur des dispositions législatives et réglementaires relatives au nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, soit celles de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984. 9. Il ressort notamment des motifs de l'arrêté contesté que la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service des pathologies dont souffre M. A..., au visa de la loi du 11 janvier 1984, du décret du 14 mars 1986 et du décret du 4 février 2014 tout en estimant que les pathologies dont ils souffrent ne sont pas imputables au service au motif qu'elles ne correspondent pas aux critères du tableau des maladies professionnelles n° 97 et 98. Il résulte de ce qui vient d'être dit au point 8 que l'arrêté en litige ne pouvait trouver son fondement dans les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Toutefois, le pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité administrative en vertu des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 est le même que celui dont l'investissent les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Les garanties dont sont assortis ces textes sont similaires, M. A... ayant au demeurant bénéficié de la consultation de la commission de réforme qui a émis un avis le 4 juillet 2019. Dans ces conditions, et comme le fait valoir la société Orange, il y a lieu de substituer ces dispositions à la base légale retenue par l'arrêté contesté. En ce qui concerne l'appréciation du caractère imputable au service : 10. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. 11. M. A... a occupé des fonctions de promoteur réseau pour la société orange de 1991 à 1994, de responsable concepteur de 1994 à 1996, de responsable de gestion de maintenance de 1996 à 1998, de chargé d'opération en détachement au conseil général des Alpes-Maritimes puis de téléconseiller depuis 2001. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux produits par le requérant qu'une scoliose lombaire et une hyperlordose lombaire avec une ébauche de discopathie C6-C7 et L3-L4 ont été diagnostiquées le 15 janvier 1997, qu'il a bénéficié d'arrêts maladies en 2007, 2012, 2013, 2014 et 2018 en raison d'une lombalgie aiguë, et que cette dernière a évolué défavorablement en discopathie dégénérative ainsi que cela ressort du résultat de l'IRM du rachis-lombo-sacré daté du 7 mars 2018. Le 4 juillet 2019, la commission de réforme a rendu un avis défavorable à la reconnaissance du lien avec le service des pathologies de dorsalgie et de lombalgie. Si M. A... soutient que dans le cadre de ses fonctions d'agent spécialisé en téléinformatique, il devait transporter et installer des matériels informatiques particulièrement volumineux et lourds à l'aide de chariots élévateurs, les certificats précités ne se prononcent pas sur le lien avec le service de ses pathologies. Les fiches émanant de l'institut national de la recherche et de la sécurité produites par le requérant et indiquant que des travaux de manutention peuvent causer des sciatiques par hernie discale sont des documents généraux qui ne permettent pas d'établir un tel lien. 12. M. A... soutient également que l'aggravation de cette pathologie en discopathie et arthrose est liée à l'absence d'adaptation de son poste par la société Orange. Il ressort des pièces du dossier que dès le 21 juin 2005, le médecin du travail qui l'a examiné dans le cadre d'une visite de reprise a préconisé l'aménagement de son poste de travail par l'installation de l'agent en retrait de l'ambiance sonore du plateau de travail, la fourniture d'un siège récent, plus adapté à sa pathologie, de lui laisser passer la possibilité de passer en position assis-debout, recommandations réitérées le 12 octobre 2005. Il ressort également de ces pièces que la société intimée a procédé à l'aménagement du poste de travail du requérant en mettant en œuvre les recommandations de la médecine du travail par l'acquisition, le 15 octobre 2015, d'un tapis de souris gel, d'un repose poignet gel, de deux écrans identiques par l'inscription en mai 2017 de l'intéressé à une formation " identifier les postures sur écran afin de limiter l'apparition des TMS " et par l'achat d'un bureau réglable en hauteur électrique le 5 novembre 2018 après devis reçu le 23 octobre 2018 et étude de poste du 24 septembre 2018. Ainsi, s'il est constant que la société Orange a mis en place des mesures de protection dix ans plus tard, à partir de 2015 alors que les premières préconisations de la médecine du travail dataient de 2005, il n'est pas établi que les pathologies de M. A... auraient été aggravées par cette mise en œuvre tardive alors que comme dit au point 11, sa lombalgie aiguë a évolué défavorablement en discopathie dégénérative constatée par une IRM du rachis-lombo-sacré du 7 mars 2018. 13. Compte tenu de ce qui a été aux points 10 à 12, il ne ressort pas des pièces du dossier que les pathologies de M. A... présenteraient un lien direct avec l'exercice de ses fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de celle-ci. 14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision 8 août 2019. Sur les conclusions à fin d'injonction : 15. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions à fin d'injonction de M. A.... Sur les frais liés au litige : 16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Orange, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. A... la somme qu'il réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Orange en application desdites dispositions. D É C I D E : Article 1er : La requête de M. A... est rejetée. Article 2 : Les conclusions de la société Orange présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la société Orange. Délibéré après l'audience du 23 février 2024, où siégeaient : - Mme Chenal-Peter, présidente de chambre, - Mme Vincent, présidente assesseure, - Mme Marchessaux, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 mars 2024. N° 23MA00351 2 fa
Cours administrative d'appel
Marseille
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 29/02/2024, 21BX00129, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, sous le n° 1801923 d'annuler la décision du 6 mars 2018 par laquelle la maire de la commune d'Artigues-près-Bordeaux a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle et de condamner la commune à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait d'un harcèlement moral, et sous le n° 1900915 d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2019 par lequel la présidente du centre communal d'action sociale (CCAS) a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, et d'enjoindre sous astreinte à la maire de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie à compter du 18 juin 2014. Par un jugement nos 1801923, 1900915 du 22 septembre 2020, le tribunal a rejeté ses demandes. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 12 janvier 2021 et un mémoire enregistré le 4 août 2021, Mme B..., représentée par Me Noël, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 8 janvier 2019 ; 2°) d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2019 ; 3°) d'enjoindre à la maire d'Artigues-près-Bordeaux de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie à compter du 18 juin 2014 dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ; 4°) de mettre à la charge de la commune d'Artigues-près-Bordeaux le versement au profit de son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Elle soutient que : - l'arrêté est insuffisamment motivé ; - les différents médecins qui l'ont examinée, ainsi que l'expert missionné par la commune, ont tous conclu que son syndrome dépressif était imputable au service ; le refus d'imputabilité méconnaît les dispositions des articles 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - alors qu'elle n'avait jamais présenté d'état dépressif, ses symptômes sont apparus lors du changement de municipalité, lorsqu'elle est " devenue la cible principale " de la maire de et son adjointe chargée du CCAS ; l'expert a retenu un lien direct entre sa pathologie et la maltraitance morale subie dans son travail ; dès le 6 août 2014, la psychologue du service de médecine au travail a indiqué que ses ressources psychologiques ne lui permettaient pas " de faire face au contexte professionnel rapporté et vécu de manière éprouvante " ; le psychiatre consulté le 14 octobre 2014 l'a déclarée inapte à la reprise du travail au poste actuel suite à des conflits professionnels qui entraînent des troubles psychologiques ; le psychiatre qui l'a suivie de février 2015 à juin 2019 a confirmé le caractère professionnel de la maladie par deux certificats du 28 mars 2017 et du 13 octobre 2020, et la commission de réforme a également conclu à l'imputabilité au service ; ainsi, l'arrêté du 8 janvier 2019 est entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2021, la commune d'Artigues-près-Bordeaux, représentée par le cabinet FCA, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle fait valoir que : - la demande de reconnaissance d'imputabilité au service a été présentée le 7 mai 2018, près de quatre ans après les prétendus faits de harcèlement moral qui seraient à l'origine de la maladie ; le tribunal, qui a joint les deux demandes dont Mme B... l'avait saisi, n'a pas retenu de harcèlement moral, ce que la requérante ne conteste pas ; -la décision est suffisamment motivée ; - en vertu de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, il appartient à Mme B..., dont le syndrome dépressif n'est pas inscrit dans les tableaux mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale, d'apporter la preuve que sa pathologie aurait été " essentiellement et directement " causée par l'exercice de ses fonctions ; tel n'est pas le cas dès lors que les conditions de travail n'étaient pas de nature à susciter le développement de l'affection durant la période invoquée de deux mois en 2014, du 15 avril au 17 juin, interrompue par un arrêt de maladie du 21 mars au 14 avril 2017 ; - les certificats médicaux et l'avis de la commission de réforme sont fondés sur les seules déclarations de Mme B.... Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 janvier 2021. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des relations entre le public et l'administration ; - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme A..., - les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique, - et les observations de Me Noël représentant Mme B..., et de Me Cadro, représentant la commune d'Artigues-près-Bordeaux. Considérant ce qui suit : 1. Mme B..., recrutée en septembre 2011 par la commune d'Artigues-près-Bordeaux en qualité de conseillère en action sociale contractuelle et affectée au centre communal d'action sociale, a été titularisée le 1er avril 2013 dans le cadre d'emplois des adjoints administratifs territoriaux. Elle a été placée en congé de maladie à compter du 18 juin 2014, requalifié ultérieurement en congé de longue durée et prolongé jusqu'au 17 juin 2018. Par lettre du 4 janvier 2018, elle a sollicité la protection fonctionnelle et la réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait d'un harcèlement moral, et elle a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision de rejet du 6 mars 2018 et de condamner la commune à lui verser une indemnité de 50 000 euros. Par ailleurs, sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie anxiodépressive, présentée par lettre du 7 mai 2018 en invoquant un " management agressif " par la nouvelle équipe municipale élue en mars 2014, a été rejetée par un arrêté du 8 janvier 2019, dont elle a sollicité l'annulation devant le tribunal administratif de Bordeaux. Le tribunal a joint les demandes et les a rejetées par un jugement du 22 septembre 2020, dont Mme B... relève appel en tant seulement qu'il n'a pas annulé l'arrêté du 8 janvier 2019 portant refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie. 2. En premier lieu, l'arrêté du 8 janvier 2019 vise les textes applicables, indique que la maladie ne figurant pas aux tableaux des maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale, elle ne relève pas de la présomption d'imputabilité, de sorte qu'il appartient à la collectivité d'apprécier si la pathologie anxiodépressive est essentiellement et directement liée au service, et conclut que ce lien n'est pas avéré dès lors que la matérialité des faits (reproches, retraits de la gestion de dossiers, exclusion de réunions, dénigrement) avancés par Mme B... n'est pas établie. Il comporte ainsi les considérations de droit et de fait exigées par les dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. La circonstance que l'expert et la commission de réforme se sont prononcés en faveur d'une reconnaissance de l'imputabilité au service est sans incidence sur la régularité de cette motivation. 3. En deuxième lieu, les droits des agents publics en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie diagnostiquée. Mme B... a été placée en congé de maladie à compter du 18 juin 2014. Par suite, les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 créé par l'article 10 de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017, sur lesquelles l'administration et les premiers juges se sont fondés, ne sont pas applicables à sa situation, et ne peuvent être utilement invoquées. 4. En troisième lieu, l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale applicable au litige prévoit que " si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. " Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. 5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été placée en arrêt de travail à compter du 18 juin 2014 pour un état anxiodépressif progressivement devenu invalidant. Le 6 août 2014, la psychologue du service de médecine du travail qui l'a reçue a rapporté ses plaintes relatives à une dégradation des conditions de travail depuis un changement de direction, à des propos décrédibilisants tenus par une collègue auprès de la hiérarchie, au retrait de dossiers, à une mise à l'écart des instances décisionnaires et à une perte de transmission d'informations. Mme B... a invoqué les mêmes faits devant son psychiatre traitant et devant l'expert psychiatre qui l'a examinée le 25 juillet 2018, après qu'une mise en retraite pour invalidité ait été envisagée. Dans sa demande d'imputabilité au service du 7 mai 2018, elle a affirmé présenter une " lourde dépression réactionnelle " imputable à trois mois de " management agressif " et de " privations " au sein de son emploi par la nouvelle équipe municipale d'Artigues-près-Bordeaux élue en mars 2014. Toutefois, il ressort du rapport hiérarchique établi sur cette demande, illustré par de nombreux échanges de courriels, que Mme B... a été placée en congé de maladie deux mois et demi après la prise de fonctions de la nouvelle équipe municipale, alors que ses relations avec sa hiérarchie étaient restées courtoises, qu'aucun dossier ne lui a été retiré, et que la seule réunion de travail à laquelle elle n'a pas été invitée ne la concernait pas. Si la requérante réitère les mêmes allégations de harcèlement moral en introduction de ses écritures d'appel, elle ne conteste pas le jugement en tant qu'il a rejeté ses demandes d'annulation du refus de protection fonctionnelle et d'indemnisation au motif que la réalité des faits invoqués n'était pas établie. Enfin, alors que son psychiatre précise l'avoir déjà prise en charge " en 2012-2013 pour un tableau identique lors d'une séparation difficile ", ce qui contredit l'expertise selon laquelle elle n'aurait présenté aucun problème sur le plan psychiatrique avant l'épisode en cours, tant l'expertise que les certificats médicaux produits se bornent à rapporter ses doléances quant au contexte professionnel et à une " maltraitance morale ". Dans ces circonstances, la maladie de Mme B... ne peut être regardée comme présentant un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à en susciter le développement, et l'arrêté du 8 janvier 2019 n'est pas entaché d'erreur d'appréciation. 6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées. 7. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge de Mme B... au titre des frais exposés par la commune d'Artigues-près-Bordeaux à l'occasion du présent litige. DÉCIDE : Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée. Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Artigues-près-Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à la commune d'Artigues-près-Bordeaux. Délibéré après l'audience du 6 février 2024 à laquelle siégeaient : Mme Catherine Girault, présidente, Mme Anne Meyer, présidente-assesseure, M. Olivier Cotte, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024. La rapporteure, Anne A... La présidente, Catherine GiraultLa greffière, Virginie Guillout La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 21BX00129
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 08/03/2024, 22MA02644, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 551 430,95 euros en indemnisation des préjudices non réparés et subis du fait de l'accident dont il a été victime le 5 octobre 2012. Par un jugement n° 2000965 du 4 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à lui verser la somme de 202 921 euros. Procédure devant la Cour : Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2022, M. A..., représenté par la SELARL Consolin Zanarini, demande à la Cour : 1°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 540 358,20 euros ; 2°) de réformer en conséquence le jugement du 4 octobre 2022 ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - l'imputabilité de l'accident au service est établie ; - il a dès lors droit à la réparation de ses préjudices personnels non réparés par la pension d'invalidité ; - en outre, l'Etat a commis une faute à l'origine de l'accident ; un tiers a nécessairement omis de déconnecter un boitier télécommandé relié à une charge ; cela traduit une faute dans l'organisation du service ; - il a ainsi droit à la réparation intégrale de l'ensemble de ses préjudices, y compris l'incidence professionnelle et le déficit fonctionnel temporaire et permanent, au-delà de la pension allouée ; - s'agissant des autres préjudices, leur détermination ne peut intervenir par référence à un barème ; les souffrances, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel et l'assistance par tierce personne ont été sous-évalués par le tribunal administratif. Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code de l'action sociale et des familles ; - le code de la défense ; - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le décret n° 2024-2 du 2 janvier 2024 relatif au montant minimal mentionné au 1° du I de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles ; - les arrêtés interministériels des 30 décembre 2021 et 30 décembre 2022 relatifs au tarif minimal mentionné au I de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles et fixant son montant pour les années 2022 et 2023 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Poullain, - les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public, - et les observations de Me Portehault, substituant la SELARL Consolin Zanarini, représentant M. A.... Considérant ce qui suit : 1. M. A..., sergent-chef, affecté au 21ème régiment d'infanterie de marine, a subi de graves brûlures à la suite de l'explosion dans son bureau d'un artifice de simulation le 5 octobre 2012. M. A... a obtenu le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 100 % ainsi que d'une allocation grand invalide, depuis le 3 janvier 2013. Il a également présenté une demande d'indemnisation des préjudices subis, qui a été rejetée implicitement par le ministre chargé de la défense puis par la commission des recours militaires. Il relève appel du jugement du 4 octobre 2022, par lequel le tribunal administratif de Toulon a limité la condamnation qu'il a mise à la charge de l'Etat à la somme de 202 921 euros. Sur la responsabilité pour faute : 2. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la défense : " Les militaires bénéficient des régimes de pensions ainsi que des prestations de sécurité sociale dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et le code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / (...) ". 3. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où l'accident serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité. 4. Pour déterminer si l'accident de service ayant causé un dommage à un militaire est imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, de sorte que ce militaire soit fondé à engager une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale par l'Etat de l'ensemble du dommage, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de rechercher si l'accident est imputable à une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service. 5. En l'espèce, M. A... indique que l'accident est survenu alors que, chargé de préparer des explosifs de simulation, il vérifiait les piles des boitiers télécommandés destinés à les déclencher à distance. A supposer qu'ainsi que l'intéressé le soutient, l'accident n'aurait été rendu possible que par l'erreur commise par un autre militaire, qui aurait préalablement omis de déconnecter un boitier à sa charge explosive, il n'en résulterait pas pour autant une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service, de nature à engager la responsabilité de l'Etat. M. A..., qui se borne à regretter l'absence de production d'une enquête de gendarmerie, ne se prévaut d'aucune circonstance qui caractériserait une telle faute. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes tendant à obtenir une indemnisation complémentaire de ceux de ses préjudices déjà réparés par sa pension militaire d'invalidité, à savoir ses pertes de revenus, l'incidence professionnelle de l'accident ainsi que le déficit fonctionnel dont il a souffert à titre temporaire et dont il se trouve atteint de façon permanente. Sur la responsabilité sans faute : 6. M. A... a droit, sur le fondement de la responsabilité sans faute, à la réparation des autres préjudices que ceux que la pension militaire d'invalidité qu'il perçoit a pour objet de réparer, à savoir, comme il les liste lui-même dans ses écritures, les souffrances éprouvées avant la consolidation, le préjudice esthétique, le préjudice sexuel, le préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, ainsi que les frais afférents à l'assistance par une tierce personne dès lors que le requérant ne bénéficie pas des dispositions de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicables. En ce qui concerne les préjudices personnels : 7. Il y a lieu, s'agissant des souffrances et des préjudices esthétiques, eu égard aux circonstances de l'espèce telles que décrites par le tribunal administratif aux points 10 à 13 de son jugement, de retenir les montants justement fixés par la juridiction de première instance aux sommes respectives de 27 000 et 23 000 euros. 8. Il n'est pas contesté que M. A... subit un préjudice sexuel du fait des séquelles qu'il conserve de l'accident, l'expert missionné par le tribunal ayant relevé une perte de libido et l'absence de toute activité sexuelle. Alors qu'il était âgé de seulement 40 ans à la date de la consolidation de son état de santé, le 16 février 2016, il y a lieu d'allouer au requérant la somme de 10 000 euros qu'il demande à ce titre. 9. Il résulte par ailleurs de l'instruction que M. A... subit, en raison de l'invalidité imputable au service, des gènes pour la pratique de multiples activités de loisirs, culturelles, en particulier le chant et la guitare, ainsi que sportives, dès lors qu'il souffre d'une baisse de la mobilité, particulièrement des mains, et d'une sensation d'essoufflement. Dans ces circonstances, quand bien même il ne produit pas d'attestation justifiant de l'importance de ces pratiques dans son quotidien avant l'accident, ce préjudice sera justement réparé en lui allouant une somme de 10 000 euros à cet égard. En ce qui concerne l'assistance par une tierce personne : 10. Pour les motifs exposés par le tribunal administratif au point 20 de son jugement, il y a lieu de retenir que M. A... a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne non spécialisée durant 1 591 heures entre la date de l'accident et la date de la consolidation de son état de santé, ainsi que s'en accordent d'ailleurs les parties. En tenant compte de la valeur moyenne du salaire minimum interprofessionnel de croissance sur la période considérée, augmentée des charges sociales incombant à l'employeur, il sera fait une juste appréciation du préjudice qui en a résulté pour M. A... en l'indemnisant selon un taux horaire de 13 euros et en retenant en base de calcul une année de 412 jours afin de tenir compte des congés payés et jours fériés. L'intéressé n'apporte aucun élément de nature à justifier que le coût de cette assistance soit fixé à un taux supérieur, estimé selon lui à 23 euros. Dès lors, il y a lieu de fixer le montant en cause à la somme de 23 348 euros. 11. A partir du 16 février 2016, date de la consolidation de l'état de santé du requérant, l'expert a évalué les besoins d'assistance de M. A... à 4 heures par semaine, représentant 0,57 heures par jour. M. A... ne fait état d'aucune circonstance qui justifierait que soient retenus des taux horaires supérieurs à 13 euros jusqu'au 31 décembre 2017, 14 euros jusqu'au 31 décembre 2020 et 15 euros jusqu'au 31 décembre 2021, en calculant l'indemnisation sur la base de 412 jours par an pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent. A partir du 1er janvier 2022, il y a lieu de retenir le montant minimal mentionné au 1° du I de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles, de 22 euros pour l'année 2022, 23 euros pour l'année 2023 et 23,50 euros pour l'année 2024, sur la base de 365 jours par an dès lors que cette moyenne horaire est réputée intégrer l'ensemble des charges sociales ainsi que les droits à congés payés des salariés. Il y a ainsi lieu d'allouer la somme de 29 397 euros à M. A... pour l'indemnisation de son préjudice jusqu'à la lecture du présent arrêt. Postérieurement à cette lecture, il y a lieu de retenir un montant annuel, selon les mêmes modalités de calcul, de 4 889,18 euros, et de capitaliser cette somme par application du coefficient de 33,002 issu du barème 2022 de la gazette du palais à taux d'actualisation nul et correspondant à la rente versée à un homme de 48 ans, soit l'âge approximatif de M. A... à la date du présent arrêt. L'indemnité destinée à couvrir le préjudice futur doit ainsi être arrêtée à la somme de 161 353 euros. 12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander que l'indemnité que le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser soit portée à la somme totale de 284 098 euros. Il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué. Sur les frais liés au litige : 13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D É C I D E : Article 1er : La somme de 202 921 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. A... par le jugement du tribunal administratif de Toulon du 4 octobre 2022 est portée à 284 098 euros. Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 4 octobre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt. Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre des armées et à la caisse nationale militaire de sécurité sociale. Délibéré après l'audience du 23 février 2024, à laquelle siégeaient : - Mme Chenal-Peter, présidente de chambre, - Mme Vincent, présidente assesseure, - Mme Poullain, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2024. 2 N° 22MA02644 fa
Cours administrative d'appel
Marseille
CAA de LYON, 5ème chambre, 07/03/2024, 22LY02203, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler, le cas échéant après expertise, la décision du 28 septembre 2020 du directeur général des Hospices civils de Lyon portant refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie. Par un jugement n°2101408 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Procédure devant la cour Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2022, Mme C..., représentée par Me Braillard, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du 3 juin 2022 et faire droit à sa demande de première instance ; 2°) d'enjoindre au directeur général des Hospices civils de Lyon de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie dans un délai d'un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; 3°) de mettre à la charge des Hospices civils de Lyon la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la décision du 28 septembre 2020 est entachée d'un défaut de motivation au regard des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ; - elle est fondée à se prévaloir de la présomption instituée au IV de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 dès lors que le syndrome canalaire du nerf ulnaire dans la gouttière epithochléo-oléocranienne figure au tableau des maladies professionnelles ; en tout état de cause, sa pathologie présente un lien direct et exclusif avec ses fonctions. Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2022, les Hospices civils de Lyon, représentés par Me Walgenwitz, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de l'appelante la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils font valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés. Une ordonnance du 4 septembre 2023 a fixé la clôture de l'instruction au 5 octobre 2023. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; - la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ; - le code des relations entre le public et l'administration ; - le code de la sécurité sociale ; - le code de justice administrative. Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère, - et les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. Mme C..., adjointe administrative employée par les Hospices civils de Lyon (HCL) en qualité de secrétaire, relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 septembre 2020 par laquelle le directeur général des HCL a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'épicondylite bilatérale dont elle souffre et qui a justifié son placement en congé de maladie à compter du 5 novembre 2018. 2. En premier lieu, la décision du 28 septembre 2020 du directeur général des Hospices civils de Lyon vise les textes applicables notamment la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 modifiée ainsi que les avis rendus par la commission de réforme le 10 septembre 2020 et le 3 juin 2020 par le médecin agréé du service de médecine statutaire. Elle mentionne que " l'exposition au risque n'est pas démontrée " et " l'absence de lien direct et certain entre la pathologie et le poste de travail " pour conclure à l'article 1er que la maladie de Mme C... n'est pas reconnue imputable au service. La décision attaquée précise les motifs de droit et de fait sur lesquels l'autorité compétente s'est fondée pour l'édicter. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté. 3. En deuxième lieu, l'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issues de l'ordonnance du 19 janvier 2017, était manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant, notamment, les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service. En conséquence, ces dispositions ne sont entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique hospitalière, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 16 mai 2020, du décret du 13 mai 2020 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique hospitalière. Ces dispositions n'étant pas applicables à la date de la survenance de l'accident que Mme C... invoque et de la décision en litige, cette dernière ne saurait utilement s'en prévaloir. 4. En dernier lieu, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 dans sa version applicable au litige, relatif à une pathologie constatée avant l'entrée en vigueur, le 16 mai 2020, de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales ". Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. 5. Mme C... soutient que le syndrome canalaire du nerf ulnaire dans la gouttière épithrochléo-oléocranienne confirmé par électromyogramme qui lui a été diagnostiqué en novembre 2018 est en lien direct avec les fonctions de secrétaire qu'elle exerce au sein des Hospices civils de Lyon depuis le 1er juillet 2002 et qui nécessite des gestes répétés. Elle produit plusieurs documents médicaux, dont des certificats et comptes rendus faisant état de sa pathologie, mais qui n'attestent pas d'un lien entre celle-ci et les fonctions exercées par l'intéressée. Seuls les certificats du docteur E..., médecin traitant de Mme C..., notamment celui établi le 23 décembre 2020, concluent que la pathologie présentée est liée aux " gestes répétitifs du poste de travail, travail bureautique avec parfois des comptes rendus écrits plus de 4 heures d'affilée ainsi qu'un appui prolongé sur la face postérieure du coude et des mouvements répétitifs ". Toutefois, il ressort du rapport d'expertise médicale du 3 juin 2020 du docteur A..., médecin agréé du service de médecine statutaire, rendu préalablement à l'avis émis par la commission de réforme le 10 septembre 2020 qui a conclu à l'absence de lien entre le service et la pathologie présentée, que les fonctions exercées par la requérante ne nécessitent pas un appui prolongé sur les coudes si bien qu'il " semble bien difficile dans ces conditions de pouvoir reconnaitre Madame C... au titre de la maladie professionnelle. " Il ressort en outre de la fiche de poste de Mme C..., produite au dossier, que ses fonctions impliquent certes un travail de bureautique mais incluent également d'autres missions telles que l'accueil et l'orientation des visiteurs, ou encore le classement et l'archivage lesquelles ne nécessitent pas un appui prolongé de la face postérieure des coudes. Enfin, une autre expertise réalisée par le docteur D..., rhumatologue, réalisée le 6 mai 2021 à la suite du recours gracieux exercé par Mme C..., postérieure à la décision en litige mais qui révèle un état antérieur, a dans le même sens conclu qu'" une étude ergonomique du poste est demandée pour statuer car, en l'état actuel, on ne peut établir de lien direct unique et certain entre l'activité professionnelle de la patiente et la pathologie présentée. " Dans ces conditions, et alors que ces éléments ne permettent pas d'établir de lien direct entre le service et la pathologie développée par la requérante, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée du 28 septembre 2020 par laquelle le directeur général des Hospices civils de Lyon a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie serait entachée d'une erreur d'appréciation. 6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit utile d'ordonner une expertise médicale, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte doivent par voie de conséquence être rejetées. Sur les frais liés au litige : 7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les Hospices civils de Lyon, qui n'ont pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, versent à Mme C... la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'appelante une somme au titre des mêmes dispositions. DECIDE : Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée. Article 2 : Les conclusions présentées par les Hospices civils de Lyon tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et aux Hospices civils de Lyon. Délibéré après l'audience du 15 février 2024 à laquelle siégeaient : Mme Dèche, présidente, Mme Burnichon, première conseillère, Mme Rémy-Néris, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mars 2024. La rapporteure, V. Rémy-Néris La présidente, P. Dèche La greffière, A-C. Ponnelle La République mande et ordonne au ministre de la transformation et la fonction publiques en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, La greffière, 2 N°22LY02203 kc
Cours administrative d'appel
Lyon