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CAA de TOULOUSE, 3ème chambre, 27/05/2025, 23TL02343, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme G... J..., veuve A..., MM. D... et C... A... et Mmes F... et E... A... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'État à leur verser la somme globale de 146 427 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de leur époux, père et grand-père. Par une ordonnance n° 2203277 du 25 juillet 2023, le président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Procédure devant la cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 septembre 2023 et le 22 avril 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme G... J..., veuve A..., MM. D... et C... A... et Mmes F... et E... A..., représentés par Me Labrune, demandent à la cour : 1°) d'annuler cette ordonnance du président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Toulouse du 25 juillet 2023 ; 2°) de condamner l'État à leur verser la somme globale de 146 427 euros, assortie des intérêts à taux légal à compter du 14 février 2022, date de leur demande préalable, et de leur capitalisation ; 3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que : En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée : - l'ordonnance attaquée est irrégulière dès lors que leur demande a été rejetée sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative sans invitation préalable à la régulariser dans les conditions prévues à l'article R. 612-1 du code de justice administrative ; - ils produisent la preuve du dépôt de leur demande préalable indemnitaire, à savoir l'accusé de réception par le ministre, de cette demande. En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale opposée en défense : - leur créance n'est pas prescrite dès lors que le délai de prescription quadriennale n'a pu commencer à courir qu'à compter du jour où ils ont disposé d'informations suffisantes selon lesquelles la pathologie qui a entraîné le décès de leur époux, père et grand-père pouvait être imputable à l'État ; or, le caractère radio-induit du cancer qui a entraîné le décès de H... A... n'a été reconnu que par un jugement du tribunal administratif de Toulouse du 22 novembre 2017, et ce n'est que le 5 septembre 2018 que le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires leur a adressé une proposition d'indemnisation d'un montant de 35 509 euros au titre de l'action successorale ; dès lors le délai de prescription quadriennale a été interrompu, en application du 5ème alinéa de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, par la demande faite à l'État de verser les sommes dues et un nouveau délai de quatre ans a commencé à courir à la suite de la décision de ce comité au cours duquel ils sont saisi le ministre des armées d'une demande préalable. En ce qui concerne le bien-fondé de leur créance : - indépendamment de l'action successorale ouverte par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ils sont fondés, en qualité de victimes par " ricochet ", à engager la responsabilité pour faute de l'État en vue d'obtenir la réparation intégrale des préjudices qu'ils ont subis du fait du décès de H... A... des suites d'un cancer dont le caractère radio-induit a été admis ; - il existe un lien de causalité direct et essentiel entre le cancer développé par H... A... et les rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français, le myélome étant inscrit dans la liste publiée annexée au décret d'application n° 2010-653 du 11 juin 2010 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 précitée ; - l'État a commis une carence fautive lors de l'exposition de H... A... aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires en ne prenant pas les mesures nécessaires pour le protéger contre les risques liés à ces rayonnements et prévenir l'apparition de la maladie qui a causé son décès ; en particulier, H... A... n'a bénéficié d'aucune protection individuelle contre les risques auxquels il était exposé, d'aucune formation spécifique en matière de radioprotection, d'aucune information sur les risques encourus tandis que la surveillance radiobiologique mise en œuvre était insuffisante au regard de l'ensemble de ses conditions concrètes d'exposition ; - les mesures de sécurité mises en œuvre lors des campagnes d'expérimentations nucléaires étaient aléatoires et insuffisantes, la surveillance dont l'intéressé a bénéficié sur site se limitant au port de deux dosimètres au cours de son mois d'affectation ; en dépit de sa présence en zone contrôlée le 1er mai 1962, jour de l'accident lié à l'essai souterrain dit " B... ", il n'a jamais bénéficié d'un examen de contamination interne complet et fiable, en particulier il n'a subi aucune anthropogammamétrie, ni analyse des urines de 24 heures, ni analyse des selles ; - ils sont fondés à demander la réparation de leurs préjudices extra-patrimoniaux et patrimoniaux du fait du traumatisme consécutif à la maladie qui a entraîné le décès de H... A... dans les conditions suivantes : * s'agissant de Mme G... A..., épouse de H... A... : 30 000 euros au titre de son préjudice moral d'affection, 20 000 euros au titre de son préjudice moral d'accompagnement et 6 388,39 euros au titre des frais d'obsèques exposés pour le décès de son conjoint ; * s'agissant de MM. D... et C... A..., fils de H... A... : 30 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral d'affection et 5 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral d'accompagnement ; * s'agissant de Mmes F... et E... A..., petites-filles de H... A... : 10 000 euros chacune au titre de leur préjudice moral d'affection. Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il soutient, en se référant à ses écritures de première instance, que : À titre principal, la créance dont se prévalent les consorts A... était prescrite en application de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 : - la créance des appelants était définitivement prescrite au plus tard le 1er janvier 2017, lorsqu'ils ont saisi le ministère des armées d'une demande d'indemnisation le 14 février 2022 ; - Mme G... A... ayant eu connaissance de l'existence de sa créance au jour du décès de son époux, le point de départ de la prescription doit être fixé au 1er janvier 2011 ; subsidiairement, le point de départ de la créance en litige pourrait être fixé au 1er janvier 2013, l'intéressée disposant d'indications suffisantes lui permettant d'imputer le décès de son époux au fait de l'État lorsqu'elle a saisi le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires d'une demande d'indemnisation en sa qualité d'ayant-droit de son époux décédé ; - en tout état de cause, les fils et petites-filles des époux A... ne peuvent être regardés comme ignorant l'origine du dommage qu'ils estiment avoir subi en qualité de victimes indirectes dès lors, d'une part, que les enfants du défunt étaient majeurs et présents aux côtés de leur père durant le diagnostic de sa pathologie et tout au long de sa maladie et, d'autre part, qu'il est impossible que Mme G... A... n'ait pas exposé à son entourage familial la teneur et les motifs des démarches entreprises auprès du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ; - le droit à réparation des préjudices propres d'une personne décédée transmis à ses ayants-cause lors de son décès dans le cadre de l'action successorale, et le droit à réparation des préjudices propres des ayants-droit et des victimes indirectes, constituant des créances distinctes fondées sur des faits générateurs distincts, la proposition d'indemnisation formulée par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a seulement eu pour effet d'interrompre le cours de la prescription quadriennale à l'égard de la créance née de l'action successorale exercée par Mme G... A.... À titre subsidiaire, il n'existe pas de lien de causalité direct et certain entre la pathologie du défunt et son exposition aux rayonnements ionisants durant son affectation au Sahara : - les consorts A... ne peuvent se prévaloir ni de la présomption d'imputabilité instituée à l'article 2 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 dans le cadre de leur demande d'indemnisation fondée sur le droit commun de la responsabilité ni de la seule circonstance que la pathologie du défunt figure dans la liste issue du décret d'application n° 2014-1040 du 15 septembre 2014, une simple présomption n'étant pas de nature à établir l'existence d'un lien de causalité direct entre cette maladie et l'exposition aux rayonnements ionisants ; - les appelants ne peuvent davantage se prévaloir de l'article L. 121-2-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre pour établir l'imputabilité de la maladie de H... A... à son activité de service dès lors que ces dispositions instituent une simple présomption d'imputabilité applicable seulement en matière d'appréciation des droits à pension ; - la maladie présentée par H... A... n'a été diagnostiquée qu'en 2008, soit 46 ans après son départ des sites d'expérimentation des essais nucléaires, de sorte que la seule circonstance selon laquelle il ne présentait aucun antécédent médical ou personnel est insuffisante pour caractériser l'existence d'un lien direct avec sa maladie et son exposition aux rayons ionisants. Par une ordonnance du 25 mars 2025, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 25 avril 2025 à 12 heures. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ; - la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme El Gani-Laclautre, première conseillère, - et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. M. H... A... a été affecté, en tant que personnel du ministère de la défense, du 20 avril au 26 mai 1962, au centre d'expérimentations nucléaires des Oasis à In Amguel en Algérie (Sahara). Au cours de cette période, un essai nucléaire y a été réalisé par la France. En 2008, M. A... a été atteint d'un myélome, dont il est décédé le 21 mars 2010. Par une lettre du 30 juillet 2012, Mme G... A... née J..., sa veuve agissant en qualité d'ayant-droit, a saisi le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires d'une demande tendant l'indemnisation des préjudices subis par son défunt époux sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Par une décision du 1er octobre 2014, le ministre des armées a rejeté cette demande. Par un jugement n° 1402903 du 22 novembre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision du 1er octobre 2014 et enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de proposer à Mme G... A... une indemnisation tendant à la réparation intégrale des préjudices subis par son défunt mari. Par une lettre du 5 septembre 2018, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a adressé une proposition d'indemnisation de 35 509 euros au titre de l'action successorale. Par une lettre du 14 février 2022, Mme G... A..., MM. D... et C... A... et Mmes F... et E... A..., respectivement veuve, fils et petites-filles de H... A..., ont saisi le ministre des armées d'une demande tendant à l'indemnisation des préjudices propres qu'ils estiment avoir subis en tant que victimes indirectes du fait du décès de leur époux, père et grand-père. Le silence gardé par le ministre des armées sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Les consorts A... relèvent appel de l'ordonnance du 25 juillet 2023 par laquelle le président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté comme manifestement irrecevable leur demande tendant à la condamnation de l'État à leur verser la somme globale de 146 427 euros en réparation des préjudices propres qu'ils estiment avoir subis à la suite du décès de leur époux, père et grand-père, H... A.... Sur la régularité de l'ordonnance attaquée : 2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué ou, dans le cas mentionné à l'article R. 421-2, de la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation ". En application de ces dispositions, la requête est irrecevable en l'absence de production soit de la décision attaquée ou d'un document en reprenant le contenu, soit de l'accusé de réception de la réclamation adressée à l'administration ou de toute autre pièce permettant d'établir une telle réception. À défaut de production de tels éléments à l'appui de la requête, cette irrecevabilité est susceptible d'être régularisée par la production en cours d'instruction de ces mêmes justificatifs, y compris le cas échéant après l'expiration du délai de recours contentieux. 3. D'autre part, en vertu des deux premiers alinéas de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et, lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. 4. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif. Toutefois, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision. 5. En second lieu, aux termes de l'article R. 612-1 du code de justice administrative : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. (...) / La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours. La demande de régularisation tient lieu de l'information prévue à l'article R. 611-7 ". Aux termes de l'article R. 222-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; (...) ". 6. Les requêtes manifestement irrecevables qui peuvent être rejetées par ordonnance en application de ces dernières dispositions sont, d'une part, celles dont l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte, d'autre part, celles qui ne peuvent être régularisées que jusqu'à l'expiration du délai de recours, si ce délai est expiré et, enfin, celles qui ont donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l'informant des conséquences qu'emporte un défaut de régularisation comme l'exige l'article R. 612-1 du code de justice administrative, est expiré. 7. En revanche, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, le mémoire dans lequel une partie adverse a opposé une fin de non-recevoir. En pareil cas, à moins que son auteur n'ait été invité à la régulariser dans les conditions prévues à l'article R. 612-1 du code de justice administrative, la requête ne peut être rejetée pour irrecevabilité que par une décision prise après audience publique. 8. Il ressort des pièces du dossier que dans son mémoire en défense enregistré le 23 juin 2023 devant le tribunal administratif, le ministre des armées a opposé une fin de non-recevoir tirée de l'absence de liaison du contentieux au motif que si les consorts A... s'étaient prévalus d'une demande indemnitaire adressée par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 février 2022, ils ne justifiaient ni de l'envoi ni de la réception de cette lettre. Le même jour, le greffe du tribunal a communiqué ce mémoire aux consorts A... en les invitant à produire, le cas échéant, leurs observations. Toutefois, cette communication ne comportait ni d'invitation à régulariser la requête, en produisant notamment la preuve de l'envoi de la demande préalable, ni d'indication sur les conséquences susceptibles de s'attacher à l'absence de régularisation dans le délai imparti. Par suite, en se fondant sur les dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative pour rejeter la requête des consorts A... comme manifestement irrecevable, le président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Toulouse a, compte tenu de la règle rappelée au point précédent, entaché son ordonnance d'irrégularité, alors même que les consorts A... avaient été mis en mesure de répondre à la fin de non-recevoir opposée en défense. Dès lors, cette ordonnance doit être annulée. 9. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par les consorts A... devant le tribunal administratif de Toulouse. Sur l'exception de prescription quadriennale opposée en défense : 10. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État (...) et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". L'article 2 de la même loi dispose que : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; / Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n'a pas été exactement désigné. / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". 11. Il résulte de ces dispositions que, s'agissant des créances recouvrant les conséquences d'une exposition aux rayonnements ionisants, le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle le créancier est en mesure, d'une part, de connaître le dommage dans sa réalité et son étendue et, d'autre part, de connaître l'origine de ce dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration. 12. M. H... A... étant décédé le 21 mars 2010, l'ampleur et le caractère définitif des conséquences dommageables dont les consorts A... demandent réparation pour eux-mêmes doivent être regardés comme connus à cette date. Il résulte de l'instruction que Mme J... veuve A... a saisi le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, le 30 juillet 2012, d'une demande d'indemnisation, en sa qualité d'ayant-droit de son époux décédé, des préjudices subis par ce dernier en raison de son exposition aux rayons ionisants résultant des essais nucléaires français sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Dans ces conditions, à la date de cette demande d'indemnisation devant le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, Mme J... veuve A... doit être regardée comme ayant eu connaissance d'indications suffisantes selon lesquelles le dommage personnel qu'elle a subi en qualité d'épouse de M. H... A... pouvait être imputable au fait de l'État. Il résulte également de l'instruction, en particulier des attestations sur l'honneur produites à l'appui de leur requête et des liens familiaux existants entre les consorts A..., que MM. C... et D... A..., fils majeurs de M. H... A..., agissant tant en leur nom propre qu'en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs F... et E..., s'agissant de M. D... A..., doivent également être regardés comme ayant eu connaissance d'indications suffisantes selon lesquelles les dommages personnels qu'ils ont subis, en leur qualité respective de fils et petites-filles de M. H... A..., pouvaient être imputables au fait de l'État au plus tard le 30 juillet 2012. Ainsi, le délai de prescription quadriennale ayant couru à compter du 1er janvier 2013, la réparation des préjudices personnels subis par les consorts A... ne pouvait être demandée que dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, soit jusqu'au 31 décembre 2016. 13. Si les consorts A... se prévalent de l'effet interruptif attaché au jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1402903 du 22 novembre 2017 et à la proposition d'indemnisation formulée par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires le 5 septembre 2018, ces actes et cette décision de justice afférents à la réparation des préjudices propres de M. H... A... se rapportent à la seule créance née de l'action successorale suivant le décès de l'intéressé, laquelle est distincte des créances en litige tendant à la réparation des préjudices propres des appelants, et procède ainsi d'une cause juridique différente. Par suite, la saisine du tribunal et la proposition d'indemnisation formulée par le comité d'indemnisation n'ont pas interrompu le cours de la prescription quadriennale. Or, les appelants n'ont sollicité l'indemnisation de leurs préjudices personnels résultant du décès de leur époux, père et grand-père que par une lettre recommandée avec accusé de réception du 14 février 2022 et n'ont accompli aucun acte interruptif pendant le délai de prescription quadriennale, laquelle était acquise, ainsi qu'il a été dit, le 31 décembre 2016. 14. Les créances indemnitaires invoquées par l'épouse, les fils et petites-filles de M. H... A... en réparation des préjudices personnels qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de ce dernier étant prescrites au 31 décembre 2016, en application du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, l'exception de prescription quadriennale opposée en défense par le ministre des armées doit, dès lors, être accueillie. 15. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de liaison du contentieux, la demande présentée par les consorts A... devant le tribunal administratif de Toulouse doit être rejetée ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions présentées par les intéressés, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, tant en première instance qu'en appel. DÉCIDE: Article 1 : L'ordonnance du président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Toulouse n° 2203277 du 25 juillet 2023 est annulée. Article 2 : La demande présentée par les consorts A... devant le tribunal administratif de Toulouse et le surplus des conclusions de leur requête d'appel sont rejetés. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... J... veuve A..., à M. D... A..., à M. C... A..., à Mme F... A..., à Mme E... A... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient : M. Faïck, président, M. Bentolila, président-assesseur, Mme El Gani-Laclautre, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025. La rapporteure, N. El Gani-LaclautreLe président, F. Faïck La greffière, C. Lanoux La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 23TL02343
Cours administrative d'appel
Toulouse