Cour administrative d'appel de Paris, 3e chambre, du 23 septembre 1997, 95PA00722, inédit au recueil Lebon
(3ème Chambre)
VU, enregistrée au greffe de la cour le 24 mars 1995, la requête déposée pour Mme Marie-Hélène Y... épouse LE POGAM, demeurant ..., M. Laurent Z..., demeurant ... et Melle Gwenaëlle Z..., demeurant ..., représentés par la SCP NATIVI ET ASSOCIES, avocat ; les CONSORTS Z... demandent à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9200680/3, 9200681/3 et 9200682/3 du 8 juin 1994 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant, d'une part, à déclarer l'Etat responsable du préjudice que leur a causé le décès de leur époux et père, M. Henri Z..., survenu le 27 avril 1991 à l'hôpital d'instruction des armées Bégin à Saint-Mandé et, d'autre part, à le condamner à verser aux requérants la somme de 1.000 000 F en réparation des conséquences dommageables ainsi que la somme de 20.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
2 ) de condamner l'Etat à verser respectivement à chacun des demandeurs la somme de 1.000 000 F ;
3 ) d'ordonner subsidiairement la nomination d'un expert ;
4 ) en dernier lieu, de condamner l'Etat à leur verser la somme de 50.000 F au titre des frais irrépétibles ;
VU les autres pièces jointes au dossier ;
VU la loi n 73-662 du 13 juillet 1972 ;
VU le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 septembre 1997 :
- le rapport de M. VINCELET, conseiller,
- les observations de la SCP NATIVI et associés, avocat, pour Mme Z... et autres,
- et les conclusions de Mme HEERS, commissaire du Gouvernement ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant que l'adjudant-chef Z... est entré à sa demande, le 22 avril 1991, à l'hôpital d'instruction des armées Bégin, en raison de graves troubles dépressifs ; qu'il résulte de l'instruction que l'intéressé, décrit comme "dépressif majeur" par le médecin du service de santé des armées, avait subi plusieurs hospitalisations depuis l'année 1987, dont la dernière dans le service psychiatrique de l'établissement susmentionné, du 28 février au 8 mars 1991 ; qu'en outre, entre ces séjours, il était soigné selon la méthode ambulatoire par un traitement antidépresseur et anxiolytique associé ; qu'il avait, d'ailleurs, à de nombreuses reprises, exprimé ses tendances suicidaires, lesquelles étaient connues du personnel hospitalier ; que, dans ces conditions, le fait que M. Z..., dont la médication venait d'être modifiée et n'avait pas encore révélé ses effets, ait été placé dans une chambre au second étage de l'établissement, dont la fenêtre était dépourvue de dispositif de sécurité permettant d'en empêcher l'ouverture par le malade et sans aucune surveillance particulière, constitue une faute dans l'organisation du service, en relation directe avec son décès consécutif à sa défenestration dans la nuit du 24 au 25 avril 1991 ; que cette faute est de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers ses ayants-droits ; que les requérants sont dès lors fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande, en raison de l'absence de faute de service ; qu'il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions indemnitaires des intéressés ;
Sur les droits à réparation des requérants :
En ce qui concerne Mme veuve Z... :
Considérant que les obligations dont l'Etat est tenu en ce qui concerne les droits ouverts aux veuves et orphelins des militaires dont le décès a été causé par des blessures reçues ou des maladies contractées ou aggravées par le fait ou à l'occasion du service, sont définis par le code des pensions civiles et militaires d'invalidité et des victimes de guerre dont les dispositions ouvrent seulement droit à la concession d'une pension, à l'exclusion de toute indemnité pour faute du service public ;
Considérant que M. Z..., militaire de carrière, était tributaire de ces dispositions ; que son décès, survenu dans les circonstances susrelatées et dont sa veuve a demandé réparation, est imputable au défaut de surveillance du personnel de l'hôpital militaire et doit être regardé comme le fait du service de santé des armées ; que, par suite, Mme veuve Z... ne saurait avoir d'autres droits à réparation que ceux résultant du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; que, dès lors, elle n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre l'Etat et fondées sur le droit commun de la responsabilité de la puissance publique ;
En ce qui concerne X... et Gwenaëlle Z... :
Considérant qu'à la date d'introduction de leur demande devant le tribunal administratif, les enfants de la victime étaient âgés de plus de dix-huit ans ; qu'ils n'étaient plus, par suite, des orphelins au sens du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; qu'ainsi, les intéressés, dont les dispositions de ce code ne leur sont pas opposables, sont fondés à demander à l'Etat, réparation du préjudice résultant du décès de leur père ; que M. Laurent Z... et Melle Gwenaëlle Z... étaient respectivement âgés de 21 ans et 10 mois et de 18 ans et 9 mois à la date de la demande ; qu'il sera fait une juste appréciation de leur préjudice moral en le fixant à une somme de 30.000 F pour chacun d'eux ; que le surplus de leurs conclusions indemnitaires doit être rejeté ;
En ce qui concerne l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat à payer une somme totale de 10.000 F à X... et Gwenaëlle Z... ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 juin 1994 est annulé.
Article 2 : L'Etat (ministre de la défense) est condamné à verser les sommes de 30.000 F à M. Laurent Z... et Melle Gwenaëlle Z....
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat paiera la somme unique de 10.000 F à M. X... et Melle Gwenaëlle Z... au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.