Cour administrative d'appel de Lyon, 2e chambre, du 18 novembre 1999, 96LY21509, inédit au recueil Lebon
Vu l'ordonnance en date du 29 août 1997 par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Nancy a, en application du décret n° 97-457 du 9 mai 1997 portant création d'une cour administrative d'appel à Marseille et modifiant les articles R.5, R.7 et R.8 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, transmis à la cour administrative d'appel de Lyon la requête présentée pour M. A..., demeurant ..., par Me Y..., avocat ;
Vu ladite requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Nancy, le 20 mai 1996 par laquelle M. A... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 94918 du 5 mars 1996 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er avril 1994 par laquelle le ministre des anciens combattants et victimes de guerre lui a refusé la carte de combattant volontaire de la résistance ;
2°) d'annuler la décision du 1er avril 1994 par laquelle le ministre des anciens combattants et victimes de guerre lui a refusé la carte de combattant au titre de la résistance, ainsi que celle confirmative du 24 juin 1994 ;
3°) d'enjoindre au ministre des anciens combattants et victimes de guerre, sur le fondement des 1er et 2ème alinéas de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, soit de statuer sur sa demande de délivrance de la carte de combattant volontaire de la résistance dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, soit de lui
délivrer la carte de combattant au titre de la résistance dans le délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, selon qu'elle estime que l'administration était saisie d'une demande de carte de combattant volontaire de la résistance ou d'une demande de carte de combattant au titre de la résistance ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 francs au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Il soutient qu'il a d'abord présenté une demande de carte de combattant, puis qu'il a été amené à demander une carte de combattant volontaire de la résistance ; que le tribunal administratif a rejeté sa demande en considérant que le ministre des anciens combattants avait statué sur une demande de carte de combattant volontaire de la résistance alors qu'il avait statué sur une demande de carte de combattant, au titre de la résistance ; que les deux titres sont des titres distincts ; qu'il est nécessaire d'envisager la légalité de la décision du 1er avril 1994 de façon alternative ; que si l'administration était saisie d'une demande de carte de combattant volontaire de la résistance, la décision est entachée à la fois d'erreur de droit et d'erreur de fait ; qu'elle devait être annulée par le tribunal administratif ; qu'il y a lieu en conséquence d'annuler le jugement et les décisions des 1er avril et 24 juin 1994 et, sur le fondement de l'article L.8-2, alinéa 2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, d'impartir au MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS un délai de
trois mois pour statuer sur sa demande de carte de combattant au titre de la résistance ; que si la cour estime que l'administration était saisie d'une demande de carte de combattant au titre de la résistance, le jugement doit être annulé puisqu'il s'est fondé sur les dispositions légales et réglementaires applicables pour la délivrance de la carte de combattant volontaire de la résistance ; que la décision attaquée se fondait sur celles applicables pour la délivrance de la carte de combattant ; que le jugement repose donc sur une erreur de droit ; que la cour doit évoquer et annuler les décisions ; que se pose la question de la compétence du ministre des anciens combattants dès lors qu'il n'est pas démontré que l'avis émis par la commission départementale prévu par l'article A.137 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre n'a pas été un avis unanime ; qu'en outre, la décision est intervenue sur une procédure irrégulière dès lors que la commission nationale de l'article A.137 est présidée par une personne désignée par le ministre de la défense alors que la commission de l'article A.119 du même code aurait dû être présidée par une personne désignée par le ministre des anciens combattants ; que, tout comme la décision confirmative, elle a violé la loi ; que les deux décisions reposent sur une inexactitude matérielle ; qu'il ne peut justifier de services homologués par l'autorité militaire ; que, cependant, l'administration n'a pas tenu compte des dispositions de l'article A.123-1 du même code ; qu'il justifie par une attestation d'appartenance rédigée par le liquidateur du mouvement "Témoignage chrétien" avoir appartenu à ce mouvement en qualité de diffuseur du 1er octobre 1943 au 20 août 1944 ; que cette attestation est en outre signée par le chef national responsable du mouvement ; que ce mouvement a été homologué par arrêté du ministre des forces armées le 20 février 1948 ; qu'ainsi, en dehors même des actions de résistance qu'il a pu conduire pour le compte du mouvement "Castor", il justifie des conditions prévues par l'article A.123-1 a) du code des pensions militaires d'invalidité dès lors que, pendant une période de trois mois au moins, il a diffusé le journal clandestin "Témoignage chrétien" ; qu'il est fondé à demander qu'il soit enjoint au MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS de lui délivrer dans le délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir la carte de combattant au titre de la résistance ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré au greffe de la cour administrative d'appel de Nancy le 1er octobre 1996, présenté par le MINISTRE DELEGUE AUX ANCIENS COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que si l'intéressé a bien déposé deux demandes, à ce jour, il n'a pas été statué sur le titre de combattant volontaire de la résistance ; que le jugement qui porte sur la confirmation d'un refus du titre de combattant volontaire de la résistance doit être annulé ; qu'au fond, et s'agissant de la carte de combattant au titre de la résistance refusée à M. A..., il convient d'objecter que les attestations de MM. Z... et X..., bien qu'elles émanent de personnalités notoirement connues pour leur action dans la résistance, sont rédigées en des termes vagues qui ne permettent pas d'établir la participation effective et habituelle du requérant à des actes caractérisés de résistance pendant au moins trois mois ; que la
décision ne peut dès lors qu'être confirmée ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré au greffe de la cour administrative d'appel de Nancy le 12 décembre 1996, présenté pour M. A...; M. A... conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ; il soutient en outre que l'analyse du ministre sur l'interprétation par les premiers juges de sa demande rejoint les termes de sa requête ; que le jugement ne pourra donc qu'être annulé ; que, toutefois, le ministre omet soigneusement de répondre à ses moyens de légalité externe ; qu'il feint d'ignorer qu'il soutient, sans être contredit, qu'il justifie avoir accompli pendant trois mois au moins des actes de rédaction, impression et transport habituel de journaux clandestins établis par une organisation reconnue au sens des articles A.119 et R.224-C-II, 1° et 2° du code des pensions ; que c'est de manière quasiment taisible que le ministre produit un document qui établirait que "Témoignage chrétien" ne fait pas partie de la liste des mouvements de la résistance intérieure française homologués ; que cette liste cite les mouvements assimilés ou non aux unités combattantes ; qu'il n'a jamais prétendu pouvoir bénéficier de la carte au titre de l'article A.119 du code ; qu'il prétend relever de l'article A.123-1 ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, "Témoignage chrétien" constitue bien une organisation reconnue ; qu'elle a été homologuée par arrêté du 20 février 1948, publié au J.O. du 21 février 1948, qui n'a été ni abrogé ni annulé ; qu'il justifie de la condition lui permettant d'obtenir la carte de combattant ; qu'il est curieux que l'administration ne réponde que sur un moyen très subsidiaire qu'il a soulevé alors qu'il n'est quasiment pas répondu sur le terrain de son appartenance à "Témoignage chrétien" ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 octobre 1999 ;
- le rapport de Mme LAFOND, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. BOURRACHOT, commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête:
Considérant qu'aux termes de l'article R.224 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : "Sont considérés comme combattants ... C. II. 3° : les agents et les personnes qui ... ont néanmoins effectivement pris part à la résistance dans les conditions déterminées à l'article A.123." et qu'aux termes de l'article A.123-1 du même code : "Ont droit à la qualité de combattant les personnes qui ... justifient : a) soit par le rapport motivé émanant du liquidateur responsable de l'organisme au compte duquel elles ont opéré ... avoir accompli pendant trois mois consécutifs ou non, l'un ou plusieurs des actes individuels de résistance énumérés limitativement ci-dessous : ...transport ou distribution habituels de tracts ou journaux clandestins ..." ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'attestation produite par M. A..., signée le 20 janvier 1951 par le liquidateur et par le chef national responsable du mouvement clandestin de résistance française "Témoignage chrétien" et qui précise que M. A... a appartenu, en qualité de diffuseur, du 1er octobre 1943 au 20 août 1944, audit mouvement, établit que M. A... a accompli pendant au moins trois mois des actes de résistance énumérés à l'article A.123-1 ; qu'il doit donc être regardé comme ayant apporté la preuve de sa qualité de combattant telle qu'elle est exigée pour l'attribution du titre correspondant ; qu'il est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction : Considérant qu'aux termes de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsqu'un ... arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ... prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, .... la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution, par le même ... arrêt." ;
Considérant qu'eu égard aux motifs de l'annulation des décisions attaquées, et dès lors qu'il n'est invoqué aucune modification dans les circonstances de droit ou de fait, il y a lieu, en application des dispositions susvisées, de prescrire à l'autorité compétente de délivrer dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, une carte de combattant à M. A... ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. A... la somme de 5 000 francs en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er : Le jugement n° 94918 du tribunal administratif de Dijon du 5 mars 1996 et les décisions du ministre des anciens combattants et victimes de guerre des 1er avril 1994 et 24 juin 1994 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à l'autorité compétente de délivrer à M. A... une carte de combattant dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 5 000 francs au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.