Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3e chambre, du 5 avril 1994, 93BX00338 93BX00366, inédit au recueil Lebon
Vu 1°) la requête enregistrée le 24 mars 1993 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux présentée pour la COMMUNE DE BLAYE, représentée par son maire en exercice, par la société civile professionnelle Urtin-Petit - Rousseau-Van Troeyen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
La COMMUNE DE BLAYE demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 3 novembre 1992 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée à verser à M. Michel X... la somme de 600.000 F, à Mme Marie-Thérèse X..., son épouse, la somme de 40.000 F, à M. Lionel X..., son fils, la somme de 60.000 F, en réparation des conséquences dommageables de l'accident dont a été victime M. Michel X... le 17 juin 1945, et l'a condamnée, en outre, à verser à M. Michel X... la somme de 3.000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et à supporter les frais d'expertise ;
2°) de rejeter les demandes présentées par les consorts X... devant le tribunal administratif de Bordeaux ;
3°) de prononcer le sursis à exécution dudit jugement ;
4°) subsidiairement, de réduire les indemnités mises à la charge de la ville par le même jugement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 mars 1994 :
- le rapport de M. de MALAFOSSE, conseiller ;
- les observations de Maître THEVENIN, avocat de M. X... ;
- et les conclusions de M. CIPRIANI, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de la COMMUNE DE BLAYE et de la société d'assurances WINTERTHUR sont dirigées contre le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt ;
Sur la requête de la société d'assurances WINTERTHUR :
Considérant que le jugement attaqué ne prononce aucune condamnation contre la société d'assurances WINTERTHUR ; qu'il ne résulte pas de l'instruction et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué que cette société a payé la somme que la COMMUNE DE BLAYE a été condamnée à payer par le jugement attaqué et qu'elle serait ainsi subrogée dans les droits de ladite commune ; que, par suite, bien qu'elle ait été mise en cause devant le tribunal administratif, la société d'assurances WINTERTHUR est sans intérêt pour faire appel du jugement attaqué ; que sa requête est, dès lors, irrecevable et doit être rejetée ;
Sur la requête de la COMMUNE DE BLAYE :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le tribunal administratif, qui a décrit les chefs de préjudice dont M. Michel X... était fondé à demander réparation, n'était pas tenu d'évaluer distinctement chacun de ces chefs de préjudice ; que la COMMUNE DE BLAYE n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
Au fond :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée par le jugement du tribunal administratif du 11 décembre 1990 confirmé par un arrêt de la cour de céans en date du 17 décembre 1992, que l'accident dont a été victime le 17 juin 1945, à l'âge de six ans, M. Michel X..., et dont la COMMUNE DE BLAYE a été déclarée responsable par un arrêté du conseil de préfecture de Bordeaux du 8 juillet 1949, est à l'origine de la cécité dont souffre l'intéressé depuis l'âge de 19 ans et qui s'est déclarée alors qu'il était soldat ; que cet accident a également occasionné des perturbations psychologiques et intellectuelles ;
Considérant que la circonstance que M. X... bénéficie d'une pension militaire d'invalidité qui lui a été accordée à titre provisoire en 1961 puis à titre définitif en 1968 à raison des infirmités susdécrites ne fait pas obstacle à ce qu'il réclame à la COMMUNE DE BLAYE une indemnité complémentaire destinée à lui procurer la réparation intégrale du préjudice corporel subi dès lors qu'est établi le lien de causalité entre la faute engageant la responsabilité de ladite commune et ce préjudice ; que le versement de cette pension ne fait pas non plus obstacle à ce que l'épouse de l'intéressé et son fils Lionel demandent à la COMMUNE DE BLAYE réparation des préjudices qui résultent pour eux des infirmités dont souffre leur mari et père ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, si l'accident dont a été victime M. Michel X... n'est pas la cause directe de ses difficultés scolaires et des conséquences professionnelles de ces difficultés, la cécité et les perturbations psychologiques et intellectuelles dont il est atteint sont la cause d'importants troubles dans ses conditions d'existence ; que les opérations qu'il a subies à l'âge de six ans puis à l'âge de 19 ans lui ont causé des souffrances physiques ; que l'intéressé subit également un préjudice esthétique du fait de sa cécité ; que le tribunal administratif a fait une évaluation insuffisante des troubles de nature non pécuniaires qui ne sont pas couverts par la pension servie par l'Etat, compte tenu de la modicité de la provision accordée en 1949 par le conseil de préfecture, en lui allouant une indemnité de 600.000 F y compris tous intérêts ; qu'il sera fait une juste évaluation de ces troubles en portant à 1.000.000 F, y compris tous intérêts échus à la date du présent arrêt, le montant de l'indemnité à laquelle a droit M. Michel X... ; qu'il y a lieu de faire droit, dans cette mesure, à l'appel incident ;
Considérant que la circonstance que les infirmités dont souffre M. Michel X... sont apparues avant son mariage et avant la naissance de son fils Lionel ne fait pas obstacle à ce que son épouse et son fils obtiennent réparation des troubles dans leurs conditions d'existence résultant des infirmités de leur mari et père ; que le tribunal administratif a fait une exacte appréciation de ces troubles en fixant respectivement à 40.000 F et à 60.000 F les indemnités dues à Mme X... et à M. Lionel X... ; que ces indemnités doivent toutefois être regardées comme comprenant les intérêts échus à la date du présent arrêt ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de la COMMUNE DE BLAYE doit être rejetée et l'appel incident des consorts X... accueilli dans les limites sus-indiquées ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la COMMUNE DE BLAYE à verser aux consorts X... la somme de 9.000 F au titre des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et de condamner la société d'assurances WINTERTHUR à verser à chacun d'eux la somme de 1.500 F en application desdites dispositions ;
Article 1er : Les requêtes de la COMMUNE DE BLAYE et de la société d'assurances WINTERTHUR sont rejetées.
Article 2 : La somme de 600.000 F que la COMMUNE DE BLAYE a été condamnée à verser à M. Michel X... par l'article 1er du jugement attaqué est portée à 1.000.000 F, y compris tous intérêts échus à la date du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 3 novembre 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel incident des consorts X... et rejeté.
Article 5 : la COMMUNE DE BLAYE est condamnée à payer 9.000 F aux consorts X... au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et la société d'assurances WINTERTHUR à verser 1.500 F à chacun d'eux au titre du même article.