Cour administrative d'appel de Nantes, 3e chambre, du 20 décembre 2001, 95NT01178, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision20 décembre 2001
Num95NT01178
JuridictionNantes
Formation3E CHAMBRE
RapporteurM. MARGUERON
CommissaireM. MILLET

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 14 août 1995, présentée pour M. Eric X..., demeurant au lieudit "L'Hérat" à Randan (63310), par Me Corinne Y..., avocat au barreau de Paris ;
M. X... demande à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 89-368 du 2 février 1995 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé (C.H.S.) de Saint-Avé à lui verser la somme de 2 509 500 F en réparation du préjudice subi du fait de son placement d'office, une somme de 15 800 F en remboursement du forfait hospitalier perçu pour la période du 10 février 1984 au 15 février 1986 et une somme de 4 414,80 F au titre des intérêts ayant couru sur le montant dudit forfait, avec intérêts au taux légal sur l'ensemble de ces sommes à compter du 20 juin 1988 ;
2 ) de faire droit auxdites conclusions de sa demande présentée devant le Tribunal administratif de Rennes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n 83-25 du 19 janvier 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 novembre 2001 :
- le rapport de M. MARGUERON, président,
- les observations de Me DOHOLLOU, avocat du centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé,
- et les conclusions de M. MILLET, commissaire du gouvernement ;

Sur l'intervention de l'association "Groupe information asiles" :
Considérant que, dans les litiges de plein contentieux, seules sont rece-vables à former une intervention les personnes qui se prévalent d'un droit auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier ; que l'association "Groupe information asiles" ne se prévaut pas d'un droit de cette nature ; que, dès lors, son intervention n'est pas recevable ;
Sur les conclusions de la requête de M. X... :
Considérant que, par un arrêté du 28 janvier 1980, le préfet du Morbihan a ordonné le placement d'office de M. X... au centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé et, par un nouvel arrêté, du 7 mars 1980, a ordonné son transfert au centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines ; que M. X... a été de nouveau interné au centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé à compter du 10 février 1984, en exécution d'un arrêté du 7 février précédent du préfet de la Moselle, jusqu'au 15 février 1986, date à laquelle il a fait une fugue lors d'une sortie d'essai, puis du 3 février 1987, date de son retour volontaire dans l'établissement, jusqu'à sa sortie définitive intervenue par l'effet d'une ordonnance du 27 mars 1987 du président du Tribunal de grande instance de Vannes ; qu'il demande la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé à lui verser, d'une part, la somme en principal de 2 509 500 F en réparation du préjudice qu'il dit avoir subi du fait du défaut de notification des arrêtés préfectoraux précités, du maintien illégal de son internement d'office en l'absence de décisions prononçant le renouvellement de celui-ci et des conséquences de l'absence de règlement intérieur de l'établissement et, d'autre part, la somme totale, en principal et intérêts échus au 20 juin 1988, de 19 914, 80 F à titre de remboursement du forfait hospitalier mis à sa charge ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé au versement de la somme de 2 509 500 F :
Considérant qu'il résulte des articles L.333 et suivants du code de la santé publique que l'autorité judiciaire est seule compétente, lorsque la juridiction administrative s'est prononcée sur la régularité de la décision administrative qui ordonne le placement ou son maintien, pour statuer sur les conséquences dommageables de l'ensemble des irrégularités entachant la mesure de placement d'office critiquée ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par jugement du 2 avril 1992, confirmé par arrêt du Conseil d'Etat du 28 juillet 2000, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté les différentes demandes d'excès de pouvoir dirigées par M. X... contre des décisions relatives à son placement d'office, notamment les arrêtés précités des préfets du Morbihan et de la Moselle ainsi que celles prises par le directeur du centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé ; qu'il n'appartenait qu'à l'autorité judiciaire de connaître des conclusions de la demande présentée par M. X... devant le Tribunal administratif de Rennes tendant à la condamnation de cet établissement à lui verser la somme de 2 509 500 F à raison des conditions illégales alléguées de son placement d'office ; que, par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes s'est reconnu compétent pour connaître desdites conclusions ; qu'ainsi le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 2 février 1995 doit être annulé dans cette mesure ;
Considérant qu'il y a lieu de rejeter les conclusions susmentionnées de la demande de M. X... comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
En ce qui concerne les conclusions tendant au remboursement du forfait hospitalier ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé :
Considérant, en premier lieu, que, dès lors qu'elles sont fondées sur l'illégalité alléguée de son placement d'office dans l'établissement et du maintien de ce placement, les conclusions de M. X... tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé à lui rembourser le montant du forfait hospitalier se rattachent aux conséquences dommageables de cette illégalité ; que, dès lors que, ainsi qu'il vient d'être dit, il appartient seulement à l'autorité judiciaire de statuer sur ces conséquences dommageables, c'est également à tort que le Tribunal administratif de Rennes s'est reconnu compétent pour connaître, dans cette mesure, desdites conclusions ; qu'il y a lieu, par suite, dans cette même mesure, d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 2 février 1995 et de rejeter les conclusions de la demande de M. X... comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 4 de la loi n 83-25 du 19 janvier 1983 portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale : "Un forfait journalier est supporté par les personnes admises dans des établissements hospitaliers ou médico-sociaux, à l'exclusion des établissements visés aux articles 52-1 et 52-3 de la loi n 70-1318 du 31 décembre 1970 et à l'article 5 de la loi n 75-535 du 30 juin 1975. Ce forfait n'est pas pris en charge par les régimes obligatoires de protection sociale, sauf dans le cas des enfants et adolescents handicapés hébergés dans des établissements d'éducation spéciale ou professionnelle, des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, des bénéficiaires de l'assurance maternité et des bénéficiaires de l'article L.115 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre" ; qu'il résulte de ces dispositions que les seules exceptions prévues par la loi concernent les personnes admises dans les unités ou centres de long séjour, dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées comportant une section de cure médicale ou dans des établissements sociaux d'hébergement et d'aide par le travail ;
Considérant que le centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé ne relève d'aucune des exceptions prévues par l'article 4 de la loi du 19 janvier 1983 ; que la circonstance que l'admission de M. X... dans un établissement hospitalier soit intervenue à la suite d'une mesure de police prise en application de l'article L.343 du code de la santé publique n'était pas de nature à le dispenser du paiement du forfait journalier ;
Considérant que le forfait journalier institué par l'article 4 de la loi du 19 janvier 1983 n'est pas au nombre des dépenses que doit supporter l'Etat au titre des actions de lutte contre les maladies mentales, telles qu'elles sont définies par les articles L.326 et L.353 du code de la santé publique, dans leurs rédactions antérieures à la loi n 85-1403 du 30 décembre 1985, ou que doivent supporter les régimes de base d'assurance maladie au même titre, dans la rédaction de ces articles résultant de l'article 79 de la même loi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... n'est pas fondé à soutenir que le forfait hospitalier qui lui a été réclamé aurait dû être mis à la charge de l'Etat ou du régime d'assurance maladie dont il relevait et à demander, pour ce motif, la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé à lui rembourser le montant de ce forfait ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais non compris dans les dépens :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner M. X... à payer au centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'intervention de l'association "Groupe information asiles" n'est pas admise.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 2 février 1995 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la demande de M. X... tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé à lui verser la somme de deux millions cinq cent neuf mille et cinq cents francs (2 509 500 F) ainsi qu'à lui rembourser le montant du forfait hospitalier mis à sa charge à raison de l'illégalité de son placement d'office et du maintien de celui-ci.
Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par M. X... devant le Tribunal administratif de Rennes tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé à lui verser la somme de deux millions cinq cent neuf mille et cinq cents francs (2 509 500 F) ainsi qu'à lui rembourser le montant du forfait hospitalier mis à sa charge à raison de l'illégalité de son placement d'office et du maintien de celui-ci sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Eric X..., au centre hospitalier spécialisé de Saint-Avé, à l'association "Groupe information asiles" et au ministre de l'emploi et de la solidarité.