Conseil d'Etat, 3 SS, du 2 avril 1990, 80768, inédit au recueil Lebon
Vu la requête, enregistrée le 30 juillet 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Louis X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 3 juillet 1986 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation d'une décision du 6 septembre 1983 lui refusant la qualité de personne contrainte au travail en pays ennemi ou en territoire français occupé ou annexé par l'ennemi ;
2°) annule pour excès de pouvoir cette décision ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Angeli, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. de Guillenchmidt, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L.309 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : "Sont considérées comme ayant été "contraintes" les personnes ayant fait l'objet d'une rafle ou encore d'une réquisition opérée en vertu des actes dits "loi du 4 septembre 1942", "décret du 19 septembre 1942", "loi du 16 février 1945", "loi du 1er février 1944" relatifs au service du travail obligatoire, dont la nullité a été expressément constatée" ;
Considérant que M. X... soutient qu'il a été transféré en Allemagne et contraint à y travailler à la suite non pas d'une réquisition mais de son arrestation lors d'une rafle effectuée par la police française en mai 1942 ; que, dans ces conditions, l'administration ne pouvait opposer à sa demande la circonstance qu'il n'aurait produit ni copie d'un acte de réquisition ni l'un des documents exigés, à défaut de cette copie, par l'article R.378 du code ; que le requérant soutient, sans être contredit par l'administration, et en produisant sur ce point des témoignages de plusieurs personnes à même de confirmer ses dires, qu'il a été à la suite de son arrestation remis aux autorités allemandes et envoyé sous la contrainte en Allemagne, où il a travaillé jusqu'à la fin de juillet 1944, date à laquelle il a été rapatrié pour raison de santé ; qu'au surplus un jugement du 9 juillet 1974 du tribunal des pensions du Bas-Rhin a reconnu M. X... sur le fondement des dispositions de l'article L.198-3° du code, lesquelles concernent "les personnes ayant travaillé au profit de l'ennemi ... dans des conditions exclusives de toute intention réelle de participer à l'effort de guerre ennemi", le droit au bénéfice de la pension due aux Français qui ont contracté une maladie par suite d'un fait de guerre ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strsbourg a rejeté sa demande d' annulation de la décision par laquelle le Préfet du Bas-Rhin a rejeté sa demande tendant à se voir reconnaître la qualité de personne contrainte au travail en pays ennemi ;
Article 1er : Le jugement en date du 3 juillet 1986 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La décision du Préfet du Bas-Rhin du 6 septembre 1983 est annulée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. X... et au secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants et des victimes de guerre.