Conseil d'Etat, 3 SS, du 17 mai 1999, 170894, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision17 mai 1999
Num170894
Juridiction
Formation3 SS
RapporteurM. Delion
CommissaireM. Stahl

Vu le recours du MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 10 juillet 1995 ; le MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 6 décembre 1994 par lequel le tribunal administratif de Paris, à la demande de M. X..., a annulé sa décision du 5 octobre 1990 refusant d'attribuer à M. X... le titre de déporté politique ;
2°) de rejeter la demande de M. X... ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu l'ordonnance du 6 juillet 1943 relative à la légitimité des actes accomplis pour la cause de la libération de la France et à la révision des condamnations intervenues pour ces faits ;
Vu la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986, notamment son article 18 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Delion, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de Mme X...,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 286 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, les Français qui ont été déportés par l'ennemi puis incarcérés ou internés dans une prison ou un camp de concentration ont droit au titre de déporté politique sauf dans le cas où le motif de la déportation a été une infraction de droit commun n'ouvrant pas droit au bénéfice de l'ordonnance du 6 juillet 1943 ;
Considérant que le secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants s'est fondé, pour refuser à M. François X... le titre de déporté politique, alors que cette qualification a été retenue lors de sa déportation, sur le motif que celle-ci faisait suite à une infraction de droit commun commise à des fins personnelles ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que M. François X... a été arrêté par l'ennemi le 2 janvier 1943 puis transféré hors du territoire national le 16 avril 1943 et interné successivement dans les camps de concentration de Mauthausen et de Loibl-Pass jusqu'au 7 mai 1945 ; que l'infraction qui a été à l'origine de son arrestation a consisté dans un vol commis au détriment d'une personne qui se livrait au courtage de montres pour le compte de l'occupant ; qu'après son arrestation par la police française M. X... a été remis à la police allemande, à la demande des autorités d'occupation, et qu'ensuite l'intéressé a été déporté pour être interné en qualité de "politique" dans le camp de concentration de Mauthausen ; qu'il résulte en outre des pièces du dossier et en particulier de nombreux témoignages et attestations précis et circonstanciés que, de 1940 à sa libération le 7 mai 1945, M. X... a constamment manifesté un comportement d'opposition à l'ennemi ; qu'en particulier, bien que non mobilisé, il s'est mis à la disposition des autorités militaires et a effectivement participé aux derniers combats de 1940 en qualité de franc-tireur, qu'il a été réfractaire au service du travail obligatoire et est entré dans la clandestinité ; que si son appartenance à la Résistance et sa participation à des actes ou faits de résistance identifiés ne sont pas formellement établies, son intention de mener des actions contre l'occupant était notoire et que durant sa déportation, il s'est distingué par son patriotisme et son courage, en refusant notamment à plusieurs reprises d'exécuter les ordres donnés par ses gardiens et en persévérant dans cette attitude en dépit des sévices qui lui étaient infligés ; qu'il résulte de l'ensemble de ces circonstances que le vol commis le 18 décembre 1942 par M. X... ne saurait être regardé comme une infraction de droit commun, mais doit être qualifié d'action se rattachant à un comportement de résistance à l'ennemi ; que l'intéressé entrait dès lors dans le champ d'application des dispositions susrappelées de l'article L. 236 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 5 octobre 1990 refusant à M. X... le titre de déporté politique ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à verser à Mme X... une somme de 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le recours du MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à Mme X... une somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à Mme X....