Cour Administrative d'Appel de Versailles, Formation plénière, 13/03/2007, 05VE01608, Publié au recueil Lebon
Date de décision | 13 mars 2007 |
Num | 05VE01608 |
Juridiction | Versailles |
Formation | Formation plénière |
President | M. GIPOULON |
Rapporteur | M. Jean-Paul EVRARD |
Commissaire | Mme COLRAT |
Avocats | LEDOUX |
Vu l'ordonnance en date du 18 août 2005, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 24 août 2005, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Paris a, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, transmis à la Cour administrative d'appel de Versailles la requête présentée pour le COMITE ANTI-AMIANTE DE JUSSIEU et l'ASSOCIATION NATIONALE DE DEFENSE DES VICTIMES DE L'AMIANTE ;
Vu la requête, enregistrée le 12 août 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris, présentée pour le COMITE ANTI-AMIANTE DE JUSSIEU, qui a son siège à l'université Denis Diderot, 2 place de Jussieu à Paris (75251) et l'ASSOCIATION NATIONALE DE DEFENSE DES VICTIMES DE L'AMIANTE, qui a son siège 22 rue des vignerons à Vincennes (94686), représentés par leurs présidents et ayant pour avocats la SCP Michel Ledoux et associés ;
Les associations requérantes demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0408848 du 16 juin 2005 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité du 6 octobre 2003 et la décision du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 8 octobre 2003 qui ont fait opposition aux points II-2, II-3 et II-4 de la délibération du conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante en date du 16 septembre 2003 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir ces décisions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elles soutiennent, en premier lieu, que, dans l'intérêt des victimes de l'amiante qu'elles regroupent et conformément à leur objet social respectif, elles ont intérêt à agir contre les décisions de tutelle qui limitent les actions en justice du Fonds d'indemnisation engagées en faveur des victimes de l'amiante ; que si la délibération du 16 septembre 2003 se limite à donner des orientations au directeur du fonds, les décisions ministérielles d'opposition sont elles-mêmes susceptibles de recours en ce qu'elles interdisent au fonds d'engager des actions subrogatoires dans certains cas ; qu'elles présentent ainsi un caractère réglementaire ou, à tout le moins, le caractère de décisions d'espèces à caractère décisoire car elles édictent une norme traduisant la volonté de modifier l'ordonnancement juridique ; qu'elles sont, par suite, susceptibles de recours, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif ; que ces décisions sont contraires à la loi du 23 décembre 2000 qui ne limite aucunement la subrogation ouverte au fonds contre les auteurs des dommages indemnisés et ne permet pas d'exclure, ainsi que l'ont décidé les ministres, les actions mettant en cause la responsabilité de l'Etat dans le cadre de son pouvoir réglementaire ou la responsabilité de l'administration à l'égard des usagers et des tiers des services publics ou sa responsabilité sans faute ; que les motifs de ces décisions ministérielles, tirés de la participation de l'Etat au financement du fonds, du caractère inopportun des recours subrogatoires en l'absence de jurisprudence du Conseil d'Etat et du caractère non opérationnel de trois des points la délibération contrôlée ne peuvent constituer un fondement légal à ces décisions d'opposition ; que les ministres ne pouvaient se fonder sur l'absence « d'information à partir d'exemples circonstanciés » pour priver d'effet les points II-3 et II-4 de la délibération ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 et notamment son article 53 ;
Vu le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 février 2007 :
- le rapport de M. Evrard, président-assesseur ;
- et les conclusions de Mme Colrat, commissaire du gouvernement ;
Considérant que le COMITE ANTI-AMIANTE DE JUSSIEU et l'ASSOCIATION NATIONALE DE DEFENSE DES VICTIMES DE L'AMIANTE se pourvoient en appel contre le jugement du 16 juin 2005 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité du 6 octobre 2003 et de la décision du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 8 octobre 2003 qui ont déclaré faire opposition aux points II-2, II-3 et II-4 de la délibération du 16 septembre 2003 par laquelle le conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a fixé les orientations relatives aux conditions d'action en justice du fonds ; que pour rejeter cette demande, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que la délibération à laquelle les autorités de tutelle ont déclaré faire opposition était dépourvue de tout effet juridique, que, par voie de conséquence, les décisions des autorités de tutelle ne présentaient pas davantage de caractère décisoire et que l'ensemble de ces actes n'était dès lors pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;
Considérant qu'il résulte de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a pour mission de réparer les préjudices subis par les personnes qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité ou ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire de la République française ainsi que par leurs ayants droit ; qu'aux termes du 1° de l'article 6 du décret du 23 octobre 2001, le conseil d'administration de cet établissement public définit « la politique d'indemnisation du fonds en fixant les orientations relatives aux procédures, aux conditions de reconnaissance de l'exposition à l'amiante, d'indemnisation et de versement des provisions aux victimes et aux conditions d'action en justice du fonds » ; qu'aux termes du 3° de l'article 6 du décret susvisé du 23 octobre 2001 : « A défaut d'approbation expresse déjà notifiée, les délibérations du conseil d'administration sont exécutoires à l'expiration d'un délai de vingt jours à compter de la réception par le ministre chargé de la sécurité sociale et le ministre chargé du budget des délibérations et des documents correspondants, à moins que l'un de ces ministres n'y fasse opposition dans ce délai. Lorsque l'une de ces autorités demande par écrit des informations ou des documents complémentaires, le délai est suspendu jusqu'à la production de ces informations ou documents. » ;
Considérant qu'en application de ces dispositions, le conseil d'administration a, par délibération du 16 septembre 2003, pris une position destinée à guider les autorités du fonds lorsqu'elles engagent des actions subrogatoires contre les personnes responsables des dommages résultant de l'exposition à l'amiante ; que, conformément aux dispositions précitées du 1° de l'article 6 du décret du 23 octobre 2001, cette délibération se borne à définir des orientations et ne fait pas obstacle à ce que, en fonction de la situation particulière de chaque demandeur, les autorités du fonds s'écartent des directives qui leur sont ainsi adressées ; que, dès lors, cette délibération, dont les termes, ainsi qu'il a été dit ci-dessus sont dénués de caractère impératif, n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; qu'il n'en va pas de même, en revanche, des décisions par lesquelles les autorités de tutelle, à qui il appartient d'exercer leur contrôle sur ces actes, restreignent les prérogatives du conseil d'administration en privant d'effet ses délibérations et affectent les modalités selon lesquelles l'établissement public exerce sa mission ; qu'en l'espèce les décisions des ministres des 6 et 8 octobre 2003 faisant opposition aux points II-2, II-3 et II-4 de la délibération du conseil d'administration du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante du 16 septembre 2003 ont eu pour effet d'interdire aux autorités de ce fonds d'engager des actions subrogatoires contre les personnes publiques responsables des dommages résultant de l'exposition à l'amiante ; qu'elles étaient, par suite, susceptibles d'être déférées au juge de l'excès de pouvoir ; que le jugement attaqué, qui rejette à tort comme irrecevable la demande des deux associations requérantes, doit, dès lors, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le COMITE ANTI-AMIANTE DE JUSSIEU et l'ASSOCIATION NATIONALE DE DEFENSE DES VICTIMES DE L'AMIANTE devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
Considérant qu'aux termes de l'article 53 de la loi susvisée du 23 décembre 2000 : « I. Peuvent obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices : 1° Les personnes qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité ; 2° Les personnes qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire de la République française ; 3° Les ayants droit des personnes visées aux 1° et 2°. II. - Il est créé, sous le nom de Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, un établissement public national à caractère administratif, doté de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, placé sous la tutelle des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget. Cet établissement a pour mission de réparer les préjudices définis au I du présent article. » ; qu'aux termes du VI du même article : « Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. /Le fonds intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d'appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices ; il intervient à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi./ Si le fait générateur du dommage a donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive. » ;
Considérant que par ces dispositions le législateur a posé le principe de la subrogation du fonds dans les droits que possède le demandeur contre toute personne responsable du dommage ; que la circonstance que le législateur a précisé les conditions d'intervention du fonds dans l'exercice de l'action subrogatoire devant les juridictions civiles ne peut, à défaut de mention expresse dans ce sens, exclure l'exercice de l'action subrogatoire contre les personnes publiques devant la juridiction administrative ; que la circonstance que l'Etat participe au financement du fonds n'est pas de nature à priver cet établissement public de la faculté d'engager une action récursoire contre l'Etat lorsque celui-ci est responsable du dommage causé à une victime dont le fonds a réparé le préjudice ; qu'en l'absence de toute limitation par la loi des conditions d'exercice de l'action subrogatoire du fonds, les ministres compétents ne pouvaient, pour des motifs d'opportunité, en limiter l'exercice sans méconnaître les dispositions précitées de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les associations requérantes sont fondées à soutenir que les décisions des 6 et 8 octobre 2003 du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie s'opposant aux points II-2, II-3 et II-4 de la délibération du conseil d'administration du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante du 16 septembre 2003 relatifs aux actions tendant à la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat et des autres personnes publiques doivent être annulées ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à verser une somme globale de 1 500 euros au COMITE ANTI-AMIANTE DE JUSSIEU et à l'ASSOCIATION NATIONALE DE DEFENSE DES VICTIMES DE L'AMIANTE ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 16 juin 2005 est annulé.
Article 2 : La décision du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité du 6 octobre 2003 et la décision du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 8 octobre 2003 qui ont fait opposition aux points II-2, II-3 et II-4 de la délibération du conseil d'administration du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante en date du 16 septembre 2003 sont annulées.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros au COMITE ANTI-AMIANTE DE JUSSIEU et à l'ASSOCIATION NATIONALE DE DEFENSE DES VICTIMES DE L'AMIANTE sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du COMITE ANTI-AMIANTE DE JUSSIEU et de l'ASSOCIATION NATIONALE DE DEFENSE DES VICTIMES DE L'AMIANTE est rejeté.
N° 05VE01608 2