Cour Administrative d'Appel de Nantes, 3ème Chambre, 23/04/2009, 08NT02371, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 avril 2009
Num08NT02371
JuridictionNantes
Formation3ème Chambre
PresidentM. LOOTEN
RapporteurM. Jean-Frédéric MILLET
CommissaireM. GEFFRAY
AvocatsBASCOULERGUE

Vu la requête, enregistrée le 20 août 2008, présentée pour M. Louis X, demeurant ..., par Me Bascoulergue, avocat au barreau de Nantes ; M. Louis X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 06-4591 du 19 juin 2008 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 12 septembre 2006 par laquelle le Premier Ministre a rejeté sa demande tendant au bénéfice de l'aide financière instaurée par le décret du 27 juillet 2004 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ladite décision ;

3°) d'enjoindre au Premier Ministre de lui octroyer le bénéfice de ladite aide et de statuer sur sa demande dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'Etat à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mars 2009 :

- le rapport de M. Millet, président ;

- les observations de Me de Lespinay, substituant Me Bascoulergue, avocat de M. X ;

- et les conclusions de M. Geffray, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me de Lespinay, substituant Me Bascoulergue, avocat de M. X ;





Considérant que M. Louis X interjette appel du jugement n° 06-4591 du 19 juin 2008 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 12 septembre 2006 par laquelle le Premier Ministre a rejeté sa demande tendant au bénéfice de l'aide financière instaurée par le décret du 27 juillet 2004 susvisé ;

Sur la légalité de la décision du 12 septembre 2006 :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2004 susvisé : Toute personne, dont la mère ou le père, de nationalité française ou étrangère, a été déporté, à partir du territoire national, durant l'Occupation pour les motifs et dans les conditions mentionnées aux articles L. 272 et L. 286 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, et a trouvé la mort en déportation, a droit à une mesure de réparation, conformément aux dispositions du présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment où la déportation est intervenue. Ce régime bénéficie également aux personnes, mineures de moins de vingt et un ans au moment des faits, dont le père ou la mère, de nationalité française ou étrangère, a, durant l'Occupation, été exécuté dans les circonstances définies aux articles L. 274 et L. 290 du même code.;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du certificat de décès établi en juin 1945, ainsi que de l'attribution de la Croix de Guerre 1939-1945 avec Etoile de Vermeil, établie le 21 mai 1954 par le Ministère de la Marine, que M. Louis X, second-maître infirmier, est tombé glorieusement pour la France à son poste le 4 décembre 1944 à Hennebont (Morbihan), victime d'un obus tombé à côté de son ambulance, alors qu'il revenait d'une permission accordée pour la naissance de son troisième enfant ; qu'ainsi, ce militaire n'a pas été exécuté pour des actes de résistance à l'ennemi au sens des articles L. 274 et L. 290 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, mais doit être regardé comme mort au combat, alors qu'il participait à des opérations militaires contre les forces d'occupation en qualité d'officier marinier ; que, par suite, nonobstant la circonstance qu'il exerçait des fonctions d'infirmier, ses orphelins, au nombre desquels figure M. X, ne sauraient revendiquer le bénéfice de l'aide financière instituée par le décret susvisé du 27 juillet 2004, en faveur des orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la seconde guerre mondiale au sens dudit décret ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. / Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ;

Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

Considérant que le décret susvisé du 27 juillet 2004 dont M. X, excipe de l'illégalité, et de l'inconventionnalité, institue une mesure d'aide financière, d'une part, en faveur des orphelins dont la mère ou le père a été déporté à partir du territoire national durant l'Occupation, soit comme déporté résistant au sens de l'article L. 272 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, soit comme déporté politique au sens de l'article L. 286 de ce code, et a trouvé la mort en déportation, et, d'autre part, en faveur des orphelins dont le père ou la mère a été arrêté et exécuté comme interné résistant ou interné politique au sens, respectivement, des articles L. 274 et L. 290 de ce code ; que l'objet de ce texte est ainsi d'accorder une mesure de réparation aux seuls orphelins des victimes d'actes de barbarie durant la période de l'Occupation ; que compte tenu de la nature des crimes commis à l'égard de ces victimes, le décret du 27 juillet 2004 n'a pas méconnu les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en n'accordant une mesure de réparation particulière qu'à ces seuls orphelins et en excluant les orphelins des personnes tuées au combat, des prisonniers de guerre morts en détention, des victimes de l'état de belligérance pendant la Deuxième Guerre mondiale ou plus largement, les orphelins de fonctionnaires, militaires et magistrats morts en service ;

Considérant que les victimes de l'état de belligérance sont objectivement placés dans une situation différente de celle des victimes d'actes de barbarie, et pouvaient légalement être exclues du bénéfice de la mesure, sans que l'intéressé puisse utilement exciper de l'inconventionnalité du décret du 27 juillet 2004, au regard du but légitimement poursuivi ;

Considérant que l'objet du décret du 27 juillet 2004 est, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, d'accorder une mesure de réparation aux seuls orphelins des victimes d'actes de barbarie durant la période de l'Occupation ; qu'eu égard à l'objet de la mesure qu'il avait ainsi décidée, le gouvernement a pu, sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité, regarder les mineurs dont le père ou la mère ont été victimes d'actes de barbarie pendant l'Occupation comme placés dans une situation différente de celle des orphelins des personnes tuées au combat ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fins d'injonctions, sous astreinte :

Considérant que le présent arrêt, qui rejette la requête de M. X n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint au Premier Ministre de lui octroyer le bénéfice de l'aide financière, dans le délai d'un mois, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à M. X la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête susvisée de M. X est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Louis X et au Premier Ministre.
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