Cour Administrative d'Appel de Nantes, 3ème Chambre, 18/11/2010, 09NT00842, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 novembre 2010
Num09NT00842
JuridictionNantes
Formation3ème Chambre
PresidentMme PERROT
RapporteurM. Guy QUILLEVERE
CommissaireM. GEFFRAY
AvocatsLE BRET-DESACHE

Vu la requête et le mémoire complémentaire, respectivement enregistrés les 3 avril et 12 novembre 2009, présentés pour M. André A, demeurant ..., par Me Le Bret-Desaché, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; M. A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 07-976 du 29 janvier 2009 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 janvier 2007 du Premier ministre rejetant sa demande tendant au bénéfice de l'aide financière instaurée par le décret du 27 juillet 2004 au profit des orphelins victimes d'actes de barbarie pendant la Deuxième Guerre mondiale ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ladite décision ;

3°) d'enjoindre au Premier ministre de lui octroyer le bénéfice de ladite aide, majorée des intérêts capitalisés ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 octobre 2010 :

- le rapport de M. Quillévéré, président-assesseur ;

- et les conclusions de M. Geffray, rapporteur public ;





Considérant que M. André A interjette appel du jugement du 29 janvier 2009 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 22 janvier 2007 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant au bénéfice de l'aide financière instaurée par le décret du 27 juillet 2004 instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le tribunal a omis de répondre au moyen de M. A tiré de la violation des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette même convention ; que ce moyen n'était pas inopérant ; qu'il suit de là que, M. A est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité ; qu'il y a lieu de l'annuler et de statuer par la voie de l'évocation sur la demande présentée par M. A ;

Sur la légalité de la décision contestée :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2004 susvisé : Toute personne, dont la mère ou le père, de nationalité française ou étrangère, a été déporté, à partir du territoire national, durant l'Occupation pour les motifs et dans les conditions mentionnées aux articles L. 272 et L. 286 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, et a trouvé la mort en déportation, a droit à une mesure de réparation, conformément aux dispositions du présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment où la déportation est intervenue. Ce régime bénéficie également aux personnes, mineures de moins de vingt et un ans au moment des faits, dont le père ou la mère, de nationalité française ou étrangère, a, durant l'Occupation, été exécuté dans les circonstances définies aux articles L. 274 et L. 290 du même code. ; qu'aux termes de l'article L. 274 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : Les personnes arrêtées et exécutées pour actes qualifiés de résistance à l'ennemi sont considérées comme internées résistantes quelle que soit la durée de leur détention, a fortiori si elles ont été exécutées sur le champ ; qu'aux termes de l'article L. 290 du même code : Les français ou ressortissants français qui, à la suite de leur arrestation, pour tout autre motif qu'une infraction de droit commun, ont été exécutés par l'ennemi, bénéficient du statut des internés politiques, quelle que soit la durée de leur détention, a fortiori s'ils ont été exécutés sur-le-champ ;

Considérant qu'alors même que selon les dires d'un témoin direct des faits le père de M. A ne serait pas décédé sous un bombardement mais, le 9 août 1994, des suites des blessures qui lui ont été infligées lors d'un massacre perpétré par les Allemands le 8 août 1944 au lieu-dit Kernevez sur le territoire de la commune de Gouesnou (Finistère), il est constant que celui-ci n'a été ni déporté ni arrêté et exécuté pour faits de résistance ou motifs politiques ; que dès lors, le décès du père de M. A n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article 1er du décret du 27 juillet 2004 ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. / Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ;

Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

Considérant que le décret susvisé du 27 juillet 2004 institue une mesure d'aide financière, d'une part, en faveur des orphelins dont la mère ou le père a été déporté à partir du territoire national durant l'Occupation, soit comme déporté résistant au sens de l'article L. 272 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, soit comme déporté politique au sens de l'article L. 286 de ce code, et a trouvé la mort en déportation, et, d'autre part, en faveur des orphelins dont le père ou la mère a été arrêté et exécuté comme interné résistant ou interné politique au sens, respectivement, des articles L. 274 et L. 290 de ce code ; que l'objet de ce texte est ainsi d'accorder une mesure de réparation aux seuls orphelins des personnes qui y ont été expressément visées ; que compte tenu de la nature particulière des crimes commis à l'égard de ces personnes, M. André A ne peut utilement soutenir que le décret du 27 juillet 2004 méconnaît les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est contraire au principe à valeur constitutionnelle d'égalité en ce qu'il exclut les orphelins des personnes non déportées, ni internées résistantes ou politiques, eussent-elles été tuées, comme en l'espèce, dans des conditions de cruautés établies ; qu'ainsi l'intéressé ne peut utilement exciper de l'inconventionnalité et de l'inconstitutionnalité du décret du 27 juillet 2004, au regard du but légitimement poursuivi par ce texte ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. André A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fins d'injonction :

Considérant que le présent arrêt, qui rejette la demande présentée par M. André A devant le tribunal administratif d'Orléans, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre de lui octroyer le bénéfice de l'aide financière sollicitée ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;


DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 07-976 du tribunal administratif d'Orléans du 29 janvier 2009 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. André A devant le tribunal administratif d'Orléans et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. André A et au Premier ministre
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