Cour Administrative d'Appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 13/12/2011, 11MA00739, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 13 décembre 2011 |
Num | 11MA00739 |
Juridiction | Marseille |
Formation | 8ème chambre - formation à 3 |
President | M. GONZALES |
Rapporteur | M. Jean-Baptiste BROSSIER |
Commissaire | Mme VINCENT-DOMINGUEZ |
Avocats | SCP TEISSONNIERE & ASSOCIES |
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour par télécopie le 16 février 2011 sous le n° 11MA00739, régularisée le 17 février 2011, présentée par Me Teissonnière, avocat, pour M. Patrick A, demeurant ... ;
M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0902616 du 17 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes, présentées par requête introductive de première instance et rectifiées par mémoire du 24 novembre 2010, tendant à la condamnation de l'Etat (ministère de la défense) à lui verser à titre indemnitaire les sommes de 67 386,30 euros en réparation d'un préjudice économique, de 45 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle et de 15 000 euros en réparation d'un préjudice d'anxiété, ensemble la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de condamner l'Etat (ministère de la défense) à lui verser, avec les intérêts au taux légal et le produit de leur capitalisation, les indemnités de 67 386,30 euros en réparation d'un préjudice économique, de 45 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle et de 15 000 euros d'un préjudice d'anxiété ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat (ministère de la défense) la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et notamment son article 41 ;
Vu la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 et notamment son article 53 ;
Vu le décret du 26 février 1897 modifié relatif à la situation du personnel civil d'exploitation des établissements militaires ;
Vu le décret du 1er avril 1920 modifié relatif au statut du personnel ouvrier des arsenaux et établissements de la marine ;
Vu le décret n°77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante ;
Vu le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 modifié relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;
Vu le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, notamment son chapitre II relatif à la procédure d'indemnisation des victimes de l'amiante et aux décisions du fonds ;
Vu l'arrêté du 28 février 1995, pris en application de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;
Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre exceptionnel, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 novembre 2011 :
- le rapport de M. Brossier, rapporteur,
- les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public,
- et les observations de Me Lafforgue, de la SCP Teissonnière et associés, pour M. A ;
Considérant que M. A, ouvrier de l'Etat relevant du ministère de la défense, a été affecté, au sein des services de la direction des constructions navales (DCN) à l'arsenal de Toulon, puis de la direction du service de soutien de la flotte (DSSF) à Toulon ; qu'ayant exercé ses fonctions sur des bâtiments dans des conditions de travail affectées par des poussières d'amiante, il a bénéficié à compter du 1er décembre 2008 du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante instauré par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et son décret d'application susvisé n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ; qu'il a réclamé, par sa requête introductive de première instance, la condamnation de l'Etat (ministère de la défense) à lui verser une indemnité de 67 386,30 euros en réparation d'un préjudice économique et une indemnité de 10 000 euros en réparation d'un préjudice d'anxiété, portée à 15 000 euros par mémoire enregistré au greffe du tribunal le 24 novembre 2010, lequel mémoire a demandé en outre une indemnité de 45 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle ; que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ces demandes ; que devant la Cour, il réclame la condamnation de l'Etat (ministère de la défense) à lui verser les indemnités de 67 386,30 euros en réparation de son préjudice économique, de 45 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle et de 15 000 euros en réparation d'un préjudice d'anxiété ;
Considérant qu'aux termes de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 :
" I-Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués des matériaux contenant de l'amiante ; 2° Avoir atteint un âge déterminé, qui pourra varier en fonction de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1° sans pouvoir être inférieur à cinquante ans. Ont également droit, dès l'âge de cinquante ans, à l'allocation de cessation anticipée d'activité les salariés ou anciens salariés reconnus atteints au titre du régime général d'une maladie professionnelle provoquée par l'amiante et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail et de la sécurité sociale. Le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité ne peut se cumuler ni avec l'un des revenus ou l'une des allocations mentionnées à l'article L. 131-2 du code de la sécurité sociale ni avec un avantage de vieillesse ou d'invalidité.
II-Le montant de l'allocation est calculé en fonction de la moyenne actualisée des salaires mensuels bruts de la dernière année d'activité salariée du bénéficiaire. Il est revalorisé comme les avantages alloués en application du deuxième alinéa de l'article L. 322-4 du code du travail. L'allocation est attribuée et servie par les caisses régionales d'assurance maladie. L'allocation cesse d'être versée lorsque le bénéficiaire remplit les conditions requises pour bénéficier d'une pension de vieillesse au taux plein, telle qu'elle est définie aux articles L. 351-1 et L. 351-8 du code de la sécurité sociale.
III-Il est institué un fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. Ce fonds finance l'allocation créée au I. (...)
IV-L'allocation de cessation anticipée d'activité est assujettie aux mêmes cotisations et contributions sociales que les revenus et allocations mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 131-2 du code de la sécurité sociale. Les personnes percevant cette allocation et leurs ayants droit bénéficient des prestations en nature des assurances maladie et maternité du régime général. Le fonds des travailleurs de l'amiante assure, pendant la durée du versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité, le financement des cotisations à l'assurance volontaire mentionnée à l'article L. 742-1 du code de la sécurité sociale ainsi que le versement de l'ensemble des cotisations aux régimes de retraite complémentaire mentionnés à l'article L. 921-1 du même code.
V-Le salarié qui est admis au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité présente sa démission à son employeur. Le contrat de travail cesse de s'exécuter dans les conditions prévues à l'article L. 122-6 du code du travail. Cette rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié ouvre droit, au bénéfice du salarié, au versement par l'employeur d'une indemnité de cessation d'activité d'un montant égal à celui de l'indemnité de départ en retraite prévue par le premier alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail et calculée sur la base de l'ancienneté acquise au moment de la rupture du contrat de travail, sans préjudice de l'application de dispositions plus favorables prévues en matière d'indemnité de départ à la retraite par une convention ou un accord collectif de travail ou par le contrat de travail.
VI-Les différends auxquels peut donner lieu l'application du présent article et qui ne relèvent pas d'un autre contentieux sont réglés suivant les dispositions régissant le contentieux général de la sécurité sociale.
VII-Un décret fixe les conditions d'application du présent article." ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale invoqué par le ministre intimé, issu du livre 4 intitulé accidents du travail et maladies professionnelles (dispositions propres et dispositions communes avec d'autres branches) : "Sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L. 455-2 aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit. " ; qu'aux termes de l'article L. 452-1 du livre 4 du même code: "Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants. " ; et qu'aux termes de l'article L. 413-12 du livre 4 du même code, également invoqué par le ministre intimé : " Il n'est pas dérogé aux dispositions législatives et réglementaires concernant les pensions : 1°) des ouvriers, apprentis et journaliers appartenant aux ateliers de la marine ; 2°) des personnes mentionnées à l'article 2 du décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l'unification du régime d'assurance des marins ; 3°) des ouvriers immatriculés de manufactures d'armes dépendant du ministère chargé de la défense (...) " ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 53 de la loi susvisée n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 :
" I -Peuvent obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices : 1° Les personnes qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité ; 2° Les personnes qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire de la République française (...).
II - Il est créé, sous le nom de " Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ", un établissement public national à caractère administratif (...qui...) a pour mission de réparer les préjudices définis au I du présent article (...).
III - Le demandeur justifie de l'exposition à l'amiante et de l'atteinte à l'état de santé de la victime. Le demandeur informe le fonds des autres procédures relatives à l'indemnisation des préjudices définis au I éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, il informe le juge de la saisine du fonds. Si la maladie est susceptible d'avoir une origine professionnelle et en l'absence de déclaration préalable par la victime, le fonds transmet sans délai le dossier à l'organisme concerné au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité. Cette transmission vaut déclaration de maladie professionnelle. (...)
IV - Dans les six mois à compter de la réception d'une demande d'indemnisation, le fonds présente au demandeur une offre d'indemnisation (...) Le fonds présente une offre d'indemnisation nonobstant l'absence de consolidation (...) L'acceptation de l'offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l'action en justice prévue au V vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable tout autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice. Il en va de même des décisions juridictionnelles devenues définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l'exposition à l'amiante.
V - Le demandeur ne dispose du droit d'action en justice contre le fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du IV ou s'il n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur.
VI - Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Le fonds intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d'appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices (...).
VIII - Le début du deuxième alinéa (1°) de l'article 706-3 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :" 1° Ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l'article L. 126-1... (le reste sans changement). "Les dispositions de l'alinéa précédent ne remettent pas en cause la compétence juridictionnelle pour connaître, en appel ou en cassation, des décisions rendues avant la date de publication du décret mentionné au X du présent article par les commissions instituées par l'article 706-4 du code de procédure pénale.
IX - Les demandes d'indemnisation des préjudices causés par l'exposition à l'amiante en cours d'instruction devant les commissions instituées par l'article 706-4 du code de procédure pénale à la date de publication du décret mentionné au X sont transmises au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Les provisions allouées en application du dernier alinéa de l'article 706-6 du code de procédure pénale sont remboursées par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
X-Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat." ;
Considérant que M. A réclame à hauteur de 15 000 euros la réparation d'un préjudice, qu'il qualifie "d'anxiété", pour avoir été exposé pendant de nombreuses années sur son lieu de travail à des poussières d'amiante, du fait de la carence fautive selon lui de son employeur, l'Etat (ministère de la défense), dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre ces particules pathogènes ; que l'appelant réclame également la réparation d'un préjudice économique et d'un préjudice qualifié "d'incidence professionnelle", en invoquant cette carence fautive et en soutenant à ce titre qu'il a été contraint de cesser de façon anticipée son activité professionnelle exposée aux poussières d'amiante, en bénéficiant certes d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, mais qui ne saurait réparer intégralement ses préjudices nés de son départ en "préretraite" ; qu'il décompose la réparation demandée en 67 386,30 euros de préjudice économique correspondant à la perte de 35 % de son salaire sur sa période de "préretraite" et en 45 000 euros en réparation d'un préjudice qu'il qualifie "d'incidence professionnelle" correspondant aux sentiments de dévalorisation et de perte d'estime de soi qu'il a ressentis du fait de la cessation de toute activité professionnelle ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, bien qu'invoquant un préjudice spécifique d'anxiété résultant de l'éventualité de la survenance des pathologies graves liées à l'exposition à l'amiante, n'est atteint d'aucune pathologie médicale, notamment
anxio-dépressive, et n'a développé aucune pathologie imputable aux poussières d'amiante ; qu'il s'ensuit qu'en l'absence d'état pathologique avéré, la présente demande indemnitaire de M. A n'est pas susceptible de relever du dispositif d'indemnisation mis en place par l'article 53 précité, dans le cadre de la procédure dérogatoire d'indemnisation voulue par le législateur au titre de la solidarité nationale, qui met en cause le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, et ne concerne que les demandeurs justifiant d'une d'atteinte portée à leur état de santé, et dont le contentieux relève de la compétence du juge judiciaire ; que les présentes demandes indemnitaires de M. A ne peuvent pas non plus être prises en charge dans le cadre du régime plus général fixé par le livre 4 du code de la sécurité sociale, auquel fait référence le ministre intimé qui invoque à cet égard de façon inopérante l'article L. 413-12 précité relatif aux pensions, dès lors que lesdites conclusions indemnitaires sont étrangères à l'application de tout régime d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles ; que les conclusions relatives à ces demandes étant fondées sur la carence fautive susmentionnée de l'Etat (ministère de la défense) en sa qualité d'employeur de M. A et ce dernier étant agent contractuel de droit public participant à l'exécution d'un service public, la juridiction administrative est compétente pour en connaître ;
Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires de M. A :
Considérant, d'une part, que la personne qui a demandé, dans sa réclamation préalable qui lie le contentieux indemnitaire, la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état dans ladite réclamation, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur invoqué, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle ;
Considérant, d'autre part, que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A a demandé, par une réclamation préalable indemnitaire du 20 août 2009, la somme de 67 386,30 euros en réparation d'un préjudice professionnel ; qu'il a introduit sa requête introductive de première instance le 27 octobre 2009 en réclamant les sommes de 67 386,30 euros en réparation d'un préjudice professionnel et de 10 000 euros en réparation d'un préjudice d'anxiété ; qu'il a formé de nouveau une nouvelle réclamation préalable en cours de première instance, le 3 septembre 2010, en réclamant au surplus les sommes de 45 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle et en portant à 15 000 euros la somme de 10 000 euros demandée en réparation d'un préjudice d'anxiété ; qu'il a produit un mémoire devant le tribunal le 24 novembre 2010 en réclamant les dites sommes de 45 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle et de 15 000 euros en réparation d'un préjudice d'anxiété ; qu'enfin, devant la Cour, M. A réclame les sommes de 67 386,30 euros en réparation d'un préjudice professionnel, de 45 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle et de 15 000 euros en réparation d'un préjudice d'anxiété ;
Considérant qu'il s'ensuit que les conclusions relatives à ladite somme de 45 000 euros ne sont pas nouvelles en appel et que la fin de non-recevoir opposée à ce titre par le ministre intimé manque en fait ; qu'il s'ensuit également que les conclusions relatives aux deux sommes susmentionnées de 15 000 et 45 000 euros ont été formulées par une seconde demande préalable et que la fin de non-recevoir opposée par le ministre intimé, tirée d'une absence de liaison du contentieux quant à ces deux sommes, manque aussi en fait ;
Considérant, en tout état de cause, que lesdites sommes ainsi réclamées de 67 386,30 euros en réparation d'un préjudice professionnel, de 45 000 euros en réparation d'une incidence professionnelle et de 15 000 euros en réparation d'un préjudice d'anxiété, bien que distinctes par le chef de préjudice invoqué, se référent au même fait générateur constitué par la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) en sa qualité d'employeur dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre les poussières d'amiante, carence fautive invoquée dès la réclamation préalable qu'elle qualifie d'inexcusable ; que des chefs de préjudices nouveaux rattachés à ce même fait générateur pouvaient donc, en tout état de cause, être invoqués pour la première fois, tant devant les premiers juges que devant la Cour, dès lors qu'ils reposent sur la même cause juridique et que les prétentions indemnitaires de l'intéressé à ce titre n'excèdent pas la limite du montant total de la demande d'indemnisation chiffrée en première instance ;
Sur le bien-fondé des conclusions indemnitaires tendant à la réparation des préjudices économique et d'incidence professionnelle :
Considérant, d'une part, qu'il résulte des termes de l'article 41 précité de la
loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, éclairés par les débats parlementaires, que le dispositif de l'allocation spécifique anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante a été mis en place, non dans le but d'indemniser intégralement lesdits travailleurs des conséquences dommageables de leur période passée d'exposition aux poussières d'amiante, mais aux fins, d'une part, de leur accorder une période de "préretraite" pour compenser la baisse statistiquement significative de leur espérance de vie en leur donnant la possibilité de pouvoir bénéficier d'une période de réelle "retraite" d'une durée équivalente à celle dont ils auraient pu bénéficier s'ils n'avaient pas été exposés audites poussières, d'autre part et à titre préventif, de favoriser le départ de leur lieu de travail amianté pour éviter qu'ils n'y travaillent encore avant que des opérations de désamiantage soient entreprises ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que M. A n'invoque pas la responsabilité de l'Etat législateur lors de la mise en place du fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; qu'il n'invoque pas non plus la carence fautive de l'Etat (ministère chargé du travail) dans l'exercice des pouvoirs de contrôle des services de l'inspection du travail, mais fait valoir, ainsi qu'il a été dit, la carence fautive de son employeur, l'Etat (ministère de la défense) qui l'a fait travailler dans des conditions d'hygiène et de sécurité sans protection contre les poussières d'amiante ;
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant, en premier lieu, qu'à la date à laquelle M. A a été recruté, en 1979, et a fortiori les années suivantes, l'Etat (ministère de la défense) en sa qualité d'employeur ne pouvait ignorer les risques inhérents à l'inhalation de poussières d'amiante, compte tenu notamment de l'édiction dès 1977 du décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante ; qu'il n'est pas contesté qu'aucune mesure de protection particulière contre ces poussières n'a été prise dans les ateliers concernés par le travail de pyrotechnicien de M. A, l'exposant ainsi à des conditions de travail dangereuses pour son état de santé ; que dans ces conditions, l'Etat (ministère de la défense) a fait preuve d'une carence fautive de nature à engager sa responsabilité ;
En ce qui concerne le préjudice économique :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 21 décembre 2001 : "Une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : (...)" ; et qu'aux termes de l'article 6 du même décret : "Pour bénéficier de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, l'ouvrier de l'Etat formule une demande qui est adressée à l'administration, à la collectivité ou à l'établissement qui l'emploie, accompagnée des pièces justificatives nécessaires pour établir ses droits." ;
Considérant que M. A, qui ne touche, du fait du bénéfice de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, que 65% de son salaire à compter du 1er décembre 2008, réclame au titre du préjudice économique le différentiel de 35 % manquant sur sa période de "préretraite" courant du 1er décembre 2008 à la date de la liquidation de sa pension ; qu'il soutient qu'ayant été longtemps exposé aux poussières d'amiante, il a en réalité été contraint de partir en "préretraite" ; qu'il fait à cet égard valoir l'alternative, inévitable selon lui, devant laquelle il se serait trouvé au 1er décembre 2008 consistant, soit à continuer à travailler jusqu'à l'âge de la liquidation optimale de sa pension, en perdant alors le bénéfice d'une période de réelle "retraite" allongée par la période de "préretraite" mise en place par le dispositif susmentionné, soit de bénéficier de cet allongement mais en perdant alors le solde de 35% de rémunération du fait de la diminution de la durée de sa période d'activité ;
Considérant toutefois que le salarié qui opte pour le régime de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante se trouve placé dans une situation réglementaire à laquelle il ne peut apporter aucune modification, ni au moment de son adhésion, ni après ; que le bénéfice de ce statut légal est subordonné à la double condition expresse que le salarié ait démissionné de sa propre initiative et qu'il cesse toute activité professionnelle en vue de percevoir l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité ; que dans ces conditions, la carence fautive susmentionnée ne présente aucun lien de causalité suffisamment direct et certain avec le préjudice économique invoqué par M. A, dès lors que celui-ci a exercé librement le choix de solliciter le bénéfice du régime de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, alors qu'il était en mesure de solliciter une mutation sur un poste de travail non amianté ; qu'à cet égard, le ministre intimé soutient, sans être sérieusement contesté sur ce point, qu'il existait au sein de ses services de tels postes susceptibles d'accueillir M. A s'il en avait fait la demande ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande indemnitaire tendant à la réparation de son préjudice économique évalué à 67 386,30 euros ;
En ce qui concerne le préjudice dit "d'incidence professionnelle" :
Considérant que le préjudice qualifié "d'incidence professionnelle" par l'intéressé correspond ainsi qu'il a été dit à la réparation des sentiments de dévalorisation et de perte d'estime de soi qu'il a ressentis du fait de la cessation de toute activité professionnelle ; que ce chef de préjudice doit être regardé comme consistant en un préjudice né de troubles dans les conditions d'existence de l'intéressé et un préjudice moral, consécutifs au choix, auquel ce dernier estime avoir été contraint, de bénéficier de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité du fait de la carence fautive susmentionnée de son employeur ; qu'ainsi qu'il a été dit s'agissant du préjudice économique, un tel choix ne peut être regardé comme contraint ; qu'il s'ensuit que le préjudice qualifié "d'incidence professionnelle" ne présente pas un lien de causalité direct et certain avec la carence fautive invoquée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande indemnitaire tendant à la réparation "d'une incidence professionnelle" évaluée à 45 000 euros ;
En ce qui concerne le préjudice "d'anxiété" :
Considérant que M. A, estimant que son espérance de vie a été diminuée notablement du fait de l'absorbation par ses poumons de poussières d'amiante pendant ses années d'activité professionnelle, soutient vivre depuis dans un état d'anxiété justifiant une réparation à ce titre fondée sur la carence fautive susmentionnée de son employeur ;
Considérant, en premier lieu, que le préjudice qualifié "d'anxiété" n'est pas constitutif devant le juge administratif d'un poste de préjudice spécifique, mais doit être regardé comme incorporé dans les postes constitués par les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral, susceptibles d'être indemnisés sans que soit nécessairement caractérisé un état pathologique d'anxio-dépression ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'est établi de façon statistiquement significative le lien entre une exposition suffisamment longue d'un travailleur aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que la reconnaissance de ce lien statistique par le législateur a été à l'origine de la mise en place de deux dispositifs d'indemnisation fondés sur la solidarité nationale, d'une part et s'agissant des travailleurs effectivement tombés malades, par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, d'autre part, et s'agissant de tous les travailleurs, par le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; que M. A, qui n'est pas tombé malade, bénéficie de ce dernier dispositif lequel, ainsi qu'il a été dit et compte tenu des termes de l'article 41 précité de la
loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 éclairés par les débats parlementaires, ne l'indemnise pas intégralement des conséquences dommageables de sa période passée d'exposition aux poussières d'amiante ;
Considérant, en troisième lieu, que ces études statistiques générales susmentionnées ne suffisent pas, à elles seules, à établir les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral invoqués par M. A du seul fait d'une diminution probable de son espérance de vie, et qu'il lui appartient donc d'apporter devant le juge des éléments complémentaires probants relatifs à sa situation personnelle ; qu'il résulte à cet égard de l'instruction que M. A, né en 1958, a travaillé en qualité d'ouvrier de pyrotechnie, au sein de la DCN du 9 avril 1979 au
1er mars 2003, soit de l'âge de 21 ans à l'âge de 55 ans, puis au sein des services de la direction du service de soutien de la flotte (DSSF), du 1er mars 2003 au 1er décembre 2008 ; que
M. A a travaillé dans des ateliers relevant de la DCN l'exposant aux poussières d'amiante pendant une suffisamment longue période pour pouvoir, d'une part, le faire bénéficier du régime de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, d'autre part, l'inclure dans le dispositif préventif prévu par l'arrêté susvisé du 28 février 1995, dont l'annexe II prévoit une surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax, tous les deux ans ; que les données techniques versées au dossier montrent que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons, traversent ceux-ci jusqu'à la plèvre, sans que l'organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales ; qu'un suivi médical régulier n'est pas établi en l'espèce de façon suffisamment sérieuse pour démontrer des troubles dans les conditions d'existence de l'intéressé ; qu'il résulte toutefois de l'instruction, eu égard notamment à la circonstance que certains de ses anciens collègues de travail sont décédés du fait de l'amiante, que l'intéressé vit dans la crainte de découvrir subitement une pathologie grave, nonobstant le fait que son état de santé ne s'accompagne pour l'instant d'aucun symptôme clinique ou manifestation physique, et subit à ce titre un préjudice moral ;
Considérant, que ce préjudice moral est en lien suffisamment direct et certain avec la carence fautive susmentionnée de l'Etat en sa qualité d'employeur ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en l'évaluant à hauteur de 8 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander à la Cour de réformer le jugement attaqué et, par l'effet dévolutif de l'appel, de condamner l'Etat (ministère de la défense) à verser à M. A une indemnité de 8 000 euros ;
Sur les intérêts au taux légal :
Considérant qu'en application de l'article 1153 du code civil, cette somme de 8 000 euros portera intérêts aux taux légal à compter du 24 août 2009, date de réception de la réclamation préalable de M. A ; qu'en application de l'article 1154 du code civil, les intérêts porteront intérêts au 24 novembre 2010, date de la première demande d'anatocisme et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par l'appelant ;
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat (ministère de la défense) est condamné à verser à M. A une indemnité de 8 000 euros (huit mille euros).
Article 2 : Cette somme de 8 000 euros (huit mille euros) portera intérêts au taux légal à compter du 24 août 2009. Les intérêts porteront intérêts au 24 novembre 2010 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat (ministre de la défense) versera à M. A la somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de l'appel n° 11MA00739 de M. A est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Patrick A et au ministre de la défense.
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N° 11MA00739 2