Cour Administrative d'Appel de Versailles, 1ère Chambre, 29/12/2011, 10VE00762, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 29 décembre 2011 |
Num | 10VE00762 |
Juridiction | Versailles |
Formation | 1ère Chambre |
President | M. SOUMET |
Rapporteur | Mme Laurence BELLE VANDERCRUYSSEN |
Commissaire | Mme DIOUX-MOEBS |
Avocats | PINARD |
Vu la requête, enregistrée le 9 mars 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour M. Jean-Louis A, demeurant ..., par Me Pinard, avocat à la Cour ; M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0712548 du 8 janvier 2010 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser en lui versant une somme d'un million d'euros en réparation du préjudice qu'il a subi du fait du décès de sa mère ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir ladite décision ;
3°) de condamner le ministre de la défense à lui verser la somme d'un million d'euros ;
M. A soutient, en premier lieu, que le contrat de travail de sa mère du 31 mars 1942 comportait un visa du Quai d'Orsay ; que la responsabilité du ministère des affaires étrangères est engagée puisque tous les documents d'embauche ont été avalisés par celui-ci ; qu'elle a d'ailleurs obtenu une indemnité du département de la Seine ; en deuxième lieu, qu'elle a été trompée sur sa destination puisqu'elle est partie non pas en Allemagne, mais en Autriche ; que ses conditions de logement s'apparentaient à celles des travaux forcés et donc à celles du travail obligatoire ; que s'agissant, en troisième lieu, de son préjudice, il a été reconnu par la société Daimler Chrysler mais que, toutefois, ni cette société ni l'ambassade d'Autriche n'ont répondu favorablement à sa demande ; que son préjudice est lié au décès de sa mère en relation directe avec la faute commise par le gouvernement français ; que sa mère est décédée à la suite d'un bombardement dans l'usine en 1944 ; que, dans son enfance, n'ayant plus de nouvelles de leur mère, lui et son frère, âgés de 7 et 10 ans, ont été reconnus abandonnés et placés par l'assistance publique ; qu'ils ont travaillé dans des fermes en qualité de domestiques et qu'il est parti faire son service militaire en Algérie en 1957 tandis que son frère décédait après une longue période d'internement ; que si le décès de sa mère avait été signalé plus tôt, il serait resté en métropole en qualité de chef de famille ; qu'outre le traumatisme, ce décès lui a fait perdre toute chance d'avoir une vie normale ; qu'en rentrant d'Algérie, il n'a trouvé qu'un poste d'éboueur à Paris ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949 ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 décembre 2011 :
- le rapport de Mme Belle, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Dioux-Moebs, rapporteur public ;
Considérant que M. A relève appel du jugement du 8 janvier 2010 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser en lui versant une somme d'un million d'euros en réparation du préjudice qu'il a subi du fait du décès de sa mère, le 24 février 1944, alors qu'elle travaillait en Autriche à l'usine Daimler-Puch à Steyr ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que M. A fait valoir que le Tribunal n'aurait pas répondu au moyen tiré de ce que la convention de Genève du 27 juillet 1929, relative aux prisonniers de guerre, dont les stipulations ont été reprises dans la convention de Genève du 12 août 1949 susvisée, interdit à tout signataire de fournir de la main d'oeuvre aux pays ennemis en temps de guerre ; que, toutefois, le Tribunal a répondu à ce moyen en l'écartant comme inopérant dès lors que les stipulations de la convention de Genève sont dépourvues d'effet direct dans les relations entre les Etats et leurs ressortissants et ne peuvent, par suite, être utilement invoquées ; qu'il suit de là que le moyen titré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté ;
Sur la faute imputable à l'Etat du fait du départ de Mme Fleury du territoire français sous la contrainte pour effectuer un service de travail obligatoire :
Considérant qu'il résulte des dispositions des articles L. 308 et L. 309 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que, pour pouvoir prétendre au titre de personne contrainte au travail en pays ennemi, les intéressés doivent avoir été dans l'obligation de quitter le territoire national à la suite d'une rafle ou du fait d'une réquisition en vertu des textes relatifs au service du travail obligatoire ; qu'il résulte notamment des termes de l'article L. 309 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : Sont considérées comme ayant été contraintes les personnes ayant fait l'objet d'une rafle ou encore d'une réquisition opérée en vertu des actes dits loi du 4 septembre 1942, décret du 19 septembre 1942, loi du 16 février 1945, loi du 1er février 1944 relatifs au service du travail obligatoire, dont la nullité a été expressément constaté ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que Mme Fleury a quitté la France pour l'Allemagne pour travailler alors qu'elle ne trouvait pas de travail en France et a été finalement affectée en Autriche ; que, selon son fils, les conditions de son logement s'apparentaient à ceux des travaux forcés bien que son contrat de travail du 31 mars 1942 ait été visé par le Quai d'Orsay ; que, toutefois, elle n'a pas été réquisitionnée pour effectuer ce travail, même si elle a bénéficié d'une indemnité de la préfecture de la Seine, mais est partie volontairement à l'étranger compte tenu de ses contraintes économiques ; que la seule circonstance qu'elle aurait été finalement affectée en Autriche dans des conditions matérielles difficiles ne peut suffire à démontrer qu'elle aurait été contrainte ou réquisitionnée, au sens et pour l'application des dispositions ci-dessus rappelées son contrat de travail ayant été, en tout état de cause, signé avant l'intervention des actes ci-dessus rappelés ;
Considérant, en second lieu, que M. A fait valoir que son préjudice est lié au décès de sa mère en relation directe avec la faute commise par le gouvernement français qui a officiellement autorisé son départ dès lors que sa mère est décédée à la suite d'un bombardement dans l'usine où elle travaillait en 1944 en Autriche ; que, toutefois, le requérant ne démontre l'existence d'aucune faute commise par l'Etat du fait du départ de sa mère en Autriche ; que, par suite, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Considérant, enfin, que M. A soutient que la réalité de son préjudice a été reconnue par la société Daimler Chrysler mais que ni cette société ni l'ambassade d'Autriche n'ont répondu favorablement à sa demande d'indemnisation ; que ces circonstances sont sans influence sur la solution du litige dès lors que M. A demande l'indemnisation du préjudice qui lui a été causé par l'Etat dont il ne démontre pas, en tout état de cause, la faute ;
Sur la faute commise par l'Etat qui ne l'a informé des circonstances du décès de sa mère que le 14 août 2006 :
Considérant que M. A soutient, d'une part, que les services de l'Etat ont commis une faute en l'informant tardivement du décès de sa mère alors qu'ils en avaient connaissance dès le 10 avril 1946 ; que, toutefois, il n'établit pas, comme il l'allègue, que le 1er janvier 1957, date à laquelle il a été incorporé pour effectuer son service militaire en Algérie, les services de l'Etat auraient eu connaissance du décès de sa mère, dont la disparition avait été constatée à l'issue des hostilités, et qu'ils auraient commis une faute en ne l'en informant pas, faute qui aurait été à l'origine de son incorporation, qui n'aurait pas eu lieu si la qualité de soutien de famille lui avait été reconnue ; qu'il résulte seulement de l'instruction qu'en 1963, il a reçu des correspondances de la gendarmerie au sujet de la disparition de sa mère ; que s'il soutient que lui et son frère se sont crus abandonnés par sa mère, le service social de l'enfance du département de Paris, auquel ils avaient été confiés, s'est borné à constater leur abandon matériel sans se prononcer sur les circonstances exactes de la disparition de leur mère ; que, par suite, la faute alléguée ne peut être regardée comme établie ;
Considérant que M. A fait valoir, d'autre part, qu'il n'a appris que le 14 août 2006 les circonstances du décès de sa mère, lorsque le ministre de la défense a levé le secret défense sur l'affaire et a cru pendant plusieurs décennies que celle-ci l'avait abandonné ; que, toutefois, il n'établit pas que son ignorance des circonstances exactes du décès de sa mère aurait pour origine la volonté des services de l'Etat de ne pas lever le secret défense , la lettre de l'ambassade de France en Allemagne du 14 août 2006 versée au dossier ne faisant état que d'une recherche entreprise par le centre international de recherches ; qu'en outre, deux correspondances de la gendarmerie lui avaient été adressées en 1963 et 1976, lui indiquant que sa mère avait été portée disparue pendant la guerre de 39/45 ; que, par suite, la faute alléguée qui résulterait du maintien du secret défense ne peut être regardé comme établie ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
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N° 10VE00762 2