Cour Administrative d'Appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 03/04/2012, 09MA03555, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 03 avril 2012 |
Num | 09MA03555 |
Juridiction | Marseille |
Formation | 8ème chambre - formation à 3 |
President | M. GONZALES |
Rapporteur | Mme Hélène BUSIDAN |
Commissaire | Mme VINCENT-DOMINGUEZ |
Avocats | PASQUIER |
Vu la requête, enregistrée le 25 septembre 2009, présentée par Me Jean-Yves Pasquier, avocat, pour M. Jean-Marie A, élisant domicile ... ; M. A demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0502932 rendu le 8 juillet 2009 en tant que, par l'article 1er dudit jugement, le tribunal administratif de Nice a limité à la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts légaux avec anatocisme, la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis consécutifs à sa radiation des services avant la limite d'âge ;
2°) de porter cette indemnisation à la somme de 280 200 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 3 juin 2005 et de la capitalisation des intérêts à compter du 3 juin 2006 ;
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu le code civil ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 février 2012 :
- le rapport de Mme Busidan, rapporteur,
- les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public,
- et les observations de Me Pasquier pour M. A ;
Considérant que M. Jean-Marie A, né en 1960 et engagé dans la Marine Nationale depuis 1981, nommé quartier maître principal en 1996 et exerçant les fonctions d'infirmier anesthésiste à l'hôpital d'instruction des armées Sainte Anne, s'est vu infliger le 4 juin 1998, sur une présomption de toxicomanie, une sanction disciplinaire de 20 jours d'arrêt, alors qu'il se trouvait, depuis la fin du mois d'avril précédent, dans un état de santé fragilisé par un "syndrome dépressif réactionnel à un conflit familial", selon les termes du médecin du travail de l'hôpital Sainte Anne consulté par l'intéressé le 4 mai 1998 ; qu'à la suite d'une demande présentée par M. A en avril 2000 auprès du tribunal administratif de Nice tendant à l'annulation de cette sanction, le ministre l'a retirée comme non fondée le 14 août 2000 ; que cependant, depuis le 26 août 1998, M. A avait été placé en congé de longue durée pour un état dépressif ; que, par jugement du 20 novembre 2003, le tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône a décidé, après expertise diligentée auprès d'un neuropsychiatre, l'allocation à compter du 17 septembre 1998 d'une pension d'invalidité au taux de 60 %, se décomposant en 40 % imputables au service et 20 % imputables à l'état antérieur de l'intéressé, au titre d'un psycho-syndrome traumatique ; qu'à la suite de ce jugement, l'administration a poursuivi le placement en congé longue durée de l'intéressé comme dû à une affection imputable au service ; qu'à l'issue de ses droits à congé, il a été radié des cadres le 26 août 2006 pour inaptitude au service avec droit à pension, avant la limite d'âge de son grade ; qu'estimant qu'une faute de l'administration était à l'origine de cette radiation prématurée des cadres et lui avait causé des préjudices tant personnels que matériels, M. A a demandé à en être indemnisé ; que, par jugement rendu le 8 juillet 2009, le tribunal administratif de Nice a condamné l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation des souffrances physiques, morales et des troubles dans les conditions d'existence subis par l'intéressé, mais a refusé toute indemnisation relative à un préjudice financier ; que M. A interjette appel du jugement rendu le 8 juillet 2009 en demandant la revalorisation de son indemnisation ;
Sur la responsabilité de l'Etat et l'évaluation des préjudices :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté par le ministre de la défense, qui a retiré la sanction infligée comme non fondée, que ledit ministre a commis une erreur de fait entachant d'illégalité la sanction infligée à M. A ; que, toutefois, cette illégalité fautive ne peut ouvrir droit à réparation au profit du requérant qu'à la condition qu'elle soit à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par lui ;
Considérant qu'il résulte tant du rapport de l'expert diligenté par le tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône que des énonciations du jugement rendu par cette juridiction que les difficultés psychologiques de l'intéressé étaient temporaires et auraient été rapidement surmontées moyennant un soutien psychologique adapté si l'intéressé n'avait pas été accusé à tort de toxicomanie ; qu'ainsi, la sanction fondée sur cette accusation erronée doit être regardée comme ayant directement et entièrement causé le traumatisme durable affectant l'état de santé de M. A, qui a d'abord nécessité son placement en congé de longue durée pendant 8 ans, puis a conduit à sa radiation des cadres pour inaptitude physique ; que l'administration doit, par suite, réparer intégralement l'ensemble des dommages, patrimoniaux ou non, endurés du fait de la maladie causée à M. A ;
Considérant, s'agissant des préjudices patrimoniaux, que M. A sollicite, en premier lieu, une indemnité réparant les pertes de rémunération entraînées, d'une part, par le versement d'un demi-traitement durant les trois dernières années de son placement en congé longue durée, entre les 26 août 2003 et 2006, d'autre part, par sa radiation des cadres pour mise à la retraite pour inaptitude, du 26 août 2006 jusqu'au 29 avril 2016, jour où il aurait atteint la limite d'âge du grade détenu à la date de sa radiation, soit 56 ans pour les majors infirmiers ; que, dès lors qu'il faut considérer que M. A aurait été apte à travailler durant ces périodes, il convient de déduire des rémunérations auxquelles il aurait pu prétendre, la pension d'invalidité et la pension de retraite qui lui ont été, ou lui seront, servies pendant ces mêmes périodes ; que compte tenu des éléments figurant au dossier, notamment ceux indiqués par le ministre en première instance sur la rémunération qu'aurait perçue, en mars 2008, M. A, s'il avait poursuivi sa carrière dans le grade de major infirmier auquel il avait été promu en décembre 1998, il sera fait une juste appréciation de l'indemnité réparant les pertes de rémunération précitées subies par l'appelant en l'évaluant à la somme de 102 880 euros ;
Considérant que M. A soutient en deuxième lieu qu'il a également perdu une chance sérieuse d'être promu, par concours, au grade d'officier durant la carrière qu'il n'a pu poursuivre et demande, au titre de cette perte professionnelle, l'allocation d'une somme de 60 000 euros ; que cependant, la circonstance qu'il a toujours réussi les concours qu'il a présentés, y compris celui passé au début de la période où il a éprouvé des difficultés de santé, un feuillet de mutation établi en 1996 faisant état de ses "qualités professionnelles et intellectuelles remarquables" ainsi que des lettres de félicitations ou d'octroi de médailles sont insuffisants à établir la perte de chance sérieuse alléguée ;
Considérant enfin qu'il résulte de l'instruction qu'eu égard aux séquelles psychologiques très importantes engendrées par la sanction illégale, et à ses répercussions sur la carrière de l'intéressé, qui s'est arrêtée à l'âge de 38 ans alors que, jusque là, M. A la réussissait remarquablement, le tribunal administratif de Nice a fait une insuffisante appréciation de la réparation à allouer au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par l'appelant ; qu'il y a lieu de porter l'indemnité réparant lesdits préjudices à la somme de 20 000 euros ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant d'une part que les sommes mentionnées ci-dessus porteront intérêts à compter de la date demandée par l'intéressé, soit le 3 juin 2005, date d'enregistrement de sa demande auprès du tribunal administratif de Nice ;
Considérant, d'autre part, que, pour l'application des dispositions de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée, et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que l'appelant a demandé pour la première fois la capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré le 18 août 2007 ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande à cette date, et à chaque échéance annuelle, à compter de cette date ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a borné son indemnisation à la somme de 10 000 euros, et à obtenir que le montant global de l'indemnité réparant les préjudices invoqués soit porté à la somme de 122 880 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2005 avec capitalisation à compter du 18 août 2007 ; que le jugement doit être réformé dans cette mesure ;
Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A dans l'instance et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'indemnité que l'Etat est condamné à payer à M. A est portée à la somme de 122 880 euros (cent vingt-deux mille huit cent quatre-vingts euros). La somme précitée portera intérêts à compter du 3 juin 2005, et capitalisation des intérêts à compter du 18 août 2007 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Le jugement rendu le 8 juillet 2009 par le tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent dispositif.
Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 2 000 (deux mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Marie A et au ministre de la défense et des anciens combattants.
''
''
''
''
N° 09MA035552