Conseil d'État, 4ème sous-section jugeant seule, 28/03/2013, 356352, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision28 mars 2013
Num356352
Juridiction
Formation 4ème sous-section jugeant seule
RapporteurM. Christophe Eoche-Duval
AvocatsSCP COUTARD, MUNIER-APAIRE


Vu le pourvoi, enregistré le 1er février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de la défense et des anciens combattants ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10/00009 du 2 décembre 2011 par lequel la cour régionale des pensions de Rennes, infirmant le jugement du 8 décembre 2009 du tribunal départemental des pensions d'Ille-et-Vilaine, a accordé à M. A...B...la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité, calculée initialement au grade d'adjudant-chef de l'armée de terre, en fonction de l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M.B... ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Eoche-Duval, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de M.B...,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de M. B...;




Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de la requête d'appel de M. B... :

1. Considérant qu'aux termes du troisième et du dernier alinéa de l'article 10 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions : " Les jugements des tribunaux des pensions sont notifiés par le greffier de la juridiction par lettre recommandée avec demande d'avis de réception envoyée le même jour à chacune des parties. (...) / La notification doit mentionner les voies et délais de recours ainsi que la juridiction devant être saisie " ; qu'aux termes de l'article 11 du même décret, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les décisions du tribunal départemental des pensions sont susceptibles d'appel devant la cour régionale des pensions soit par l'intéressé, soit par l'Etat. (...) / L'appel est introduit par lettre recommandée adressée au greffier de la cour dans les deux mois de la notification de la décision. (...) / Les règles posées par les articles précédents pour la procédure à suivre devant le tribunal départemental sont (...) applicables devant la cour (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 6 du même décret : " Le tribunal est saisi par l'envoi d'une lettre recommandée adressée au greffier. " ; qu'enfin, l'article R. 57 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dispose : " La requête par laquelle le tribunal est saisi (...) précise l'objet de la demande et les moyens invoqués (...) " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le jugement du 8 décembre 2009 du tribunal départemental des pensions d'Ille-et-Vilaine n'a pas été régulièrement notifié à M. B...; qu'ainsi, la circonstance que l'appel de M. B...ait été motivé plus de deux mois après son introduction est sans influence sur la recevabilité ; que, par suite, la cour régionale des pensions n'a pas commis d'erreur de droit en admettant la recevabilité de l'appel de M.B... ;

Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande de révision de M.B... :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Les pensions militaires prévues par le présent code sont liquidées et concédées, sous réserve de la confirmation ou modification prévues à l'alinéa ci-après, par le ministre des anciens combattants et des victimes de guerre ou par les fonctionnaires qu'il délègue à cet effet (...). / Les concessions ainsi établies sont confirmées ou modifiées par un arrêté conjoint du ministre des anciens combattants et victimes de guerre et du ministre de l'économie et des finances. La concession ne devient définitive qu'après intervention dudit arrêté. / (...) / Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables aux militaires et marins de carrière (...), pour lesquels la pension est liquidée (...) par le ministre d'Etat chargé de la défense nationale (...), la constatation de leurs droits incombant au ministre des anciens combattants et victimes de la guerre. Ces pensions sont concédées par arrêté signé du ministre de l'économie et des finances. " ; qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 25 du même code, qui était déjà en vigueur à la date des notifications litigieuses : " La notification des décisions prises en vertu de l'article L. 24, premier alinéa, du présent code, doit mentionner que le délai de recours contentieux court à partir de cette notification et que les décisions confirmatives à intervenir n'ouvrent pas de nouveau délai de recours " ; que le délai de recours contentieux de six mois prévu à l'article 5 du décret du 20 février 1959 court du jour où la décision prise en application du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre a été notifiée au pensionné dans les formes prévues à l'article L. 25 du même code ; qu'il appartient à l'administration, lorsqu'elle oppose à l'intéressé la tardiveté de son recours, de justifier devant le juge de la date à laquelle elle a notifié la décision contestée et du respect des formes prescrites pour cette notification par les dispositions législatives et règlementaires en vigueur ;

4. Considérant qu'est sans incidence la circonstance que, par une erreur de plume, la cour régionale des pensions de Rennes a mentionné que l'arrêté de concession de pension militaire d'invalidité au taux de 70 % du 26 janvier 1982, dont M.B... a demandé le 5 février 2008 au ministre de la défense de recalculer l'indice, a été édicté en " 2002 " ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et qu'il n'est pas sérieusement contesté, que l'arrêté du 26 janvier 1982 a été régulièrement notifié ; que, pour écarter la forclusion soulevée par le jugement du 8 décembre 2009 du tribunal départemental des pensions d'Ille-et-Vilaine, tirée de la tardiveté de la demande de revalorisation de l'arrêté de concession de pension de M.B... dans les conditions prévues à l'article 5 du décret du 20 février 1959 précité, la cour a jugé que la demande de l'intéressé, tendant à mettre fin à une discrimination fondée sur l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entrait dans les prévisions de l'article L. 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, permettant de solliciter la révision de l'indice du grade sans condition de délai ;

5. Mais considérant, ainsi qu'il a été dit au point 4, que la demande de M. B... de révision de sa pension militaire du 26 janvier 1982, introduite le 5 février 2008, n'était pas tardive ; que, par suite, elle était recevable ; que ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif erroné en droit retenu par l'arrêt attaqué ; qu'un tel motif justifiant légalement cette décision en ce qu'elle écarte la tardiveté de la requête introductive de M.B..., le moyen du ministre de la défense et des anciens combattants tiré de l'erreur de droit de la cour régionale des pensions de Rennes en accueillant cette requête n'est pas fondé ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi du ministre de la défense et des anciens combattants doit être rejeté ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Coutard Munier-Apaire, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la SCP Coutard Munier-Apaire ;




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de la défense et des anciens combattants est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la SCP Coutard Munier-Apaire, avocat de M. B..., une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de la défense et à M. A... B....


ECLI:FR:CESJS:2013:356352.20130328