Conseil d'État, 4ème SSJS, 17/04/2015, 383948, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision17 avril 2015
Num383948
Juridiction
Formation4ème SSJS
RapporteurM. Benjamin de Maillard
CommissaireMme Gaëlle Dumortier
AvocatsSCP DE NERVO, POUPET

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 août et 2 octobre 2014 et le 4 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande du 23 avril 2014 tendant au versement d'une somme de 20 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la durée excessive de procédure ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser en réparation du préjudice subi en raison de la durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative, une indemnité de 20 346,33 euros au titre des préjudices matériel et moral ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin de Maillard, auditeur,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de M. A...;




Sur la responsabilité :

1. Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ;

2. Considérant que le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement ; que lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A...a demandé le 25 juillet 2002 au ministre de la défense le versement d'une pension militaire d'invalidité pour des séquelles auditives et des troubles psychiques liés à un traumatisme sonore subi en 1997 dans le cadre de son service ; que le ministre a rejeté cette demande par une décision en date du 21 février 2005 ; que le requérant a saisi le 15 mars 2005 le tribunal des pensions du Bas-Rhin, qui après avoir ordonné, le 14 novembre 2005, par un jugement avant-dire droit, des expertises médicales, a, par un jugement du 11 juin 2007, rejeté sa demande ; que M. A...a relevé appel de ce jugement devant la cour régionale des pensions de Colmar qui, après avoir diligenté un complément d'expertise par un arrêt avant dire-droit du 9 juin 2009, a fait droit à son appel par un arrêt du 8 novembre 2011 et jugé que son infirmité devait lui ouvrir droit à une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % ;

4. Considérant que la durée globale de la procédure, qui doit s'apprécier à compter de la date de la demande de pension présentée par M. A...auprès du ministre de la défense, cette demande étant un préalable obligatoire à la saisine de la juridiction des pensions, a été de 9 ans et 3 mois ; que si l'affaire, qui a nécessité des expertises devant le tribunal des pensions et devant la cour régionale des pensions, présentait des éléments de complexité, M. A... est néanmoins fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu et à demander la réparation par l'Etat des préjudices qu'il a subis pour ce motif ;

Sur les préjudices :

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en l'espèce, M. A...a subi, du fait du délai excessif de la procédure de jugement, des désagréments allant au-delà de ceux provoqués habituellement par un procès ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice moral en le fixant à 4 000 euros tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

6. Considérant que si l'article L. 115 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre limite la gratuité aux soins en rapport avec l'affection pensionnée, l'article L. 371-6 du code de la sécurité sociale dispense l'assuré de son pourcentage de participation aux frais médicaux, pharmaceutiques et autres mis à la charge des assurés malades ou invalides ; qu'il résulte de l'instruction que M. A...a subi un préjudice matériel correspondant aux frais de mutuelle et de soins de santé dont il a dû s'acquitter ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice matériel en le fixant à 2 000 euros tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

7. Considérant que M. A...soutient avoir subi en outre un préjudice matériel en ce qu'il n'a pas bénéficié de la demi-part fiscale supplémentaire reconnue aux titulaires d'une pension militaire d'invalidité d'au moins 40 pour cent par les dispositions du c) de l'article 195 du code général des impôts ; que, toutefois, seul le préjudice portant sur la période excédant le délai raisonnable de procédure est en lien avec la faute ; qu'il résulte de l'instruction qu'une fois bénéficiaire de son titre d'invalidité, le requérant aurait pu former une réclamation devant l'administration fiscale pour les impositions au titre des années 2009 à 2012 ; qu'il n'était pas imposable au cours de la période courant entre la date du dépassement du délai raisonnable de procédure et la date à laquelle il pouvait encore faire une réclamation devant l'administration fiscale ; que, par suite, ses conclusions indemnitaires présentées à ce titre doivent être rejetées ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner l'Etat à verser à M. A...une somme de 6 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de ces dispositions ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. A...une somme de 6 000 euros.

Article 2 : L'Etat versera à M. A...la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

ECLI:FR:CESJS:2015:383948.20150417