Conseil d'État, 4ème SSJS, 17/06/2015, 375392, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
M. A...B...a demandé au tribunal des pensions de la Vienne de réviser sa pension militaire d'invalidité pour tenir compte de deux nouvelles infirmités. Par un jugement n° 12/33 du 17 décembre 2012, le tribunal des pensions de la Vienne a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 24 du 15 octobre 2013, la cour régionale des pensions de Poitiers a rejeté l'appel de M. B...tendant à l'annulation de ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février 2014, 12 mai 2014 et 26 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la SCP Thouin-Palat, Boucard, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que la cour régionale des pensions a commis une erreur de droit en déclarant sa requête irrecevable comme tardive, alors qu'il avait formé une demande d'aide juridictionnelle qui avait interrompu le délai d'appel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2015, le ministre de la défense conclut au rejet du pourvoi ; il soutient que le pourvoi est irrecevable et qu'il s'en remet à la sagesse du Conseil d'Etat dans l'appréciation du bien-fondé de ses moyens.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de M. B...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 39 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsqu'une demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en matière civile devant la Cour de cassation est adressée au bureau d'aide juridictionnelle établi près cette juridiction avant l'expiration du délai imparti pour le dépôt du pourvoi ou des mémoires, ce délai est interrompu. Un nouveau délai court à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné (...) / (...) / Les délais de recours sont interrompus dans les mêmes conditions lorsque l'aide juridictionnelle est sollicitée à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou une juridiction administrative statuant à charge de recours devant le Conseil d'Etat " ;
2. Considérant que la demande d'aide juridictionnelle formée par M. B...pour se pourvoir contre l'arrêt du 15 octobre 2013 de la cour régionale des pensions de Poitiers a fait l'objet d'une décision favorable du bureau d'aide juridictionnelle du Conseil d'Etat du 5 décembre 2013, notifiée à l'intéressé le 19 décembre suivant ; qu'ainsi, le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que le pourvoi de M.B..., enregistré le 12 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, serait tardif et, par suite, irrecevable ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 11 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions : " Les décisions du tribunal départemental des pensions sont susceptibles d'appel devant la cour régionale des pensions soit par l'intéressé, soit par l'Etat. (...) / L'appel est introduit par lettre recommandée adressée au greffier de la cour dans les deux mois de la notification de la décision. (...) / Les règles posées par les articles précédents pour la procédure à suivre devant le tribunal départemental sont (...) applicables devant la cour (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 6 du même décret : " Le tribunal est saisi par l'envoi d'une lettre recommandée adressée au greffier " ; qu'enfin, l'article R. 57 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dispose : " La requête par laquelle le tribunal est saisi (...) précise l'objet de la demande et les moyens invoqués (...) " ; que s'il résulte de ces dispositions que la requête d'appel adressée à la cour régionale des pensions doit contenir, dans le délai de recours, l'énoncé des conclusions et moyens soumis au juge, il résulte des dispositions citées au point 1 que l'introduction d'une demande d'aide juridictionnelle avant l'expiration de ce délai interrompt celui-ci et interrompt, par conséquent, le délai dans lequel un requérant peut introduire une requête ou régulariser une requête insuffisamment motivée ;
4. Considérant que pour rejeter comme irrecevable la requête d'appel introduite par M. B... contre le jugement du tribunal des pensions de la Vienne du 17 décembre 2012, la cour régionale des pensions de Poitiers a jugé que la demande d'aide juridictionnelle introduite par lui le 14 janvier 2013, et à laquelle il a été fait droit le 8 mars 2013, n'avait pas eu pour effet d'interrompre le délai de recours contentieux qui expirait le 20 février 2013 et que, par conséquent, le mémoire motivé présenté par M. B... le 23 avril 2013 n'avait pu régulariser sa requête introductive d'instance qui ne comportait l'énoncé d'aucun moyen ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la cour régionale des pensions de Poitiers a entaché sa décision d'une erreur de droit ; que, M. B... est par suite fondé à en demander l'annulation ;
5. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Thouin-Palat, Boucard ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Poitiers du 15 octobre 2013 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour régionale des pensions de Poitiers.
Article 3 : L'Etat versera à la SCP Thouin-Palat, Boucard une somme de 3 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B...et au ministre de la défense.