CAA de NANTES, 4ème chambre, 22/12/2015, 13NT01847, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C...B...ont demandé au tribunal administratif de Rennes :
1°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 51 586 euros (41 450 euros au titre des bonifications capitalisées de sa pension de retraite à compter du 1er septembre 2008 ; 4 146 euros au titre du rappel sur pensions ; 900 euros au titre du préjudice moral ; 5 000 euros au titre des frais de défense), assortie des intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisés ;
2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur la conformité " des nouveaux textes " avec l'article 141 du traité sur l'Union européenne et de ses éventuelles directives d'application relatives aux régimes professionnels de sécurité sociale.
Par un jugement n° 093737,1103693 du 26 avril 2013, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 24 juin 2013, le 25 juin 2014 et le 15 juin 2015, M. et MmeB..., représentés par MeD..., demandent à la cour, dans le dernier état de ses conclusions :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 avril 2013 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 51 586 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) à titre subsidiaire, de procéder avant dire droit aux mesures d'instruction appropriées pour recueillir les éléments de fait utiles pour statuer sur la réalité de la discrimination alléguée ;
4°) à titre plus subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une double question préjudicielle :
- sur la question de savoir si le droit à un recours effectif devant un tribunal impartial protégé par l'article 47 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l'UE, et les principes de défense des droits et réparation des articles 17 et 18 de la directive n°2006/54 s'opposent à ce que le Conseil d'Etat interprète, par un arrêt de principe, les jurisprudences Griesmar C-366/99 et Leone C-173/13 de la Cour de Justice dans une formation dont 7 à 11 membres sur 15 avaient participé aux avis consultatifs émis dans la " même " affaire ;
- sur la question de savoir si le Conseil d'Etat a, dans son arrêt du 27 mars 2015, dénaturé le sens et la portée de l'arrêt C 176/13 rendu par la CJUE le 17 juillet 2014 ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
-les nouvelles dispositions législatives et réglementaires issues de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2004 et de la loi du 21 août 2003 et de leurs décrets d'application visent à contourner le droit européen ; la condition d'interruption d'activité de plus de deux mois pour la naissance des enfants aboutit à une discrimination indirecte au regard de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne et de ses directives d'application ainsi que de l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1er de son premier protocole additionnel, sans qu'il soit possible d'invoquer une compensation en fin de carrière en faveur des femmes, la nouvelle rédaction en matière de retraite anticipée n'ouvrant qu'un droit apparent pour les pères de trois enfants ;
- l'application immédiate de la loi entraîne son application rétroactive en contradiction avec la jurisprudence européenne et les instructions ou indications de l'administration, en méconnaissance des principes de confiance légitime et de sécurité juridique ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait des lois et règlements de 2003 et 2004, voire de ceux de 2010 ;
- elle est également engagée du fait de la violation caractérisée par la juridiction administrative des traités européens et des principes des article 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- dans son arrêt Quintanel du 27 mars 2015 le Conseil d'Etat, siégeant dans une formation qui méconnaît le droit à un procès équitable, a dénaturé la portée de l'arrêt Leone et procédé à un nouveau contournement du droit communautaire qui vide de sa substance le principe d'égalité.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 mars 2014 et le 18 mai 2015, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 avril 2015 et le 9 octobre 2015, le ministre de la Justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la responsabilité de l'Etat du fait d'un dysfonctionnement du service public de la justice n'est pas engagée, en l'absence de violation " manifeste " du droit communautaire ;
- le dispositif législatif et réglementaire en litige ne méconnaît par l'article 141 CE, ainsi que l'a précisé le Conseil d'Etat dans l'arrêt Quintanel ;
- aucune obligation de déport ne pesait sur les membres de la formation de jugement.
Par mémoire distinct, enregistré le 1er décembre 2015, M. et Mme B...ont soulevé la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d'indépendance et d'impartialité affirmés par les articles 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de l'article L. 121-4 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole ;
- le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne notamment son article 157, anciennement 141, les protocoles qui y sont annexés, notamment le protocole n°14 sur la politique sociale ;
- la directive n°79/7 (CEE) du 19 décembre 1978 ;
- la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites ;
- le décret n° 2003-1305 du 26 décembre 2003 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Madelaine,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
1. Considérant que M.B..., fonctionnaire de France Telecom, a demandé le 21 décembre 2007 le bénéfice d'une pension de retraite à jouissance immédiate en application de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite en tant que père de trois enfants ; que sa demande a été rejetée le 22 janvier 2008 par le service des pensions de retraites de La Poste et de France Telecom ; que M. B...a demandé à l'Etat réparation des préjudices subis du fait du refus opposé à sa demande de retraite anticipée et de la non attribution de la bonification pour enfant en se prévalant de la non conformité au droit communautaire des dispositions législatives et réglementaires afférentes au bénéfice de cet avantage ainsi que du fait qu'il a dû travailler et n'a pu bénéficier de sa pension de retraite pendant plusieurs mois ; que sa demande a été implicitement rejetée ; que M. et Mme B...relèvent appel du jugement du 26 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à leur verser la somme de 51 586 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article " ; qu'aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office " ; qu'aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue ... par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° / Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3°/La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux " ; qu'aux termes de l'article R. 771-5 du code de justice administrative : " Sauf s'il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, notification de ce mémoire est faite aux autres parties. Il leur est imparti un bref délai pour présenter leurs observations. " ;
3. Considérant que M. et Mme B...contestent la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 121-4 du code de justice administrative en ce qu'il ne préserve pas l'indépendance et l'impartialité du Conseil d'Etat en tant que juridiction suprême administrative, en l'absence de cloisonnement entre les conseillers d'Etat composant les sections consultatives et ceux qui exercent les fonctions de juges suprêmes administratifs au sein de la section du contentieux, en violation des article 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
4. Considérant que l'article L. 121-4 du code de justice administrative, qui fixe les modalités de nomination des conseillers d'Etat en service extraordinaire et d'exercice de leurs fonctions, en prévoyant d'ailleurs qu'ils ne peuvent être affectés à la section du contentieux, n'est pas applicable au litige soumis par M. et Mme B...à la cour ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, de façon certaine, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 121-4 du code de justice administrative porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;
Sur les conclusions indemnitaires :
Sur la responsabilité de l'Etat du fait des lois :
6. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'aux termes du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 : " I. - La liquidation de la pension intervient : / (...) 3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, ou d'un enfant vivant, âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 %, à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / Sont assimilées à l'interruption d'activité mentionnée à l'alinéa précédent les périodes n'ayant pas donné lieu à cotisation obligatoire dans un régime de retraite de base, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / Sont assimilés aux enfants mentionnés au premier alinéa les enfants énumérés au II de l'article L. 18 que l'intéressé a élevés dans les conditions prévues au III dudit article ; (...) " ; qu'en vertu des I et II de l'article R. 37 du même code dans sa rédaction issue du décret n° 2005-449 du 10 mai 2005 pris pour l'application des dispositions législatives précitées, le bénéfice de ces dispositions est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé de paternité, d'un congé d'adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale ou d'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans ;
7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 : " Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'Etat, les bonifications ci-après : / (...) b) Pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés antérieurement au 1er janvier 2004, pour chacun de leurs enfants dont l'adoption est antérieure au 1er janvier 2004 et, sous réserve qu'ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt et unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au II de l'article L. 18 dont la prise en charge a débuté antérieurement au 1er janvier 2004, les fonctionnaires et militaires bénéficient d'une bonification fixée à un an, qui s'ajoute aux services effectifs, à condition qu'ils aient interrompu leur activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat " ; qu'en vertu des dispositions de l'article R. 13 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2003-1305 du 26 décembre 2003 pris pour l'application des dispositions législatives précitées, le bénéfice de ces dispositions est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale ou d'une disponibilité pour un élever un enfant de moins de huit ans ;
8. Considérant que M. et Mme B...soutiennent que ces dispositions ont pour effet d'instituer une discrimination indirecte à l'égard des fonctionnaires de sexe masculin ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Chaque Etat membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. / 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. / L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique: / a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; / b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail. / (...). 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. " ; qu'il résulte de ces stipulations, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le principe d'égalité des rémunérations s'oppose non seulement à l'application de dispositions qui établissent des discriminations directement fondées sur le sexe mais également à l'application de dispositions qui maintiennent des différences de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins sur la base de critères non fondés sur le sexe, dès lors que ces différences de traitement ne peuvent s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe et qu'il y a discrimination indirecte en raison du sexe lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d'un sexe par rapport à l'autre ; que par un arrêt du 17 juillet 2014, la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur renvoi préjudiciel de la présente Cour, a estimé que l'article 141 doit être interprété en ce sens que, sauf à pouvoir être justifié par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu'un objectif légitime de politique sociale, et à être propre à garantir l'objectif invoqué et nécessaire à cet effet, un régime de départ anticipé à la retraite et de bonification de pension tel que celui résultant des dispositions précitées du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant notamment qu'elles prévoient la prise en compte du congé de maternité dans les conditions ouvrant droit à son bénéfice, introduirait une différence de traitement entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins contraire aux stipulations précitées du traité ; que, sur la base des indications ainsi données par la Cour de justice de l'Union européenne pour permettre à la juridiction nationale de statuer, il incombe à cette juridiction d'apprécier les faits et d'interpréter la législation interne, afin de déterminer si et dans quelle mesure les dispositions concernées sont justifiées par des facteurs objectifs répondant à ces indications ;
10. Considérant que si, pendant son congé de maternité, la femme fonctionnaire ou militaire conserve légalement ses droits à avancement et à promotion et qu'ainsi la maternité est normalement neutre sur sa carrière, il résulte néanmoins de l'instruction et des données disponibles en la matière, qu'une femme ayant eu un ou plusieurs enfants connaît, de fait, une moindre progression de carrière que ses collègues masculins et perçoit en conséquence une pension plus faible en fin de carrière ; que les arrêts de travail liés à la maternité contribuent à empêcher une femme de bénéficier des mêmes possibilités de carrière que les hommes ; que, de plus, les mères de famille ont, dans les faits, plus systématiquement interrompu leur carrière que les hommes, ponctuellement ou non, en raison des contraintes résultant de la présence d'un ou plusieurs enfants au foyer ; qu'alors qu'une femme fonctionnaire sans enfant perçoit en moyenne à la fin de sa carrière une pension au moins égale à celle que perçoivent en moyenne les hommes sans enfant, les femmes avec enfants perçoivent en moyenne des pensions inférieures à celles des hommes ayant le même nombre d'enfants ; que ces écarts entre les pensions perçues par les femmes et les hommes s'accroissent avec le nombre d'enfants ; que le niveau de la pension ainsi constaté des femmes ayant eu des enfants résulte d'une situation passée, consécutive à leur déroulement de carrière ; qu'au regard de cette situation et tant qu'elle perdure, les dispositions des articles L. 24 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite permettant un départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate de la pension et celles des articles L. 12 et R. 13 instituant un régime de bonification offrent, dans la mesure du possible, une compensation des conséquences actuelles de la naissance et de l'éducation d'enfants sur le déroulement passé de la carrière des femmes et sont ainsi objectivement justifiées par un but légitime de politique sociale qu'elles sont propres à garantir et pour l'accomplissement duquel elles apparaissent nécessaires ; que par suite, ces dispositions ne peuvent être regardées comme méconnaissant le principe d'égalité au sens des stipulations précitées de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que, dans ces conditions, M. et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du code des pensions civiles et militaires incriminées ne seraient pas compatibles avec l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et la directive n° 86/378 du Conseil du 25 juillet 1986 ;
11. Considérant que la circonstance alléguée que la modification du code des pensions civiles et militaires de retraite par la loi de réforme des retraites du 9 novembre 2010 constituerait une reconnaissance implicite par le législateur de la non-conformité du dispositif antérieur aux normes européennes et communautaires sus-rappelées, en particulier l'existence d'une discrimination indirecte envers les hommes, est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait de la loi antérieure, dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, cette dernière ne méconnaît pas lesdites normes ;
12. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ;
13. Considérant que les pensions constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er précité du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le bénéfice du départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate de la pension et la bonification pour enfants ont pour objet de compenser les inconvénients en termes de carrière subis par les fonctionnaires du fait de l'interruption de leur service en raison de la naissance ou de l'éducation des enfants ; que les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite, qui fixent la durée d'interruption du service à deux mois au moins et se réfère aux positions statutaires permettant une telle interruption, reposent sur des critères objectifs en rapport avec les objectifs légitimes de politique sociale poursuivis ; qu'ainsi, alors même que ce dispositif bénéficierait en fait principalement aux fonctionnaires de sexe féminin, il ne méconnaît pas les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
14. Considérant que si M. et Mme B...se prévalent à l'appui du moyen tiré de la violation de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de l'arrêt de la Cour de Cassation n°07-20668 du 19 février 2009, il ressort de cette décision qu'elle concerne l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction en vigueur à l'époque du litige en cause et ne concerne pas les dispositions contestées du code des pensions civiles et militaires de retraite dans le cadre de la présente affaire ; qu'en outre, les intéressés ne peuvent se prévaloir utilement d'une délibération en date du 26 septembre 2005 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ;
15. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle " ;
16. Considérant que l'adoption des dispositions législatives et réglementaires contestées n'a pas privé M. B...de son droit d'accéder à un tribunal pour y faire valoir ses droits ; que, dans ces conditions, les requérants ne sont en tout état de cause pas fondés à se prévaloir pour engager la responsabilité pour faute de l'Etat d'une violation des stipulations du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
17. Considérant, en quatrième et dernier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que M. B... a présenté sa demande tendant au bénéfice du départ à la retraite anticipé en décembre 2007, soit bien après l'entrée en vigueur de la loi de 2004 ; que s'il soutient qu'il remplissait, avant l'entrée en vigueur de la loi, toutes les conditions au bénéfice du départ anticipé, les modalités de liquidation d'une pension sont celles en vigueur à la date de l'admission à la retraite ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait, sans méconnaître les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et les principes de confiance légitime ou de sécurité juridique, refuser d'accorder à l'intéressé le bénéfice de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction antérieure doit être écarté ;
18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B...ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour faute de l'Etat du fait de la violation par les lois ou règlements des règles issues des traités de l'Union européenne et des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la responsabilité de l'Etat du fait des juridictions administratives :
19. Considérant, d'une part, que M. et Mme B...soutiennent que la responsabilité de l'Etat doit être engagée du fait de l'application par les juridictions administratives des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite incriminées en violation de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que cependant, ainsi qu'il a été démontré aux points 6 à 11, ces articles ne méconnaissent pas le principe de non-discrimination protégé par les traités de l'Union européenne ; qu'ainsi c'est à bon droit que les décisions juridictionnelles par lesquelles il a été statué sur la demande de l'intéressé en ont fait application ;
20. Considérant, d'autre part, que M. et Mme B...soutiennent que la responsabilité de l'Etat doit être engagée du fait que les juridictions administratives se sont abstenues de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la méconnaissance par les dispositions des articles L. 12 et R. 13 précités de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que, cependant, il résulte des considérations retenues aux points 6 à 11 que la saisine de le Cour de justice de l'Union européenne n'était pas nécessaire pour statuer sur les demandes des intéressés ; qu'ainsi, en ne posant pas les questions préjudicielles que les requérants invoquent, les juridictions saisies n'ont pas méconnu les stipulations de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni méconnu leur droit à un procès équitable ;
21. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de saisir la CJUE d'une nouvelle question préjudicielle, que M. et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice résultant du non octroi d'une retraite anticipée avec bonification pour enfants de la pension de retraite ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme B...demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et MmeB....
Article 2 : La requête de M. et Mme B...est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C...B..., au Garde des Sceaux, ministre de la justice et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Loirat, président-assesseur,
- M. Madelaine, faisant fonction de premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 décembre 2015.
Le rapporteur,
B. MADELAINE Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
M. A...
La République mande et ordonne au Garde des Sceaux, ministre de la justice et au ministre des finances et des comptes publics chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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