Conseil d'État, 7ème chambre, 16/12/2016, 392867, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
M. A...B...a demandé au tribunal des pensions militaires de Haute-Garonne d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 décembre 2008 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant au versement d'une pension militaire d'invalidité au titre des infirmités " plaques pleurales d'origine asbestosique " et " séquelles d'adénocarcinome prostatique ". Par un jugement du 15 mai 2012, le tribunal des pensions de Haute-Garonne a, après avoir ordonné une expertise médicale, rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15/21 du 8 avril 2015, la cour régionale des pensions militaires de Toulouse a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 24 août et 24 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de M. B...;
1. Considérant qu'aux termes du 2° de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, ouvrent droit à pension les infirmités résultant de " maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service " ; que l'article L. 3 du même code institue une présomption d'imputabilité, qui bénéficie à l'intéressé à condition que la maladie ait été constatée après le 90ème jour de service effectif et avant le 60ème jour suivant le retour du militaire dans ses foyers et que soit établie médicalement la filiation entre la maladie et l'infirmité invoquée ;
2. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 2 et L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre précités que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut bénéficier de la présomption légale d'imputabilité et que, par ailleurs, cette imputabilité n'est pas admise par l'administration, il incombe à l'intéressé d'apporter la preuve de l'imputabilité de l'affection au service par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges ; que, dans les cas où est en cause une affection à évolution lente et susceptible d'être liée à l'exposition du militaire à un environnement ou à des substances toxiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération les éléments du dossier relatifs à l'exposition du militaire à cet environnement ou à ces substances, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer ; qu'il revient ensuite aux juges du fond de déterminer si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle ; que, lorsque tel est le cas, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'administration n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie ;
3. Considérant, en premier lieu, que pour juger que la maladie dont souffre M. B... n'est pas liée au service, la cour régionale des pensions militaires de Toulouse a retenu, d'une part, qu'il incombait à l'intéressé d'apporter la preuve de l'imputabilité au service des maladies pour lesquelles il souhaitait obtenir un droit à pension, d'autre part, que l'imputabilité au service d'une maladie ne pouvait résulter d'une simple présomption, même forte, et a estimé que, malgré les éléments du dossier qui lui étaient fournis, notamment un rapport d'expertise médicale retenant cette imputabilité, il incombait au demandeur de la pension de faire la preuve d'un lien direct et certain avec le service ; qu'en statuant ainsi, la cour a commis, eu égard aux principes rappelés au point 2, une erreur de droit ;
4. Considérant, en second lieu, qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond, que l'expert chargé du rapport relatif à l'imputabilité au service de la présence de plaques pleurales d'origine asbestosique a procédé à un examen clinique et a analysé les documents médicaux fournis par l'intéressé, notamment des radiographies et un examen fonctionnel respiratoire ; qu'il indique avoir lui-même pratiqué " un examen plethysmographique qui a permis de mettre en évidence un syndrome obstructif modéré (...) la capacité pulmonaire totale étant à 82 % de la normale " ; qu'il a également demandé un scanner thoracique qui " confirme la présence de plaques pleurales (...) " ; qu'il analyse, dans une partie " discussion ", l'évolution des examens et indique que " compte tenu de l'activité exercée par M. B...au contact de poussières ou de fibres d'amiante, il ressort que les anomalies pleurales détectées ainsi que les lésions interstitielles pulmonaires sont en rapport avec l'exposition à l'amiante " ; qu'enfin, il conclut à l'imputabilité des plaques pleurales d'origine asbestosique au service en rappelant leur lien avec l'entretien de moteurs, de freins et de pièces d'étanchéité contenant de l'amiante ; que, dès lors, en estimant que ce rapport était établi sur la base des déclarations de M. B... et que " l'expert retient cette imputabilité, sans autre précision " et en écartant l'imputabilité au service alors qu'il ressortait de l'ensemble des éléments du dossier qui lui était soumis, notamment ceux relatifs à la carrière de l'intéressé et faisant état de son exposition à l'amiante du fait de ses affectations à la réparation d'hélicoptères et avions de chasse ainsi que, pendant près de vingt ans, dans des ateliers de réparation au contact de l'amiante sans protection adaptée, la cour a entaché son arrêt de dénaturation ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le requérant est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour ;
6. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Boré et Salve de Bruneton ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 8 avril 2015 de la cour régionale des pensions militaires de Toulouse est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour régionale des pensions militaires de Toulouse.
Article 3 : L'Etat versera à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M.B..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de la défense.