CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 21/03/2017, 14BX02310, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision21 mars 2017
Num14BX02310
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre - formation à 3
PresidentM. POUGET L.
RapporteurMme Marie-Thérèse LACAU
CommissaireM. KATZ
AvocatsCABINET NORAY - ESPEIG AVOCATS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse sur sa demande du 29 décembre 2009 tendant au bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité (ATI).

Par un jugement n° 1001897 du 27 mai 2014, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision, a enjoint au directeur du CHU de Toulouse de réexaminer la demande de Mme B...et a mis à sa charge la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 28 juillet 2014, 11 mai 2015 et 8 octobre 2015, le CHU de Toulouse, représenté par MeC..., demande à la cour d'annuler ce jugement du 27 mai 2014 du tribunal administratif de Toulouse et de condamner Mme B...à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité sociale, notamment ses articles L. 461-1 et L. 461-2 ;
- le code des communes, notamment ses articles L. 417-8 et L. 417-9 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 63-1346 du 24 décembre 1963 ;
- le décret n° 84-1103 du 10 décembre 1984 ;
- le décret n° 2005-442 du 2 mai 2005 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau,
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public,
- et les observations de Me C...représentant le centre hospitalier universitaire de Toulouse.


Considérant ce qui suit :

1. Au nombre des victimes de l'explosion de l'usine AZF survenue le 21 septembre 2001 à Toulouse alors qu'elle exerçait son activité de sage-femme à l'hôpital La Grave, Mme B... présente désormais, outre un syndrome dépressif, des contractures musculaires, des troubles de l'équilibre et de la sphère ORL, des lésions dentaires et des troubles ophtalmologiques. Cet accident a été reconnu imputable au service par une décision du 13 décembre 2002. Estimant que ces troubles occasionnaient une incapacité permanente partielle (IPP) d'au moins 10 % lui ouvrant droit à l'allocation temporaire d'invalidité (ATI) prévue par l'article 80 de la loi du 9 janvier 1986, Mme B..., qui avait par ailleurs saisi le juge civil d'une action contre le responsable de l'explosion, a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par son employeur, le centre hospitalier universitaire de Toulouse (CHU) de Toulouse sur sa demande du 29 décembre 2009 tendant au bénéfice de cette allocation. Le CHU de Toulouse relève appel du jugement du 27 mai 2014 par lequel le tribunal administratif a annulé cette décision comme entachée d'une erreur d'appréciation et lui a enjoint de réexaminer la demande de MmeB....

2. En vertu de l'article 80 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, les fonctionnaires relevant du statut de la fonction publique hospitalière atteints d'une invalidité résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'au moins 10 % ont droit à une allocation temporaire d'invalidité cumulable avec leur traitement. L'article R. 417-10 du code des communes, puis l'article 5 du décret du 2 mai 2005 ont prévu la détermination du taux d'invalidité sur la base du barème indicatif prévu à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, dans le cas d'une aggravation d'infirmités préexistantes, son appréciation par rapport à la validité restante de l'agent. Cette disposition a ainsi entendu limiter l'application de la règle de la validité restante pour le calcul du taux d'invalidité résultant du cumul d'invalidités à la seule hypothèse de l'aggravation d'infirmités préexistantes. Un tel rapport d'aggravation entre deux infirmités résulte soit d'une relation médicale soit d'un lien fonctionnel entre elles.

3. Mme B...conteste les conclusions concordantes des expertises successives diligentées par la commission de réforme retenues pour fixer les taux d'incapacité respectifs de 5 % et de 4 % au titre des troubles dépressifs et des séquelles otorhinolaryngologiques, conduisant au taux global de 9 %. Le rapport établi le 13 novembre 2003 par un psychiatre conclut clairement à l'absence de lien direct et certain de causalité entre la " chronicisation " des troubles psychiatriques de l'intéressée et le traumatisme subi lors de l'explosion et indique que les lésions dentaires peuvent être liées à un bruxisme occasionné par les troubles psychiques. Dans son rapport du 6 mars 2003, l'expert en otorhinolaryngologie relève que Mme B...a été victime d'un " ébranlement labyrinthique " qu'il qualifie de vertige paroxystique bénin ayant laissé persister un syndrome maculaire et quelques vertiges rotatoires occasionnant des troubles de l'équilibre et de la marche et une incapacité permanente partielle de 4 %. Il note par ailleurs un bilan neurologique, vestibulaire et auditif satisfaisant. La requérante soutient que seul un spécialiste en psychiatrie est à même d'appréhender sa situation et se prévaut des conclusions des expertises ordonnées le 6 octobre 2005 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse à l'effet de déterminer les préjudices imputables à la société civilement responsable de l'explosion, en particulier des rapports établis les 9 février et 11 juillet 2006 par des spécialistes en ophtalmologie et en neuropsychiatrie. Si Mme B...demande à la cour " d'homologuer " ces rapports, il n'appartient pas au juge administratif de statuer sur de telles conclusions. Toutefois, dès lors qu'ils ont fait l'objet d'un débat contradictoire entre les parties, ces rapports peuvent être pris en compte pour apprécier l'incapacité permanente partielle de MmeB..., imputable à l'accident de service.

4. Dans son rapport du 9 février 2006, le psychiatre a fixé au 2 février 2006 la date de consolidation de l'état de santé de Mme B...et a estimé son taux d'incapacité permanente partielle à 15 %, dont un tiers imputable à l'état antérieur à l'accident. Dans un rapport établi le 19 mai suivant, le même spécialiste a estimé ce taux à 20 % sans autres précisions sur la part imputable au service. Dans son rapport du 11 juillet 2006, l'ophtalmologiste a estimé que Mme B... présentait des troubles oculaires d'origine post-traumatique, décompensation d'une ésophorie et diminution des sécrétions lacrymales, et estimé à 5 % l'incapacité résultant de chacune de ces anomalies. Pour sa part, le spécialiste en médecine légale commis le 6 novembre 2014 par la commission de réforme, saisie du dossier de Mme B...en exécution du jugement attaqué, a confirmé la date de consolidation de son état de santé, fixée au 1er juin 2002 et le taux d'incapacité permanente partielle de 9 %, éléments à nouveau confirmés par une autre expertise diligentée le 19 mars suivant, ce qui a conduit la commission à opposer, le 10 septembre 2015, un nouvel avis défavorable à l'attribution de l'allocation en cause.

5. Il résulte de l'ensemble des expertises concordantes sur ce point que trois mois après l'explosion en cause, à la fin de l'année 2001, le compagnon de MmeB..., qui travaillait dans l'usine AZF et avec lequel elle vivait maritalement depuis l'année 1997, a été muté dans une autre région. La séparation a été effective dès le 1er trimestre de l'année 2002. Même l'expertise du 9 février 2006 dont Mme B...se prévaut évoque une " rupture inattendue et incompréhensible " ayant entraîné " une dépression massive par rapport à son ami ". Le même spécialiste en psychiatrie rappelle également que l'angoisse de mort, élément du syndrome post-traumatique consécutif à l'explosion a été " surmontée " par l'intéressée tant que celle-ci a pu retrouver son compagnon. Il ajoute qu'outre cette rupture, elle a rencontré des problèmes professionnels sans relation avec l'accident, ayant " une importance considérable sur son état dépressif ". Cette analyse est confirmée par celle de l'ophtalmologiste, qui, en faisant état d'un contexte de stress post-traumatique constitué par " un choc physique même léger, une angoisse psychique majeure et une rupture affective totale ", relève lui aussi que les troubles dépressifs de l'intéressée sont largement imputables à sa séparation. Au surplus, si Mme B...présente des troubles ophtalmologiques consistant, d'une part, en une décompensation de l'ésophorie avec insuffisance de fusion des images que l'expert qualifie d'irréductible, sans amélioration préalable des troubles psychologiques et des vertiges, d'autre part, en une nette hypolacrymie avec sensation de brulure oculaire sans toutefois de kératite sèche, le même rapport relève qu'une partie de ces troubles est imputable à son traitement antidépresseur composé de trois spécialités pharmaceutiques entraînant entre autres effets secondaires connus, des perturbations de la vision binoculaire et de la sécrétion lacrymale. Ainsi, en dépit des conclusions de l'expert qui fait état non sans contradiction de l'origine post-traumatique des troubles visuels tout en admettant le caractère mineur de ces troubles " dans le contexte dépressif grave et surtout de vertiges qu'elle présentait par ailleurs ", pas plus que le syndrome dépressif, la persistance des troubles oculaires ne peut être regardée comme directement imputable au traumatisme occasionné par l'explosion et subi par Mme B...lors de l'exercice de ses fonctions au centre hospitalier. Enfin, si le 3 novembre 2003, un médecin généraliste a relevé que les problèmes stomatologiques de Mme B... étaient imputables à l'accident, il a en réalité constaté sur la base des déclarations du dentiste l'absence de ces troubles avant l'accident, ce qui ne suffit pas à révéler la causalité alléguée dès lors, ainsi qu'il a été dit, que ces troubles sont corrélés à des troubles du comportement tel le bruxisme, associés à la dépression et pouvant occasionner la contracture des muscles masséters et l'ébranlement des dents. Alors que les expertises du 6 mars et 13 novembre 2003 émettent des doutes sérieux concernant l'imputabilité à l'accident des lésions dentaires et que les deux rapports d'expertise établis par deux stomatologues différents remis successivement en 2004 et en 2005 à la commission de réforme excluent clairement l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les lésions et l'accident de service, qui ne serait pas déjà pris en compte au titre des troubles psychologiques incluant notamment le bruxisme de la victime, aucun élément ne permet d'infirmer ces appréciations. Dans les circonstances de l'affaire, le taux d'invalidité de Mme B...imputable à son accident de service, dont le psychiatre a d'ailleurs relevé l'absence d'incidence sur son activité professionnelle, pouvait, sans erreur d'appréciation être regardé comme inférieur à celui de 10 % requis pour le bénéfice de l'allocation sollicitée. Il suit de là, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'exception de prescription qu'il oppose sur le fondement de l'article 3 du décret du 2 mai 2005, que le CHU de Toulouse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé sa décision implicite de rejet née du silence gardé sur la demande présentée le 29 décembre 2009 par Mme B...tendant au bénéfice de l'ATI. Par voie de conséquence, les conclusions tendant à ce que la cour fixe à 20 % le déficit fonctionnel permanent imputable à l'accident de service et reconnaisse le droit à l'ATI à compter du 2février 2006 ne peuvent être accueillies. Il n'y a pas lieu d'ordonner l'expertise sollicitée qui présenterait un caractère frustratoire.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHU de Toulouse qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par MmeB..., et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'affaire, de condamner Mme B... à payer au CHU de Toulouse la somme qu'il réclame sur le même fondement. En l'absence de dépens exposés au cours de l'instance, les conclusions présentées à ce titre ne peuvent être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 27 mai 2014 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B...devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel du CHU de Toulouse et les conclusions d'appel de Mme B...sont rejetés.
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N° 14BX02310