CAA de MARSEILLE, 7ème chambre - formation à 3, 29/09/2017, 15MA02614, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I°) Mme A... C...veuve G...a demandé au tribunal administratif de Nice, sous le n° 1304641, à titre principal, de condamner l'Etat à lui payer les sommes de 150 000 euros et de 50 000 euros en réparation, respectivement, du préjudice financier et du préjudice moral qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises par le service de santé des armées en lien avec le décès de M. F... G..., son époux, et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise.
II°) Mme A... C...VeuveG..., Mme E... G...et Mme D...G..., ses filles, ont demandé au tribunal administratif de Nice, sous le n° 1401778, à titre principal, de condamner l'Etat, à raison des mêmes fautes, à payer, d'une part, à Mme A... G...les sommes de 1 086 810 euros et 150 000 euros en réparation, respectivement, du préjudice économique et du préjudice moral, et, d'autre part, à Mmes D...et E...G...la somme de 75 000 euros chacune au titre du préjudice moral, et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale.
Par un jugement n° 1304641 - 1401778 du 24 avril 2015, le tribunal administratif de Nice a rejeté les demandes de Mme A... G...et autres.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 juin 2015, le 7 juin 2017 et le 11 septembre 2017, Mme A...G..., Mme E... G...et Mme D...G..., représentées par Me B..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 24 avril 2015 ;
2°) de faire droit à leur demande de première instance enregistrée sous le n° 1401778 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés ainsi que le versement à chacune d'entre elles de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les opérations d'expertise sont entachées d'irrégularité ;
- la négligence du service de santé des armées entre 1976 et 1979 a entraîné un retard de diagnostic fautif ;
- le refus de pratiquer une gastrectomie en décembre 1979 est constitutif d'un traitement inadapté et d'une erreur de diagnostic fautive ;
- un nouveau retard de diagnostic en 1988 est à l'origine d'une perte de chance ;
- les préjudices invoqués sont établis et en lien direct avec les fautes imputables à l'Etat ;
- le moyen relevé d'office par la Cour est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2017, le ministre des armées conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que l'indemnisation des appelantes soit réduite à de plus justes proportions.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... G... et autres ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement en tant que le tribunal ne s'est pas prononcé sur la dévolution des frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés et n'a ainsi pas épuisé son pouvoir juridictionnel.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chanon, premier conseiller,
- les conclusions de M. Coutier, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant Mme A... C...épouseG..., Mme E... G...et Mme D...G....
1. Considérant que M. F... G..., officier de l'armée de l'air, est décédé le 21 juin 1991 à l'âge de quarante-quatre ans des suites d'un lymphome gastrique ; que, par jugement du 24 avril 2015, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de MmesA..., E...et D...G..., son épouse et ses filles, tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices résultant des fautes qui auraient été commises par le service de santé des armées ; que, par la présente requête, Mme A... G...et autres relèvent appel de ce jugement ;
Sur la régularité des opérations d'expertise :
2. Considérant que les requérantes critiquent à nouveau en appel la régularité des opérations d'expertise ; qu'il y a lieu d'écarter cette argumentation par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges ;
Sur les conclusions indemnitaires :
3. Considérant que les dispositions des articles L. 38 à L. 46 du code des pensions civiles et militaires de retraite, applicables aux ayants cause des militaires en vertu de l'article L. 47 du même code et de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les ayants cause d'un militaire décédé lors d'un accident de service peuvent prétendre par le versement de la pension de réversion ; que ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée par les ayants cause contre l'Etat, dans le cas notamment où le décès serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de celui-ci, dès lors que la réparation forfaitaire qui leur est légalement allouée ne répare pas l'intégralité de ce dommage ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que le livret médical militaire de M. G..., qui mentionne plusieurs consultations entre 1976 et 1979, ne révèle aucune doléance relative à des douleurs épigastriques avant le 29 août 1979 ; que les allégations de Mme A... G...et autres et les attestations de généraux postérieures au décès ne sont pas de nature à établir que le service de santé des armées aurait négligé de tels symptômes depuis 1976 et ainsi commis une faute en retardant le diagnostic de la pathologie ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que M. G... a consulté le 19 septembre 1979 le docteur Jankowski, médecin civil, qui a pratiqué une fibroscopie digestive et préconisé, au vu des résultats entraînant une suspicion d'adénocarcinome, de réaliser une gastrectomie thérapeutique et prophylactique partielle en raison du risque d'évolution vers un cancer de l'estomac ; que, toutefois, les examens endoscopiques complémentaires effectués en fin d'année 1979 par le service de santé des armées n'ont montré aucun signe de malignité et les médecins militaires ont mis en place une surveillance médicale sans intervention chirurgicale, jugée trop radicale ; que tant le rapport, en date du 11 septembre 2010, de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Nice, réalisée par le docteur Gugenheim, que celui du 4 décembre 2013 relatif à l'expertise amiable du professeur Sebaoun, effectuée à la demande des requérantes, concluent qu'une gastrectomie n'était alors pas justifiée et que le suivi institué était conforme aux données de la science médicale à l'époque ; que ces conclusions ne sont pas sérieusement remises en cause par les autres avis médicaux versés au dossier par Mme A... G...et autres ; que, par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que le refus de pratiquer une gastrectomie au mois de décembre 1979 serait constitutif d'un traitement inadapté et d'une erreur de diagnostic fautive ;
6. Considérant, en troisième et dernier lieu, que le lymphome digestif, initialement indolent, à l'origine du décès de M. G..., a été découvert en 1989 ; que le professeur Sebahoun indique que les diagnostics et soins pratiqués en janvier 1988 n'ont pas été conformes aux données acquises de la science médicale de l'époque et ont entraîné un retard de diagnostic d'un an ; que, cependant, il mentionne également de façon contradictoire que " au mieux, le diagnostic aurait pu être porté en janvier 1988 sans qu'on sache si la maladie était encore localisée à cette date ; elle ne l'était plus en février 1989 " ; que le docteur Gugenheim ne fait état d'aucun retard de diagnostic et précise que le lymphome indolent a fait l'objet du traitement de référence de l'époque, avant de se transformer en lymphome agressif au mois de mars 1990, ainsi qu'il est observé dans environ 25 % des cas ; que les divers avis médicaux rendus à la demande des requérantes ne sont pas susceptibles de remettre en cause ces éléments ; que, dans ces conditions, Mme G... et autres ne peuvent invoquer un nouveau retard de diagnostic en 1988 qui serait à l'origine d'une perte de chance ;
7. Considérant qu'il suit de ce qui a été dit aux points 4 à 6 que Mme A... G...et autres ne sont pas fondées à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée à raison d'une faute du service de santé des armées ;
Sur les conclusions subsidiaires à fin d'expertise :
8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que la Cour est suffisamment informée par les éléments figurant au dossier, en particulier les rapports des expertises amiables et contradictoire ; que les conclusions subsidiaires tendant à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée doivent être rejetées ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A... G...et autres ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande ;
Sur les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés :
10. Considérant que le tribunal ne s'est pas prononcé sur la dévolution des frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés et a ainsi méconnu la règle applicable même sans texte à toute juridiction administrative, qui lui impartit, sauf dans le cas où un incident de procédure y ferait obstacle, d'épuiser son pouvoir juridictionnel ; que, par suite, il y a lieu d'annuler dans cette mesure le jugement attaqué, d'évoquer sur ce point et de statuer sur la charge des frais d'expertise ;
11. Considérant qu'en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre ces frais, liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros par l'ordonnance n° 0904613 du président du tribunal administratif de Nice en date du 29 octobre 2010, à la charge de Mme A... G...et autres ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par les appelantes et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 24 avril 2015 est annulé en tant qu'il omet de statuer sur la dévolution des frais d'expertise.
Article 2 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros, sont mis à la charge de Mme A... G...et autres.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... G...et autres est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... veuveG..., à Mme E... G..., à Mme D... G...et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- M. Chanon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 septembre 2017.
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N° 15MA02614