CAA de NANCY, 1ère chambre - formation à 3, 23/11/2017, 16NC01124, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 novembre 2017
Num16NC01124
JuridictionNancy
Formation1ère chambre - formation à 3
PresidentM. MESLAY
RapporteurM. Philippe REES
CommissaireM. FAVRET
AvocatsBERNARD VOUAUX TONTI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...F...a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner l'Etat à lui verser une indemnité globale de 169 200 euros en réparation des préjudices de tous ordres résultant de son accident de service du 1er avril 2010.

Par un jugement no 1402198 du 19 avril 2016, le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à M. F...une somme de 4 000 euros en réparation de ses préjudices et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 juin 2016, M. C...F..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement no 1402198 du 19 avril 2016 du tribunal administratif de Nancy en ce qu'il a limité son indemnisation à la somme de 4 000 euros ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 169 200 euros ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit qu'il soit procédé à une expertise médicale afin d'évaluer l'intégralité de ses préjudices et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité provisionnelle de 20 000 euros ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. F...soutient que :

- il a droit au bénéfice des dispositions du 2ème alinéa de 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 dès lors que les conséquences et symptômes nés de son accident de service du 1er avril 2010 sont directement liés à un premier accident de service du 10 février 2004, dont l'expert et l'administration n'ont pas tenu compte, et non à un état antérieur arthrosique ; en outre, les préjudices qu'il a subis, y compris ceux postérieurs au 23 novembre 2011, ont pour seule cause l'accident du 1er avril 2010 ;
- il a droit à la réparation intégrale de ses préjudices dès lors que la faute de l'administration est établie ;
- les préjudices dont il demande réparation sont établis.


Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2017, le Garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Le ministre soutient que la requête est irrecevable, faute de comporter des moyens propres critiquant le jugement. Il ajoute qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée,
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Favret, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. Le 1er avril 2010, M. C...F..., surveillant au centre de détention de Montmédy, a été victime d'un accident alors qu'il procédait à la vérification du local des douches dans le bâtiment des détenus : la fenêtre oscillo-battante qu'il tentait d'ouvrir pour évacuer la vapeur d'eau embuant le local s'est brutalement décrochée pour s'abattre sur lui et lui infliger un traumatisme crânien et du rachis cervical. Après avoir vainement sollicité de l'administration la réparation des préjudices de tous ordres qu'il estime avoir subis du fait de cet accident, il a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 169 200 euros.

2. M. F...relève appel du jugement du tribunal du 19 avril 2016 en ce qu'il ne lui a accordé que la somme de 4 000 euros à titre d'indemnisation.

Sur la recevabilité de l'appel :

3. Contrairement à ce que soutient le ministre, il ressort de la requête de M. F...qu'il ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement ses écritures de première instance, puisqu'il y critique expressément les réponses qu'y a apportées le tribunal et les motifs du jugement.

4. La fin de non-recevoir soulevée par le ministre, tirée du défaut de motivation de la requête, manque ainsi en fait et ne peut qu'être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la prise en charge de M. F...au titre du régime des accidents de service :

5. Aux termes de l'article 34 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; (...) ".

6. Aux termes de l'article 63 de la même loi : " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. (...). Le reclassement (...) est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé ".

7. Aux termes de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladie contractées ou aggravées soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé si cette dernière a été prononcée en application des 2° et 3° de l'article 34 de la même loi ou à la fin du congé qui lui a été accordé en application du 4° du même article ".

8. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le fonctionnaire dont les blessures ou la maladie proviennent d'un accident de service, d'une maladie contractée ou aggravée en service ou de l'une des autres causes exceptionnelles prévues à l'article 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, et qui se trouve dans l'incapacité permanente d'exercer ses fonctions au terme d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé maladie, sans pouvoir bénéficier d'un congé de longue maladie ou d'un congé de longue durée, doit bénéficier de l'adaptation de son poste de travail ou, si celle-ci n'est pas possible, être mis en mesure de demander son reclassement dans un emploi d'un autre corps ou cadre d'emploi, s'il a été déclaré en mesure d'occuper les fonctions correspondantes. S'il ne demande pas son reclassement ou si celui-ci n'est pas possible, il peut être mis d'office à la retraite par anticipation. Il appartient à l'autorité compétente de se prononcer sur la situation de l'intéressé au vu des avis émis par le comité compétent, sans être liée par ceux-ci. En l'absence de modification de la situation de l'agent, l'administration a l'obligation de le maintenir en congé de maladie avec plein traitement jusqu'à la reprise de service ou jusqu'à sa mise à la retraite, qui ne peut prendre effet rétroactivement.

9. Il résulte de l'instruction que, le 9 janvier 2012, le directeur interrégional des services pénitentiaires Est-Strasbourg a placé M. F...en congé de maladie pour accident de service pour la période du 1er avril 2010 au 23 novembre 2011. M. F...n'a cependant repris le travail que le 2 juillet 2012, à mi-temps thérapeutique, dans un emploi d'adjoint administratif au centre pénitentiaire de Nancy. Dans l'intervalle, du 24 novembre 2011 au 1er juillet 2012, l'intéressé a été placé en congé de maladie ordinaire à plein traitement, puis à demi-traitement.

10. Le directeur interrégional des services pénitentiaires Est-Strasbourg a fondé ces décisions sur l'avis de la commission départementale de réforme du 23 novembre 2011. Celle-ci a indiqué que les arrêts de travail, traitements et soins divers de l'intéressé sont imputables à l'accident de service du 1er avril 2010 jusqu'à la date de consolidation, fixée au 23 novembre 2011. Elle a également précisé qu'à cette date, le taux d'incapacité permanente partielle résultant de l'accident de service était de 0%. Enfin, elle a indiqué que l'agent n'est plus physiquement apte à exercer ses fonctions de surveillant et doit bénéficier d'un reclassement professionnel dans le corps des personnels administratifs.

11. Pour émettre son avis, la commission s'est fondée sur les conclusions de l'expertise réalisée le 13 juillet 2011 par le DrA..., rhumatologue. Dans ses conclusions, établies le 29 août 2011, celui-ci indique que : " l'état pathologique actuel de M. F...n'est plus lié de façon directe et certaine avec l'accident de service du 1er avril 2010. La symptomatologie est liée à des phénomènes dégénératifs cervicaux et lombaires bas majorés par un état psychologique difficile. Il n'existe pas de séquelles propres liées à l'accident de service du 1er avril 2010 puisque les manifestations fonctionnelles actuelles sont liées à un état antérieur arthrosique non imputable ".

12. Ainsi, l'expert et la commission, dont l'administration a suivi les avis, ont estimé que l'inaptitude physique du requérant à reprendre ses fonctions de surveillant à partir du 23 novembre 2011 ne résultait pas de son accident de service mais de l'évolution d'une pathologie préexistante de nature arthrosique, sans lien avec ce dernier.

13. En premier lieu, M. F...conteste les conclusions du rapport de l'expertise en faisant valoir que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la maison départementale des personnes handicapées de Meurthe-et-Moselle du 5 mars 2013 lui a attribué un taux d'incapacité de 50 à 75 %, qui contredit le taux de 0 % retenu par la commission départementale de réforme. Toutefois, la CDAPH s'est seulement prononcée sur l'incapacité de l'intéressé sans en analyser la cause, à plus forte raison sans contredire l'expert qui a relevé cette incapacité en écartant la possibilité que sa cause puisse être l'accident de service. La décision de la CDAPH n'est donc, en tout état de cause, pas de nature à contredire les conclusions de l'expertise.

14. En deuxième lieu, M. F...conteste la réalité et l'importance de l'état antérieur arthrosique.

15. Toutefois, le Dr A...avait déjà relevé, dans les conclusions de sa première expertise réalisée le 15 janvier 2011 que " dans les antécédents du patient, on relève un passé rachidien déjà chargé avec une nucléolyse L3-L4 en 1988 et d'après l'interrogatoire deux cures de hernie discale réalisées par le Dr E...L4-L5 en 2001 et L5-S1 en 2003. (...) Des clichés du rachis sont effectués le 5 juillet 2010. A hauteur du rachis cervical, on ne constate pas de lésion d'origine traumatique mais une uncodiscarthrose C5-C6 et C6-C7. On relève également une lombarthrose évoluée. (...) ". En outre, M. F...n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les constats faits par l'expert le 13 juillet 2011 quant à sa symptomatologie en lien avec son état antérieur arthrosique.

16. En quatrième lieu, M. F...soutient que son incapacité est également en lien avec un premier accident de service survenu le 10 février 2004.

17. Il résulte de l'instruction que M. F...a été victime d'une chute sur son lieu de travail le 10 février 2004. Dans son rapport d'expertise du 28 août 2004, le Dr D...avait alors indiqué qu'elle " s'est soldée par l'apparition de vives lombalgies irradiant à la face externe de la cuisse gauche, jusqu'au genou inclusivement et générant une impotence fonctionnelle ". A la suite de cet accident, M. F...s'est vu attribuer une allocation temporaire d'invalidité au taux de 15 % pour des " lombalgies chroniques avec discrets signes d'irrigation sciatique gauche ".

18. Contrairement à ce que soutient le requérant, le Dr A...a tenu compte de ses lombalgies, dont il fait état dans son rapport du 15 janvier 2011. Alors que la symptomatologie qu'il a constatée le 13 juillet 2011 est de nature arthrosique, M. F...n'apporte aucun élément pour démontrer qu'elle serait en lien avec ces lombalgies d'origine traumatique.

19. En cinquième lieu, le requérant soutient que son état, postérieurement au 23 novembre 2011, ne peut qu'être sans lien avec son état antérieur arthrosique dès lors qu'avant le 1er avril 2010, il pouvait exercer ses fonctions de surveillant, marcher sans canne et se tenir debout sans difficulté. Il ajoute à cet égard que son seul arrêt de travail pour maladie antérieur à l'accident remontait à mars 2004.

20. Cependant, ces circonstances ne permettent pas d'établir que ses pathologies antérieures n'avaient pas continué à évoluer jusqu'au 1er avril 2010 et M. F...ne conteste pas qu'elles ont ensuite pu évoluer jusqu'au 23 novembre 2011, indépendamment de l'accident de service dont il a été victime. Par ailleurs, il n'apporte aucun élément de nature à établir que, contrairement à ce qu'a estimé l'expert, ses pathologies arthrosiques ne le mettaient pas, à elles seules, dans l'incapacité de reprendre ses fonctions de surveillant à partir du 24 novembre 2011.

21. Il résulte de ce qui précède que M. F...n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait dû continuer, au-delà du 23 novembre 2011, à bénéficier des dispositions précitées du deuxième alinéa du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984.

22. Par conséquent, il n'est pas fondé à demander, sur ce fondement, la réparation des pertes de traitement qu'il a subies pendant la période du 24 novembre 2011 au 1er juillet 2012 et le remboursement des honoraires médicaux et des frais qu'il a pu débourser.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour dommages de travaux publics :

23. Il est constant que l'accident dont a été victime M. F...en qualité d'usager de l'ouvrage public que constitue le centre de détention de Montmédy résulte d'un défaut d'entretien normal de la fenêtre oscillo-battante du local de douches, qui s'est décrochée alors qu'il tentait de l'ouvrir. L'accident est donc de nature à engager la responsabilité pour dommages de travaux publics de l'Etat, maître de l'ouvrage, vis-à-vis du requérant.

24. M. F...demande l'indemnisation de la perte des primes qu'il percevait dans le cadre de ses fonctions de surveillant de prison, de la perte de chance d'une évolution de carrière dans le corps des surveillants de prison et du préjudice résultant du recul, de 55 à 60 ans, de l'âge auquel il peut prétendre au bénéfice d'une pension de retraite. Ces différents préjudices découlent du reclassement de l'intéressé dans le corps des adjoints administratifs. Ce reclassement résulte lui-même de l'inaptitude physique du requérant aux fonctions de surveillant de prison. Or, ainsi qu'il a été dit aux points 13 à 20, il ne résulte pas de l'instruction que cette inaptitude trouve sa cause directe dans l'accident dont il a été victime. Par conséquent, M. F...n'est pas fondé à demander réparation de ces préjudices à l'Etat.

25. M. F...demande également réparation de son préjudice corporel, en faisant valoir les séquelles physiques et le handicap résultant de l'accident. Toutefois, ainsi qu'il a été dit aux points 11 et 20, l'expert a indiqué, le 13 juillet 2011, qu'il " n'existe pas de séquelles propres liées à l'accident de service du 1er avril 2010 " et le requérant n'apporte aucun élément de nature à établir le contraire et remettre en cause les conclusions de l'expert.

26. M. F...demande, en outre, la réparation de son préjudice d'agrément, en faisant valoir qu'il ne peut plus pratiquer le moindre sport, contrairement à ses habitudes antérieures. Cependant, il n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité de ces habitudes alléguées. Le préjudice d'agrément n'est donc pas établi.

27. Enfin, alors que, compte tenu de ce qui précède, M. F...n'est fondé à demander l'indemnisation des préjudices causés par ses souffrances physiques et morales résultant de l'accident de service que pour la période du 1er avril 2010 au 23 novembre 2011, il ne résulte pas de l'instruction qu'en fixant la réparation de chacun de ces préjudices à la somme de 2 000 euros, le tribunal en ait fait une appréciation erronée.

28. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que M. F...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a limité son indemnisation à la somme de 4 000 euros. Ses conclusions à fin d'annulation et de condamnation, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.


Par ces motifs,


DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C...F...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...F...et au Garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.

2
N° 16NC01124