CAA de VERSAILLES, 5ème chambre, 15/03/2018, 16VE00751, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I. M. C...B...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de désigner un expert avant dire droit avec pour mission de déterminer s'il existe un lien entre son affection et l'exercice de ses fonctions, d'annuler la décision implicite de rejet du recours administratif préalable obligatoire qu'il a formé contre la décision du 11 avril 2013 portant attribution d'une première période de congé de longue durée pour maladie, d'annuler la décision du 3 janvier 2014 du ministre de la défense rejetant son recours administratif préalable uniquement en ce qu'elle a considéré que l'affection ouvrant droit à congé de longue durée pour maladie n'était pas survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. M. C...B...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de désigner un expert avant dire droit avec pour mission de déterminer s'il existe un lien entre son affection et l'exercice de ses fonctions, d'annuler la décision du 3 janvier 2014 du ministre de la défense rejetant son recours administratif préalable uniquement en ce qu'elle a considéré que l'affection ouvrant droit à congé de longue durée pour maladie n'était pas survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1309328-1401245 du 14 janvier 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés respectivement les 11 mars 2016 et 28 février 2017, M.B..., représenté par Me Maumont, avocat, demande à la Cour :
1° à titre principal, d'annuler ce jugement et d'annuler la décision du 3 janvier 2014 ;
2° à titre subsidiaire, de désigner, avant dire droit, un expert avec pour mission de procéder à un examen médical et de déterminer s'il existe un lien entre son affection et l'exercice de ses fonctions ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé en ce qui concerne l'imputabilité de son syndrome anxio-dépressif à la situation de harcèlement rencontrée en service ; il ne répond pas à l'ensemble des éléments avancés en faveur de l'existence d'une telle imputabilité ; il ne permet pas de savoir quels éléments ont permis au tribunal de ne pas reconnaître une telle imputabilité ;
- le syndrome anxio-dépressif dont il souffre est la conséquence d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie et de ses collègues ;
- sa pathologie est imputable au service ; cette imputabilité est présumée.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Camenen,
- les conclusions de Mme Mégret, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour M.B....
1. Considérant que M.B..., adjudant-chef au sein de l'armée de terre affecté au 1er régiment d'artillerie de Belfort, a été placé, à plusieurs reprises, en congé maladie à compter de l'année 2009 en raison d'un syndrome anxio-dépressif et totalisait cent quatre-vingt jours d'arrêts maladie au titre de l'année 2012 ; que, par une décision du 11 avril 2013, il a été placé en congé de longue maladie pour une durée de six mois à compter du 30 décembre 2012 ; qu'il a formé, le 24 mai 2013, un recours préalable auprès de la commission des recours des militaires contre cette décision en tant qu'elle a retenu que l'affection dont il souffre n'est pas survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ; que ce recours a fait l'objet d'une décision implicite de rejet puis d'un rejet explicite par décision du ministre de la défense du 3 janvier 2014 ; que M. B...relève appel du jugement n°1309328-1401245 du 14 janvier 2016 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir constaté que la décision du 3 janvier 2014 s'était substituée aux deux décisions antérieures, a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours administratif et de la décision du ministre de la défense du 3 janvier 2014 ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'il résulte de l'examen du jugement attaqué, en particulier de son point 8, que le tribunal administratif a suffisamment indiqué les motifs pour lesquels il a estimé que le trouble anxio-dépressif dont est atteint le requérant ne résulte pas d'actes de harcèlement moral qu'il aurait subis dans ses fonctions et n'est pas non plus imputable au service, en précisant, notamment, les raisons pour lesquelles les éléments produits par M.B... et particulièrement les certificats et avis médicaux, dont l'avis technique émis le 12 avril 2013 par le médecin inspecteur du service de santé pour l'armée de terre, ne sont pas de nature à établir cette imputabilité au service ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient M.B..., le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
3.Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 4123-10-2 du code de la défense : " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un militaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ou militaire ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus " ; qu'il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 4138-12 du code de la défense : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, après épuisement des droits de congé de maladie ou des droits du congé du blessé prévus aux articles L. 4138-3 et L. 4138-3-1, pour les affections dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. Lorsque l'affection survient du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ou à la suite de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ce congé est d'une durée maximale de huit ans (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 4138-47 dudit code : " Le congé de longue durée pour maladie est la situation du militaire, qui est placé, au terme de ses droits à congé de maladie ou de ses droits à congé du blessé, dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions pour l'une des affections suivantes : (...) ; 3° Troubles mentaux et du comportement présentant une évolution prolongée et dont le retentissement professionnel ou le traitement sont incompatibles avec le service " ; qu'aux termes de l'article R. 4138-48 dudit code : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, sur demande ou d'office, dans les conditions fixées à l'article L. 4138-12, par décision du ministre de la défense, ou du ministre de l'intérieur pour les militaires de la gendarmerie nationale, sur le fondement d'un certificat médical établi par un médecin des armées, par périodes de six mois renouvelables " ; qu'aux termes de l'article R. 4138-49 dudit code : " La décision mentionnée à l'article R. 4138-48 précise si l'affection ouvrant droit à congé de longue durée pour maladie est survenue ou non du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ou à la suite de l'une des causes exceptionnelles prévues par les dispositions de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite " ;
5. Considérant que M.B..., qui a été placé successivement en congé maladie puis en congé de longue maladie, fait valoir qu'il souffre d'un syndrome anxio-dépressif pour lequel il suit un traitement depuis 2009 et que cette affection trouve son origine dans les agissements répétés de sa hiérarchie et de ses collègues à son encontre, constitutifs de harcèlement moral ; qu'il doit être regardé comme soutenant, en outre, que son affection serait imputable au service même en l'absence de harcèlement moral, cette imputabilité étant d'ailleurs présumée ;
6. Considérant, toutefois, qu'en premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B...aurait subi dès 2011, ainsi qu'il le soutient, d'incessantes brimades et reproches injustifiés de la part de ses supérieurs hiérarchiques ou de ses collègues, qu'il aurait été sans cesse dévalorisé dans ses fonctions, aurait vu contester toutes ses initiatives ou que ses conditions de travail se seraient dégradées dans des conditions telles qu'elles feraient présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que, notamment, il n'est pas établi que ses supérieurs hiérarchiques ont eu un comportement ou une attitude déplacés à son égard ; que les pièces produites par le requérant ne font pas apparaître qu'il aurait systématiquement été désigné comme le responsable de tout manquement et dysfonctionnement au sein de son unité alors que ses notations des années 2009 à 2011 témoignent, au contraire, d'appréciations générales positives de la part de sa hiérarchie ; que si en 2012, le requérant s'est vu infliger une sanction pour avoir déclaré à tort son supérieur hiérarchique en absence irrégulière, ce fait ne permet pas de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'il en va de même de la circonstance que sa notation annuelle de 2012 fait, notamment, état de son caractère revendicateur et impétueux et de ses remarques acerbes visant l'encadrement et l'ensemble de la chaîne hiérarchique, sa demande tendant à l'annulation de la décision rejetant le recours préalable formé contre cette notation ayant d'ailleurs été rejetée par un jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 14 janvier 2016, dont il n'a pas fait appel ; qu'il ressort, en revanche, des pièces du dossier que les difficultés du requérant avec sa hiérarchie trouvent leur origine dans le comportement de l'intéressé lui-même et son désintérêt pour ses fonctions à partir de 2012 ainsi qu'il ressort notamment d'un courrier du médecin chef de la garnison de Belfort du 17 janvier 2013 ; que, dans ces conditions, aucun fait ne faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral, M. B...n'est pas fondé à soutenir que l'affection dont il souffre trouverait son origine dans un tel harcèlement ;
7. Considérant, en second lieu, que si M. B...entend faire valoir que sa pathologie serait imputable au service même en l'absence de harcèlement moral, d'une part, il ne saurait bénéficier de la présomption d'imputabilité résultant des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dès lors, en tout état de cause, que le présent litige ne porte pas sur l'attribution d'une pension au titre de ce code et, d'autre part, les pièces qu'il produit, en particulier les certificats médicaux de son médecin traitant, ne permettent pas d'établir l'imputabilité au service de son syndrome anxio-dépressif ; que si ces certificats médicaux mentionnent une dégradation de l'état psychique de M. B...depuis 2009, l'origine professionnelle de cette dégradation n'est établie ni par ces certificats qui reprennent sur ce point " les dires du patient ", ni par les autres pièces du dossier, en particulier par le courrier du médecin adjoint du centre médical des armées de Belfort du 23 novembre 2012 et celui du médecin chef de la garnison de Belfort du 17 janvier 2013, ces pièces ne faisant état d'aucune circonstance particulière, tenant à ses conditions de travail, susceptible d'avoir provoqué cette pathologie ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses demandes ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M.B... de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
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