CAA de MARSEILLE, 8ème chambre - formation à 3, 03/04/2018, 15MA02559, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision03 avril 2018
Num15MA02559
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre - formation à 3
PresidentM. GONZALES
RapporteurM. Marc COUTEL
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsAVERSANO

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 16 novembre 2012, M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société France Télécom à lui verser la somme de 327 609,44 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2012 en réparation des conséquences dommageables résultant pour lui des agissements de son employeur.

Par jugement du 23 avril 2015, n° 1207520, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société Orange venant aux droits de France Télécom, à verser à M. B... la somme de 1 000 euros tous intérêts compris.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire respectivement enregistrés le 22 juin 2015 et le 1er septembre 2015, M. B... demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Marseille rendu le 23 avril 2015 ;

2°) de condamner la société Orange à lui verser la somme de 88 160,85 euros en réparation de son manque à gagner et la somme de 260 000 euros en réparation du préjudice personnel et moral, lesdites sommes devant être assorties des intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2012 et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la société Orange la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Marseille n'a pas tenu compte de sa mise à la retraite qui a conduit à un changement de sa situation ;
- la maladie dont il souffre est bien imputable au service ;
- sa pension de retraite est diminuée du fait de son départ prématuré ;
- la rente viagère ne compense pas toutes ses pertes de revenus et les frais qu'il a exposés ;
- ses préjudices sont imputables aux fautes de son employeur, caractérisées notamment par le harcèlement moral qu'il a subi.


Par un mémoire en défense enregistré le 8 mars 2016, la société Orange, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre des frais d'instance.


Par un mémoire enregistré le 19 décembre 2017, la mutuelle générale, appelée en la cause, représentée par Me E..., ne s'estime pas partie au litige.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2010-997 du 26 août 2010 ;
- le décret n° 2011-1245 du 5 octobre 2011,
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus en cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutel,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société Orange et de Me E..., représentant la mutuelle générale.


Sur la demande de réparation d'un comportement fautif de la société Orange :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ;

2. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;

3. Considérant que M. B... soutient que la société Orange a exercé un harcèlement moral à l'origine d'un épuisement professionnel dont il a été victime ; qu'il se borne sur ce point à se référer à des considérations générales sur l'organisation interne de cette société ; que des difficultés professionnelles inhérentes à une organisation générale, même défectueuse, ne sont pas de nature à faire présumer que l'intéressé aurait été personnellement victime d'agissements de harcèlement moral ; que sa demande indemnitaire présentée à ce titre doit être rejetée ;


Sur la responsabilité sans faute :


Sur la demande de réparation d'un préjudice financier pour la période courant du 19 janvier 2007 au 18 janvier 2015 :

S'agissant des pertes de traitement :

4. Considérant que M. B... a bénéficié d'un congé de longue maladie pendant 3 ans jusqu'au 19 novembre 2003 ; qu'à la reprise de ses fonctions, il a été à nouveau placé en congé de maladie ordinaire du 3 novembre 2005 au 14 octobre 2006 puis du 19 janvier 2007 au 18 janvier 2008, avant que sa maladie ne soit reconnue imputable au service par son employeur le 21 janvier 2010 ; que M. B... a ainsi bénéficié d'un congé de longue durée du 19 janvier 2007 jusqu'à sa mise à la retraite le 19 janvier 2015 pour inaptitude totale et définitive ;

5. Considérant que selon les dispositions de l'article 34.4° de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, " Le fonctionnaire en activité a droit à un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement (...) Si la maladie ouvrant droit à congé de longue durée a été contractée dans l'exercice des fonctions, les périodes fixées ci-dessus sont respectivement portées à cinq ans et trois ans. " ; que M. B..., a bénéficié d'un congé de longue durée de 8 ans, du 19 janvier 2007 au 18 janvier 2015, au titre d'une maladie imputable au service ; qu'il résulte de l'instruction qu'au terme d'une première période de 5 ans à plein traitement, l'intéressé a bénéficié d'un demi-traitement entre le 19 janvier 2012 et le 18 janvier 2015 ; qu'ainsi, l'administration
n'ayant pas fait une inexacte application des dispositions citées, l'intéressé n'est pas fondé à demander l'indemnisation d'une perte de revenus à hauteur de 38 844 euros, correspondant à la différence, sur la dernière période, entre le plein traitement et le demi-traitement qu'il a effectivement perçu ;

S'agissant de la perte de compléments de salaire :

6. Considérant que M. B... prétend au versement des compléments de salaire pendant toute la période de son congé de longue durée ; que le montant de ces compléments de salaire aurait atteint la somme de 19 533,72 euros net ; que si aux termes du 4) de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, dans le cas d'un congé de longue durée, " Le fonctionnaire conserve ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence ", en revanche, ces dispositions ne lui créent pas un droit au versement des compléments de salaire ou de rémunération ; que l'article 1-I.1° du décret n° 2010-997 du 26 août 2010 dispose expressément que " le bénéfice des primes et indemnités versées aux fonctionnaires relevant de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, aux magistrats de l'ordre judiciaire et, le cas échéant, aux agents non titulaires relevant du décret du 17 janvier 1986 susvisé est maintenu dans les mêmes proportions que le traitement en cas de congés pris en application des 1°, 2° et 5° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée et des articles 10, 12, 14 et 15 du décret du 17 janvier 1986 susvisé " ; que la situation de M. B..., qui entrait dans le champ d'application du 4° de l'article 34 précité, n'ouvrait ainsi pas droit aux rémunérations en cause ; qu'il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à demander la réparation de ce poste de préjudice ;

S'agissant des primes de participation et d'intéressement :

7. Considérant qu'en vertu des dispositions des articles L. 3311-1 et suivants du Code du travail, les salariés ont droit à des primes de participation et d'intéressement afin " d'associer collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l'entreprise " ; que les accords d'intéressements signés par France Télécom/Orange pour les périodes en cause prévoient, notamment dans les annexes établissant la liste des absences assimilées à du temps de présence, que les périodes de suspension du contrat pour maladie professionnelle sont assimilées à un temps de présence ; qu'en conséquence, M. B... avait effectivement droit au versement des primes et intéressements, dans les mêmes proportions que son traitement indiciaire ;

8. Considérant, sur ce point, que M. B... demande la réparation du préjudice issu d'une diminution de ses primes d'intéressement et de participation ; qu'il produit à cet effet des documents de nature à faire essentiellement apparaître une différence dans les versements en cause avec ceux que son épouse a perçus au même titre ; qu'il n'est pas établi, au regard des règles régissant ces avantages financiers, que son épouse serait placée dans une situation professionnelle identique à la sienne ; qu'en tout état de cause, il résulte des pièces versées à l'instruction que le requérant a effectivement perçu des primes d'intéressement et de participation ; que, par lettre du 20 juin 2011, son employeur l'a informé que ces avantages financiers sont accordés en fonction d'une présence effective, alors que sur la période en cause l'intéressé était en congé de longue durée ; que la nature parcellaire, incomplète, parfois non concordantes des documents produits par M. B..., n'est pas de nature à établir le préjudice dont il demande réparation tant dans son principe que son étendue ;

S'agissant des frais médicaux exposés :

9. Considérant qu'en se bornant à produire des attestations de séjour en secteur hospitalier, M. B... n'établit pas qu'il aurait personnellement exposé des dépenses de santé, directement liées à l'accident de service en cause, et qui seraient restées à sa charge ; que, par suite, la demande d'indemnisation, au demeurant dénuée de toute précision, de ce chef de préjudice, ne peut qu'être écartée ;

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la gestion des congés de maladie accordés à M. B... a entraîné des variations injustifiées dans le versement de ses traitements, dues à des retards pris dans la régularisation de sa situation et à diverses erreurs commises à son égard par son employeur ; qu'il a été fait une juste appréciation de ces préjudices par les premiers juges en condamnant la société Orange à lui verser à ce titre une indemnité de 1 000 euros, tous intérêts compris au jour du jugement en litige ;


Sur la demande de réparation d'un préjudice financier pour la période courant à compter du 19 janvier 2015 :

11. Considérant que M. B... a été admis à la retraite pour inaptitude absolue à compter du 19 janvier 2015 ; qu'il résulte de l'instruction, notamment des écritures tant du requérant que du défendeur que l'intéressé est éligible du fait de son accident de service et de l'incapacité qui en a résulté, au bénéfice de la rente viagère d'invalidité ; que cette rente, cumulable avec la pension rémunérant les services, a pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ; qu'il suit de là que M. B... n'est pas fondé à demander la réparation du manque à gagner correspondant à une diminution de sa pension du fait d'un départ anticipé ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a limité à la somme de 1 000 euros tous intérêts compris le montant de l'indemnité due par la société Orange ;


Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant qu'il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Orange, qui n'est pas la partie qui succombe, le versement à M. B... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société Orange en application des dispositions précitées ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Orange présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société Orange et à la mutuelle générale.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2018, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Coutel, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 3 avril 2018.
N° 15MA02559 2