CAA de NANTES, 6ème chambre, 15/10/2018, 17NT00781, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision15 octobre 2018
Num17NT00781
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. LENOIR
RapporteurMme Valérie GELARD
CommissaireM. LEMOINE
AvocatsMORAGA ROJEL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 220 826, 30 euros en réparation des préjudices résultant des blessures que lui a occasionnées M. E...le 9 juin 2006.

Par un jugement n° 1403221 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 mars 2017 et 6 juillet 2018, M. F... et Mme A..., représentés par MeB..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 décembre 2016 ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 1 220 826,30 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
- leur recours devant le tribunal administratif est recevable dès lors que le ministre aurait dû transmettre leur demande indemnitaire à la commission des recours des militaires en vertu des articles 1er et 20 de la loi du 12 avril 2000 ;
- la circonstance que les faits commis par M. E...puissent constituer une faute personnelle, mais non dépourvue de tout lien avec le service, ne leur interdit pas de demander à l'Etat l'indemnisation de leur entier préjudice ;
- l'administration a commis une faute dans la mesure où elle n'a pas su assurer sa protection contre les agissements d'un autre agent et n'a pas assuré la sécurité sur son lieu de travail d'autant que les agents exerçant leurs fonctions dans les sous-marins doivent faire l'objet de suivis médicaux et psychologiques stricts ;
- M. E...ne saurait lui reprocher une quelconque faute et notamment un changement brutal et inapproprié ;
- M. F...a droit à une réparation intégrale de ses préjudices et pas seulement à une indemnisation forfaitaire de ses préjudices extrapatrimoniaux ;
- il peut prétendre à la somme de 1 600 euros au titre des frais d'assistance médicale ;
- l'Etat devra être condamné à lui verser la somme de 17 000 euros en remboursement des frais d'avocat qu'il a dû exposer devant les juridictions judiciaires pour obtenir au terme de dix années la condamnation de M.E... ;
- son contrat de dix ans étant renouvelable, il avait vocation à rester dans la Marine Nationale jusqu'au mois d'août 2020 et justifie d'une perte de revenu de 180 075,75 euros jusqu'à cette date et de 683 944,67 euros au-delà en estimant qu'il y avait 85 % de chance qu'il puisse rester sous contrat dans la Marine ;
- il est fondé à solliciter la somme de 345 581,70 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne à hauteur de trois heures par jour ;
- le surcoût lié à l'usage d'un véhicule muni d'une boîte de vitesse automatique sera de 10 800 euros ;
- le préjudice résultant de son déficit fonctionnel temporaire est de 9 100 euros ;
- il peut prétendre à la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice esthétique temporaire ;
- l'Etat devra être condamné à lui verser la somme de 98 800 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent ;
- son préjudice esthétique permanent sera évalué à 10 000 euros ;
- la somme de 22 000 euros lui sera accordée en réparation des souffrances qu'il a endurées ;
- l'Etat sera condamné à lui verser la somme de 16 000 euros au titre de son préjudice d'agrément ;
- son préjudice sexuel sera évalué à 4 000 euros ;
- l'intervention de M. E...est irrecevable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2017, la ministre des armées conclut au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que seuls les préjudices personnels de l'intéressé soient indemnisés dans de plus justes proportions.

Il soutient que les moyens soulevés par M. F... et Mme A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2018, M.E..., représenté par MeG..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. F...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il précise qu'il devra être considéré comme appelé en déclaration de jugement commun et soutient que les moyens soulevés par M. F... et Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée à la caisse d'assurance militaire de Toulon ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère, pour lesquelles il n'a pas été produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant M. F...et Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. M.F..., second maître de la Marine Nationale, exerçait les fonctions de cuisinier au carré officier de l'escadrille des sous-marins lanceurs d'engins (SNLE) de Brest. Le 9 juin 2006, il a, alors qu'il était en service, été blessé par M.E..., militaire affecté au même service, qui lui a occasionné, au moyen d'un couteau, des plaies profondes à l'avant-bras gauche. M. F...et Mme A... relèvent appel du jugement du 15 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 1 220 826,30 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis par ce militaire le 9 juin 2006 .
Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense dans sa rédaction alors en vigueur : " I.-Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense (...) II.-Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables aux recours contentieux formés à l'encontre d'actes ou de décisions : 1° Concernant le recrutement du militaire ou l'exercice du pouvoir disciplinaire ; 2° Pris en application du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et du code des pensions civiles et militaires de retraite ainsi que ceux qui relèvent de la procédure organisée par les articles 112 à 124 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. ".
3. Il résulte des dispositions précitées qu'à l'exception des matières qu'elles ont entendu écarter expressément de la procédure du recours préalable obligatoire, la saisine de la commission des recours des militaires instituée par le code de la défense s'impose à peine d'irrecevabilité d'un recours contentieux, formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle, que ce recours tende à l'annulation d'une décision ou à l'octroi d'une indemnité à la suite d'une décision préalable ayant lié le contentieux. Il appartient, dès lors, au militaire, s'agissant d'actes relatifs à sa situation personnelle, de saisir au préalable son administration d'une demande indemnitaire puis, en cas de refus explicite ou implicite de faire droit à sa demande, de saisir la commission des recours des militaires.

4. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 12 avril 2000 alors en vigueur : " Sont considérés comme autorités administratives au sens de la présente loi les administrations de l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les organismes de sécurité sociale et les autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif. ". L'article 18 de cette même loi dispose que : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives. / A l'exception de celles de l'article 21, les dispositions des articles 19 à 24 ne s'appliquent pas aux relations entre les autorités administratives et leurs agents. ". Aux termes de l'article 20 de cette loi : " Lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l'autorité administrative compétente et en avise l'intéressé. /Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'autorité initialement saisie. /Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite d'acceptation ne court qu'à compter de la date de réception de la demande par l'autorité compétente. Si cette autorité informe l'auteur de la demande qu'il n'a pas fourni l'ensemble des informations ou pièces exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur, le délai ne court qu'à compter de la réception de ces informations ou pièces. / Dans tous les cas, l'accusé de réception est délivré par l'autorité compétente. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que 11 mars 2014, M. F...a adressé une demande d'indemnisation au ministre de la défense pour l'ensemble de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux. Cette demande a été implicitement rejetée. Le 3 juillet 2014, l'intéressé a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 220 826,30 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices, sans toutefois exercer le recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires prévu à l'article R. 4125-1 du code de la défense. Contrairement à ce que soutient le requérant, sa lettre du 11 mars 2014 constitue une demande indemnitaire préalable destinée à lier le contentieux et relevait de la seule compétence du ministre de la défense. M. F...n'est dès lors pas fondé à soutenir que le ministre aurait dû transmettre ce courrier à la commission des recours des militaires conformément aux dispositions de l'article 20 de la loi du 12 avril 2000, lequel ne s'appliquent pas aux relations entre les autorités administratives et leurs agents. Si le requérant soutient par ailleurs qu'il a été induit en erreur par la direction des affaires juridiques du ministère de la défense, la lettre du 14 février 2014 dont il se prévaut se borne cependant à lui indiquer que la possibilité d'une indemnisation de ses préjudices extrapatrimoniaux allait être examinée et qu'à cette fin, l'administration avait besoin d'une copie du rapport d'expertise judiciaire fixant la date de consolidation de son état de santé. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la demande de M. F...enregistrée le 3 juillet 2014 était irrecevable à défaut d'avoir été précédée d'une saisine de la commission des recours des militaires.

6. Il résulte de ce qui précède, que M. F... et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leur demande ;


Sur la recevabilité des conclusions de M. E...et ses conclusions aux fins de déclaration de jugement commun :
7. M.E..., qui a reçu communication de la requête de M. F...et Mme A...et a produit un mémoire en défense, a la qualité de partie à l'instance et non d'intervenant. Ses conclusions aux fins de déclaration de jugement commun sont ainsi sans objet et les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que son intervention ne serait pas recevable au motif qu'elle n'aurait pas été présentée dans le cadre d'un mémoire distinct.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. F... et Mme A... de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. F... le versement à M. E...la somme qu'il demande au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. F... et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. E...tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F...et Mme C...A..., à la ministre des armées, à M. E..., à la caisse d'assurance militaire de Toulon et à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 octobre 2018.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.



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N° 17NT00781