CAA de PARIS, 2ème chambre, 23/10/2018, 17PA03908, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 octobre 2018
Num17PA03908
JuridictionParis
Formation2ème chambre
PresidentMme BROTONS
RapporteurMme Sylvie APPECHE
CommissaireM. CHEYLAN
AvocatsSELARL CALLON AVOCAT & CONSEIL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...B...a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Villiers-Saint-Georges à lui verser les rémunérations non perçues depuis le
31 mai 2014 jusqu'à sa réintégration effective en réparation de son préjudice financier et à lui verser la somme de 26 800 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable.

Par un jugement n° 1507224/5 du 23 novembre 2017, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 21 décembre 2017, Mme B..., représentée par Me A...F..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1507224/5 du 23 novembre 2017 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de condamner la commune de Villiers-Saint-Georges à lui verser la somme
de 26 800 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable du 14 janvier 2015 et anatocisme ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Villiers-Saint-Georges le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande devant le tribunal administratif n'était pas tardive ; les voies et délais de recours n'ayant à aucun moment été notifiés, elle était recevable à contester devant le tribunal le rejet implicite de sa réclamation préalable faite le 14 janvier 2015 ;
- un agent public est en droit d'obtenir réparation des chefs de préjudice non concernés par les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires, même en l'absence de faute de l'administration ; en conséquence, sur le fondement du rapport d'expertise, elle est en droit d'obtenir au titre du déficit fonctionnel temporaire (22 mois) une somme de 14 700 euros, au titre de l'A.I.P.P. (8%), une somme de 8 000 euros, au titre des souffrances endurées (2,5/7) une somme de 3 400 euros et au titre du préjudice esthétique (0,5/7) une somme de 700 euros.

Par un mémoire enregistré le 13 avril 2018, la commune de Villiers-Saint-Georges, représentée par Me D...C...conclut, à titre principal au rejet de la requête et à la condamnation de Mme B... à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, et à tire subsidiaire, à ce que l'indemnisation accordée à Mme B... soit limitée à une somme de 2 179 euros.

Elle soutient que :
- la demande faite devant le tribunal administratif était bien tardive et irrecevable ;
- l'atteinte à l'intégrité physique permanente n'est pas indemnisable ;
- la déficience physique temporaire n'est probablement pas indemnisable ;
- les indemnités demandées excèdent la réalité des préjudices.

Par ordonnance du 18 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 14 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret 85-603 du 10 juin 1985 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Appèche,
- et les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.


1. Considérant que Mme B... relève appel du jugement n° 1507224/5 du
23 novembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté, comme irrecevable, sa demande tendant à la condamnation de la commune de Villiers-Saint-Georges à lui verser les rémunérations non perçues depuis le 31 mai 2014 jusqu'à sa réintégration effective, en réparation de son préjudice financier, ainsi que la somme de 26 800 euros à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable ;
Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d'un délai de deux mois à compter du jour de l'expiration de la période mentionnée au premier alinéa. Néanmoins, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient dans ce délai de deux mois, elle fait à nouveau courir le délai du pourvoi (...) " ; que l'article R. 421-3 dudit code précise : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : 1° En matière de plein contentieux ; (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-5 de ce code : " Les délais et voies de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours dans la notification de la décision " ;

3. Considérant qu'il est constant que Mme B... a saisi, le 12 mars 2010, la commune de Villiers-Saint-Georges d'une demande d'indemnisation des préjudices résultant de la maladie imputable au service dont elle était affectée, qu'elle estimait à 26 800 euros ; qu'à la suite de cette demande, une offre d'indemnisation, pour un montant sensiblement inférieur soit 2 100 euros a été faite par la commune, ce montant étant porté à 2 179 euros par un courrier ultérieur du 8 juin 2012 ; que des courriers ont été échangés en 2014 entre les assureurs respectifs de la requérante et de la commune de Villiers-Saint-Georges concernant certains chefs de préjudice ; qu'à supposer que les courriers susmentionnés, émanant de la commune ou de son assureur, puissent être regardés comme des décisions valant rejet de la demande indemnitaire présentée par Mme B... en 2010, il ne résulte pas de l'instruction que ces courriers aient été assortis de l'indication des voies et délais de recours ; que par suite, ces délais n'étaient pas opposables à Mme B... ; qu'à supposer même que le courrier du 14 janvier 2015, par lequel Mme B... a réitéré auprès de la commune sa demande indemnitaire, puisse être regardé comme un recours gracieux dirigé contre le rejet partiel de sa demande résultant implicitement des réponses susmentionnées de la commune ou de son assureur, et comme montrant que l'intéressée a eu connaissance, au plus tard à cette date, de ces décisions de rejet partiel, une telle circonstance est par elle-même sans incidence sur l'application des dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, qui subordonnent l'opposabilité des délais de recours contentieux à la mention des voies et délais de recours dans la notification de la décision ; qu'à la date à laquelle elle a saisi le Tribunal administratif de Melun, le
10 septembre 2015, d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Villiers-Saint-Georges à l'indemniser des préjudices qu'elle estimait avoir subis, Mme B... n'avait été destinataire d'aucune décision administrative expresse de refus d'indemnisation, assortie de la mention des voies et délais de recours ; que dans ces conditions, c'est en méconnaissance des dispositions susénoncées que le Tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande comme tardive ; que par suite, Mme B... est fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et à en obtenir l'annulation ;

4. Considérant qu'il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer sur la demande présentée par Mme B... devant le Tribunal administratif de Melun et sur les autres conclusions de sa requête ;

Sur les conclusions indemnitaires de Mme B... :

5. Considérant qu'en vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l'Etat qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services ; que les articles 36 et 37 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) prévoient, conformément aux prescriptions du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, des règles comparables au profit des agents relevant de cet organisme ;

6. Considérant que les dispositions qui déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions, ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien incombait à celle-ci ;

7. Considérant que MmeB..., née en 1949, recrutée en 2000 par la commune de
Villiers-Saint-Georges, tout d'abord comme agent contractuel faisant fonction d'agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM), puis titularisée en 2002 en tant qu'ATSEM, a rencontré, à compter du 29 décembre 2007, différents problèmes de santé, au niveau des membres supérieurs, déclarés imputables au service ; qu'elle a été placée de ce fait en congé pour maladie professionnelle sans discontinuité jusqu'au 31 octobre 2009, date de consolidation de son état et a été, à compter de cette date, admise à faire valoir ses droits à la retraite ;

8. Considérant, en premier lieu, qu'au vu de ses écritures produites tant devant le tribunal administratif que devant la Cour, Mme B... doit être regardée comme demandant la réparation des préjudices autres que ceux dont les agents publics du régime de retraite de la CNRACL, obtiennent l'indemnisation de manière forfaitaire en vertu des articles 36 et 37 du décret
du 26 décembre 2003 susmentionné ; que l'indemnisation de l'atteinte à l'intégrité physique permanente étant assurée dans le cadre de ce régime forfaitaire, les conclusions présentées de ce chef par Mme B... ne peuvent qu'être rejetées ;

9. Considérant, en second lieu, que Mme B..., qui produit un rapport d'expertise établi par les docteurs Debièvre et Charon, mandatés respectivement par l'assureur de la requérante et par celui de la commune de Villiers-Saint-Georges, demande également la réparation, d'une part, des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis entre 2007 et 2009 du fait d'un déficit fonctionnel temporaire physique, d'autre part, du préjudice correspondant aux souffrances endurées, et enfin d'un préjudice esthétique ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, que Mme B... est en droit d'obtenir réparation au titre de ces chefs de préjudices ;

10. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que Mme B... a souffert d'un ténosynovite au niveau des coudes et des poignets droit et gauche, de douleurs invalidantes déclenchées par la supination et la flexion des poignets, et d'une tendinite calcifiante du sus-épineux de l'épaule droite avec fissuration ; que ce déficit fonctionnel temporaire physique a, durant la période susmentionnée où elle a été placée en congé de maladie, entrainé des troubles dans ses conditions d'existence ;

11. Considérant, d'autre part, que Mme B... a subi des douleurs imputables à sa maladie professionnelle évaluées à 2,5/7 par les médecins experts ; qu'elle est en droit d'obtenir réparation de ce chef de préjudice ainsi que du préjudice esthétique, qualifié de minime par les médecins experts, qui résulte d'une unique cicatrice d'arthroscopie au niveau de l'épaule droite ;
13. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des préjudices indemnisables susdécrits en les évaluant, tous chefs de préjudices confondus, à la somme de 6 000 euros ; que l'indemnité d'un montant total de 6 000 euros mise à la charge de la commune de Villiers-Saint-Georges portera intérêt au taux légal à compter du 15 janvier 2015, date de réception par la commune de la demande préalable de Mme B... ; que les intérêts porteront eux mêmes intérêts à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à obtenir l'annulation du jugement attaqué et la condamnation de la commune de Villiers-Saint-Georges à lui verser la somme de 6 000 euros, majorée des intérêts légaux avec anatocisme, en réparation des préjudices qu'elle a subis ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Villiers-Saint-Georges une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, les conclusions présentées par la commune sur le même fondement ne peuvent qu'être rejetées ;


DECIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1507224/5 en date du 23 novembre 2017 du Tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La commune de Villiers-Saint-Georges versera à Mme B... une indemnité
de 6 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2015 et les intérêts seront capitalisés à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : La commune de Villiers-Saint-Georges versa à Mme B... une somme de
1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mme B... devant le tribunal administratif et devant la Cour est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Villiers-Saint-Georges présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B...et à la commune de
Villiers-Saint-Georges.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- Mme Jimenez, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 octobre 2018.
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
P. LIMMOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 17PA03908