CAA de MARSEILLE, 8ème chambre - formation à 3, 27/11/2018, 17MA03749, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision27 novembre 2018
Num17MA03749
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre - formation à 3
PresidentM. D'IZARN DE VILLEFORT
RapporteurMme Samira TAHIRI
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsCAILLOUET-GANET

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Sanary-sur-Mer à lui verser la somme à parfaire de 160 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite de l'accident de service dont il a été victime le 6 octobre 2000.

Par un jugement n° 1404201 du 30 juin 2017, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de Sanary-sur-Mer à lui verser la somme de 32 647 euros en réparation des préjudices subis.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 août 2017, la commune de Sanary-sur-Mer, représentée par Me H..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2017 ;

2°) à titre principal de rejeter les demandes de M. F... et, à titre subsidiaire, de limiter à 5 715 euros le montant des indemnités accordées ;

3°) de mettre à la charge de M. F... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
* il n'est pas établi que la minute du jugement a été signée conformément aux prescriptions de l'article R. 741-1 du code de justice administrative ;
* le jugement n'est pas suffisamment motivé en ce qu'il retient des motifs contradictoires en admettant l'identité de la symptomatologie de l'affection présentée par M. F... tout en écartant l'absence d'aggravation ;
* les demandes de ce dernier étaient prescrites, compte tenu de la date de consolidation qui doit rester fixée au 15 juin 2001 ;
* le lien de causalité entre les préjudices allégués par M. F... et son accident de service n'est pas établi ;
* s'agissant de l'incapacité permanente partielle, compte tenu de la date de consolidation et du taux de 6 % retenu à cette date, l'indemnité allouée à M. F... ne pourra excéder 5 715 euros ;
* s'agissant du préjudice esthétique temporaire, son existence n'avait pas été retenue à la première date de consolidation et l'expert judiciaire n'a pas explicité les motifs l'ayant conduit à retenir un taux de 2 sur 7 ;
* s'agissant des frais d'expertise, compte tenu des circonstances, il n'apparaît pas inéquitable de les mettre à la charge de M. F....engagée au titre de l'accident de service dont ce dernier a été victime le 6 octobre 2000


Par un mémoire, enregistré le 25 août 2018, M. F..., représenté par Me J..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident :
* de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a limité à 32 647 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de Sanary-sur-Mer en réparation du préjudice que M. F... a subi ;
* de porter à la somme de 160 000 euros le montant de cette indemnité.

3°) de mettre à la charge de la commune de Sanary-sur-Mer la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
* les moyens soulevés par la commune de Sanary-sur-Mer ne sont pas fondés ;
* il est en droit d'obtenir la somme de 45 000 euros au titre de son incapacité permanente partielle dont le taux a été fixé par l'expert à 25%, 5 000 euros pour son préjudice esthétique estimé par l'expert à 2/7, 10 000 euros pour son préjudice d'agrément et 100 000 euros au titre de son préjudice moral.


M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 21 novembre 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille.


Vu les autres pièces du dossier.



Vu :
* le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
* la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
* le code de justice administrative.


La présidente de la Cour a désigné M. d'Izarn de Villefort en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
* le rapport de Mme Tahiri,
* les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
* et les observations de Me I..., substituant Me H..., représentant M. F...


Une note en délibéré présentée pour M. F... a été enregistrée le 9 novembre 2018.



Considérant ce qui suit :

1. M. F..., né en 1942, a été victime le 6 octobre 2000, alors qu'il était employé par la commune de Sanary-sur-Mer en tant qu'agent d'entretien, d'un accident reconnu imputable au service. Il a recherché la responsabilité de la commune de Sanary-sur-Mer afin d'obtenir réparation des préjudices non patrimoniaux subis du fait de cet accident. La commune de Sanary-sur-Mer relève appel du jugement du 30 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulon a partiellement fait droit aux demandes de M. F... en la condamnant à lui verser la somme de 32 647 euros en réparation des préjudices subis. M. F... par la voie de l'appel incident, demande que la somme mise à la charge de la commune de Sanary-sur-Mer soit portée à 160 000 euros.


Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Si la commune de Sanary-sur-Mer soutient que le jugement qui lui a été notifié ne comporte pas les signatures requises, il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement est, conformément aux exigences des dispositions précitées de l'article R. 741-7, revêtue de la signature du président de la formation de jugement, de celle du rapporteur et de celle du greffier d'audience.

3. En second lieu, si la commune de Sanary-sur-Mer fait valoir que le jugement serait entaché de contradiction de motifs, un tel moyen, qui affecte le cas échéant le bien-fondé du jugement, est sans incidence sur sa régularité.



4. Il résulte de ce tout ce qui précède que la commune de Sanary-sur-Mer n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.


Sur le bien-fondé du jugement :


En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :

5. Aux termes de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond (...). ". Par suite, l'administration, qui a opposé la prescription quadriennale pour la première fois en appel, n'est pas recevable à l'invoquer.


En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Sanary-sur-Mer :

6. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, le II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965, qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

7. Dans son rapport en date du 26 mai 2012, le collège d'expert, comprenant un médecin gérontologue et un psychologue, désigné par le tribunal dans le cadre d'une procédure de référé expertise initiée par M. F..., rappelle les circonstances de l'accident du 6 octobre 2000 dont ce dernier a été victime, à la suite de la chute d'un appareil sur son coude droit alors qu'il portait une charge, lui occasionnant " une douleur avec impotence fonctionnelle du tendon épicondylien du coude droit ". Il rappelle également les conclusions de la première expertise réalisée en septembre 2001 par le Dr E... relevant un tableau d'épicondylite droite invalidante non évolutif au jour de l'expertise et admettant une date de consolidation au 15 juin 2001.
Pour retenir une date de consolidation au 28 janvier 2008, date à laquelle il a procédé à l'examen de M. F..., le collège d'expert s'est fondé, d'une part, sur le certificat établi par le Dr A... le 28 janvier 2008 regardé comme constatant " une aggravation de la pathologie par rapport à l'état antérieur du fait de sa possible évolutivité empêchant une consolidation reportée à cette date " et, d'autre part, sur l'absence de pièce médicale communiquée couvrant la période du 28 janvier 2008 au 8 mars 2012, date à laquelle le Dr G... faisait état d'une chronicisation des troubles. Toutefois, l'aggravation avec report de la date de consolidation en 2008 retenue par les experts n'est pas corroborée par le certificat du Dr A... du 28 janvier 2008 sur lequel ils se fondent et produit pour la première fois par la commune en appel. Ce certificat, outre qu'il fait état de dates erronées concernant l'accident de service et la date de consolidation initialement retenue, mentionne une date de consolidation du " 6 janvier 2002 alors que [la] pathologie était toujours évolutive " et indique seulement que M. F... " est repassé à cette date dans le cadre du régime normal de sécurité sociale et qui de ce fait et des problèmes financiers qu'il avait à l'époque n'ont pas permis qu'il puisse se soigner correctement (absence de mutuelle). De ce fait, la pathologie s'est aggravée. Il est actuellement dans l'incapacité totale de reprendre une activité quelconque du fait des séquelles et du retentissement psychologique lié à cette situation ". Dans ces conditions, les séquelles de l'accident survenu le 6 octobre 2000 doivent être regardées comme consolidées à la date du 15 juin 2001, comme l'indiquait le rapport d'expertise établi en septembre 2001 et les troubles somatiques postérieurs ne peuvent être regardés comme une aggravation de l'état de santé de M. F... imputable à l'accident de service.

8. Par ailleurs, en dépit des conclusions du collège d'expert exprimées au conditionnel, les troubles anxio-dépressifs présentés par M. F... n'apparaissent pas comme une aggravation liée à l'accident de service du 6 octobre 2000 mais comme la résultante d'un contexte conflictuel antérieur avec son employeur, ainsi que l'avait relevé le Dr D... en 2002 et ainsi que cela ressort des propres explications de M. F... lors de son examen par le collège d'expert, centrées sur un désir de réparation et un " ressentiment personnel éprouvé à l'endroit du maire de Sanary-sur-Mer présenté comme se trouvant à l'origine de tous ses maux ".


En ce qui concerne les préjudices :

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport établi par le Dr E..., que M. F... conserve, depuis la consolidation de son état de santé intervenue le 15 juin 2001, alors qu'il était âgé de 59 ans, un déficit fonctionnel permanent de 6%. Ainsi qu'il a été dit au point 7, il ne résulte pas de l'instruction que l'aggravation de son état de santé postérieurement au 15 juin 2001 serait imputable à son accident de service. Il y a lieu de ramener à 5 800 euros la somme allouée par le tribunal à ce titre à M. F....engagée au titre de l'accident de service dont ce dernier a été victime le 6 octobre 2000

10. En deuxième lieu, M. F... a subi un préjudice esthétique réduit, qui a été évalué à 2 sur une échelle de 1 à 7 par le collège d'expert et qui n'est contredit par aucune pièce du dossier puisque, contrairement à ce que soutient la commune de Sanary-sur-Mer, le Dr E... ne s'est pas prononcé en 2001 sur l'existence d'un tel préjudice. Il y a lieu de confirmer la somme de 1 850 euros accordée en première instance au titre de ce chef de préjudice.


11. En troisième lieu, si M. F... soutient qu'il a perdu la possibilité d'exercer toutes les activités dont il avait l'habitude, il ne produit aucune justification à l'appui de ses allégations et aucune des expertises dont il a fait l'objet n'a retenu un préjudice d'agrément. Par suite, cette demande ne peut qu'être rejetée.

12. Enfin, ainsi qu'il a été dit au point 8, les troubles anxio-dépressifs dont reste atteint M. F... n'apparaissent pas comme une aggravation liée à l'accident de service du 6 octobre 2000. Il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral subis par ce dernier du seul fait de son accident de service en les évaluant à un montant total de 2 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de ramener à 9 650 euros le montant de l'indemnité due par la commune de Sanary-sur-Mer à M. F..., de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Toulon et de rejeter le recours incident exercé par M. F....engagée au titre de l'accident de service dont ce dernier a été victime le 6 octobre 2000


Sur les frais d'expertise :

14. Aux termes de l'article R. 761-1 du CJA : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ".

15. Il y a lieu, en l'absence de circonstance particulière de l'affaire, de laisser la charge des frais d'expertise à la commune de Sanary-sur-Mer dès lors qu'elle conserve dans la présente instance la qualité de partie perdante vis-à-vis de M. F..., sa responsabilité demeurant....engagée au titre de l'accident de service dont ce dernier a été victime le 6 octobre 2000


Sur les frais liés à l'instance :

16. Dans les circonstances de l'espèce, il ne paraît pas inéquitable de laisser à chacune des parties à l'instance la charge des frais qu'elles ont exposés et non compris dans les dépens.



D É C I D E :



Article 1er : La somme de 32 647 euros que la commune de Sanary-sur-Mer a été condamnée à verser à M. F... par le jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2017 est ramenée à 9 650 euros.

Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Sanary-sur-Mer et les conclusions de M. F... sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F... et à la commune de Sanary-sur-Mer.
Copie en sera adressée aux Drs Jean-Jacques Portier et Cédric Meillac.
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2018, où siégeaient :

* M. d'Izarn de Villefort, président,
* M. B... et Mme Tahiri, premiers conseillers.



Lu en audience publique le 27 novembre 2018.
N° 17MA03749 2